Défilé historique de Chanel à La Havane aujourd'hui
C'est sur le Paseo del Prado, un boulevard à 300 mètres de la mer, que le couturier allemand Karl Lagerfeld dévoilera la collection Croisière 2016/17. "La richesse culturelle et l'ouverture de Cuba sur le monde en font une source d'inspiration pour Karl Lagerfeld et pour Chanel", avait vanté la marque française en annonçant son défilé inédit, inspiré par les couleurs des Caraïbes.
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La Havane est devenue ces derniers mois la destination à la mode, où se sont rendus tour à tour le président des Etats-Unis Barack Obama puis les Rolling Stones. Elle accueille aussi le tournage du nouvel opus de la saga américaine "Fast and furious". L'île semble ainsi retrouver son glamour d'avant la révolution castriste de 1959, quand elle était prisée des stars d'Hollywood et des mafieux qui venaient profiter de ses cabarets et casinos.
Mais cette fois, le contraste sera grand entre l'opulence de la maison française de haute couture et la pauvreté de la population locale. Même décoré pour l'occasion, le quartier du défilé ne peut cacher ses maisons et immeubles décrépis, où vivent des milliers de personnes bien éloignées de toute notion de luxe.
"C'est un rêve de voir ici, dans le Cuba socialiste, le travail d'un couturier comme Lagerfeld"
"Je crois que ce défilé va être plus (utile) pour Chanel que pour Cuba... Je ne sais pas si les gens ici à Cuba sont prêts pour ce genre de produits, ce genre de propositions", confie à l'AFP Idania del Rio, créatrice de mode de 33 ans. Mais "je suis curieuse en tant que professionnelle", ajoute-t-elle. "Je veux voir, cancaner sur tel ou tel habit de 40.000 dollars".Raul Castillo, couturier le plus populaire à Cuba ces vingt dernières années, ne peut cacher son émotion : "C'est un rêve de voir ici, dans le Cuba socialiste, le travail d'un couturier comme Lagerfeld", déclare-t-il à l'AFP.
Voir défiler les créations exclusives de Chanel signifie aussi un changement d'époque pour de nombreux Cubains, habitués pendant des années à porter les mêmes vêtements et chaussures passe-partout, symboles de l'idéal égalitaire visé par l'île communiste. "Il n'y a rien de plus laid que la standardisation", assénait récemment l'écrivain cubain Arturo Arango sur le portail d'informations On Cuba. "Derrière la standardisation, il y a le désintérêt, l'apathie, l'aliénation et tout cela mène, forcément, à la laideur", ajoutait-il.
Cuba avait commencé à s'ouvrir au marché après la chute du bloc soviétique en 1990 mais sans grande révolution de style : les Cubains devaient alors se contenter de vêtements d'occasion, importés et vendus dans les boutiques d'Etat. Proposés officiellement sous le doux euphémisme de "vêtements recyclés", ils ont vite été rebaptisés "trapishopping" (achat de chiffons) par les habitants.
Renaissance de la mode cubaine
Parallèlement, d'autres boutiques d'Etat ont commencé à proposer des habits neufs en dollars mais à des prix élevés, à la qualité douteuse et visiblement déjà passés de mode. Adeptes de la débrouille, certains Cubains importaient des vêtements d'Equateur ou du Mexique, glissés dans leur valise au retour de voyages puis vendus dans des boutiques privées, que le gouvernement a fermées fin 2013.La haute couture locale, elle, a entamé sa renaissance dans les années 1990, bénéficiant même du soutien de l'Etat pour ouvrir des espaces comme la Casa La Maison, qui accueille des défilés. Pour Raul Castillo, "la mode (cubaine) vit un très bon moment, nous nous ouvrons au monde", donc "il est très important que Chanel vienne ici".
"Les gens ici savent coudre. Il y a beaucoup de bons créateurs", assure Idania del Rio. Mais, selon elle, cet essor est "très lent", car il faut d'abord "une industrie, un marché". Pour cela, il faudra d'abord attendre la levée de l'embargo américain, imposé à l'île de 11,2 millions d'habitants depuis 1962 et toujours en vigueur malgré les protestations de La Havane et sa réconciliation avec Washington. "Quand nous serons un pays normal, sans embargo, nous serons les premiers dans la mode", promet Raul Castillo.
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