Crise sanitaire de la Covid-19 : dans la mode, les marques de luxe vacillent aussi
La crise sanitaire liée à la Covid-19 fait aussi flancher les commerces spécialisés dans les produits haut de gamme, soulignant la fragilité de ceux qui n'ont parfois pas suffisamment pris le virage du numérique.
La pandémie de Covid-19 entrave le tourisme et provoque des fermetures massives de magasins et donc des suppressions d'emplois. Si les ventes de produits de luxe dans le monde chutent partout dans le monde, la crise sanitaire a accentué plusieurs tendances de consommation, comme les achats en ligne. Un canal d'achats qui devrait s'intensifier demain.
"La Covid ne fait que révéler d'éventuelles fragilités du modèle"
Des grands noms du commerce ont été frappés par une succession de crises : attentats de 2015, mouvement des Gilets jaunes, grèves. La crise sanitaire, qui a tari les flux touristiques et réduit la fréquentation des magasins, leur a asséné le coup de grâce.
Avoir pignon sur rue n'a pas suffi à lui garantir un avenir : "après 73 ans d'activité, la Maroquinerie Parisienne fermera ses portes définitivement à la fin de l'année", indique un message publié sur le site de cette institution parisienne spécialisée dans les accessoires haut de gamme. Et il ne s'agit pas de la seule victime de renom de la crise sanitaire. La semaine dernière, le Printemps a fait part de sa volonté de fermer plusieurs grands magasins dans différentes villes.
"La Covid ne fait que révéler d'éventuelles fragilités du modèle", explique à l'AFP Serge Carreira, maître de conférences à Sciences Po Paris et spécialiste du luxe. Les enseignes qui dépendent de magasins physiques ont une "structure de charge extrêmement lourde et pesante", précise-t-il en évoquant notamment les loyers. "Au sein d'un groupe, on est dans une logique de limiter les coûts, les pertes, la viabilité est moins remise en cause, alors que pour une maison indépendante, sa vie même est en jeu", détaille le spécialiste.
"Les entreprises qui s'en sortent le mieux sont celles qui ont commencé la transformation digitale"
La crise sanitaire est d'une telle ampleur que même les groupes de luxe les plus robustes sont secoués. Les fleurons français LVMH, Kering et Hermès ont vu leur revenus s'écrouler au deuxième trimestre, avant de redresser la barre au trimestre suivant, notamment grâce au dynamisme de l'Asie, où l'épidémie semble mieux maîtrisée. Au Royaume-Uni, autre destination shopping prisée des touristes fortunés, les bénéfices de Burberry ont été laminés. Les grands magasins Selfridges et Harrods, dont l'activité a plongé, comptent supprimer respectivement 450 et 700 emplois. Aux États-Unis, la pandémie a achevé plusieurs chaînes haut de gamme dont Neiman Marcus.
"Les entreprises qui s'en sortent le mieux sont celles qui ont commencé la transformation digitale il y a longtemps et celles qui ont évolué vers un modèle de marketplace", mettant en relation acheteurs et vendeurs, détaille à l'AFP Audrey Depraeter-Montacel, directrice luxe et beauté chez Accenture.
Un appétit pour le web intensifié
Avant la pandémie, les ventes en ligne ne représentaient qu'une faible part du chiffre d'affaires des marques de luxe. "Les investissements dans le numérique de ces dix dernières années ont coûté beaucoup pour un retour sur investissement relativement bas, ce sont les grands groupes qui ont pu les faire, les plus petits n'ont pas la trésorerie suffisante", décrypte la directrice luxe et beauté chez Accenture.
Il est également moins évident pour les acteurs de taille modeste de profiter de l'envolée des ventes en ligne dans le contexte de la pandémie. "Les grands groupes sont mieux armés pour répondre à cette croissance soudaine, ils peuvent mettre des moyens, transférer des ressources", explique l'experte du luxe.
Cette crise a aussi renforcé l'appétence des marques haut de gamme pour le numérique. Certaines veulent développer leurs ventes en ligne alors qu'elles étaient encore récemment hostiles à cette idée afin de préserver leur côté exclusif.
Dans ce contexte, de nouveaux rapprochements pourraient avoir lieu, à l'instar de celui entre le géant suisse du luxe Richemont et le portail de mode Farfetch, qui distribue des marques de créateurs. "La situation est bien évidemment tendue, mais c'est aussi un moment d'adaptation et d'innovation qui peut, sur le long terme, être plutôt positif", estime Serge Carreira.
Chute de 23% du marché mondial du luxe
La pandémie de Covid-19 devrait entraîner "une chute sans précédent" de l'activité du marché mondial du luxe en 2020, selon une étude du cabinet Bain and Co, publiée le 18 novembre.
"La crise provoque la plus lourde chute jamais enregistrée" avec un recul prévu de l'activité de 23% en 2020 par rapport à 2019, seule la Chine étant épargnée, affirme le rapport. En Europe la chute est de 36%, pour le continent américain le recul est de 27%, le Japon perd 24% et le reste de l'Asie reflue de 35%.
Ces difficultés s'accompagnent de profondes transformations : les achats en ligne devraient faire un bond pour représenter 23% du marché contre seulement 12% en 2019, poursuit le cabinet. Dans ce contexte, les consommateurs attendent, en outre, de plus en plus de la part des marques de luxe des démonstrations de leurs engagements en matière de responsabilité, souligne le cabinet.
"L'incertitude devrait dominer encore dans les mois qui viennent" anticipe-t-il en prévoyant un retour au niveau de 2019 d'ici à 2022-2023. Et selon Bain and Co., tous les produits - la maroquinerie, la mode, l'horlogerie, la joaillerie et les parfums et cosmétiques - devraient connaître un repli.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.