Fashion couture : mon premier défilé, c'était chez Alexis Mabille
De la Fashion Week, je ne connais que les hypnotiques rediffusions télévisées : ses processions de mannequins longilignes, sérieuses comme des papes, ses fantaisies vestimentaires. Autant dire que j'assiste au défilé haute couture d’Alexis Mabille, présenté le 25 janvier, vierge de toute attente concernant la mode. Après avoir vérifié dix-huit fois que j’ai bien emporté le précieux carton d'invitation, direction la place Vendôme, dans le 1er arrondissement de Paris, pour mon premier show haute couture. Il est 20h.
À mon grand étonnement, alors que la Fashion Week est placée sous haute sécurité, j'entre dans l'hôtel d'Évreux très facilement. Mon sac est ouvert à l’entrée de l’immeuble et l'on scanne mes poches ; j’erre ensuite un certain temps, assistant aux répétitions, sans que personne ne contrôle mon carton d’invitation. En haut du somptueux escalier, cinq salons du plus pur style régence ; salles en enfilade, bordées d’une ou deux rangées de chaises. Les pièces sont très sombres ; chacune est éclairée par un cube de lumière aveuglante. Pour tout décor, des pyramides de chaises de bois blanc, dont le sens m'échappe, encore. L'atmosphère est paradoxale, confidentielle et feutrée, en même temps qu’électrique.
Dans une interview donnée backstage à l’émission "Paris Dernière", Alexis Mabille expliquait que "chaque fille a sa manière de porter les vêtements et de les faire bouger". Pour choisir le modèle qui portera ses pièces, le créateur raconte comment il examine des centaines de filles, pour n'en garder qu'une vingtaine : "On les voit pendant deux jours, on les fait marcher pendant des heures sur de la musique, et on choisit". Durant les quinze petites minutes du défilé, je comprends que c’est exactement ce dont il s’agit.
Reportage : N. Bappel / M. Caillaud / T. Rousseau / R. Carles
20h50 : le premier mannequin apparaît. Une créature altière, évoluant gracieusement dans son fourreau smoking immaculé au milieu de nos rangées moites et entassées. Le temps reste suspendu aux plumes d’autruches qui froufroutent gentiment derrière son pas. Durant les 13 minutes suivantes, les créatures les plus majestueuses qu’il m’ait été donné de voir se croisent, puis disparaissent dans les coulisses à la vitesse de la lumière. Elles laissent dans leur sillage une vague impression de beauté surannée, sobre et sensuelle façon âge d’or d’Hollywood.
Belles d'hier et d'aujourd'hui
Le noir, le bleu nuit et le blanc dominent mais prennent la lumière de mille façons selon les matières et les volumes. Les dentelles ajustées émeuvent par leurs jeux de transparence, ornant délicatement les corps. L’organza enveloppe les fines silhouettes, leur donnant une gracieuse amplitude. Les fameux nœuds, marque de fabrique d'Alexis Mabille, parent discrètement un poignet ou une gorge.Coiffée et maquillée très simplement, chaque mannequin dégage une aura particulière ; toutes offrent des beautés diverses. On salue le retour sur les podiums de Carmen Kass (37 ans), Estelle Lefébure (49 ans), Inna Zobova (39 ans) et Audrey Marnay (35 ans), qui arborent majestueusement leur âge. Celui-ci, sans être, avancé reste rare au milieu des habituelles beautés virginales. Belles d'hier et d'aujourd'hui, ces "beautés intemporelles" incarnent le thème de la collection. Grande joie du défilé Mabille : l'entrée d'une sculpturale Debra Shaw, lovée dans sa fourrure d’été bleue et blanche piquée de plumes d’autruche, la laissant s'épanouir en corolle autour de sa silhouette giacomettesque. Elle est chaudement applaudie.
21h05 : fin du défilé. On m'avait prévenue, la performance ne dure que quinze petites minutes. Tout est allé très vite et j'en ressors comme shootée. Par la musique clubbing entêtante d'abord, la chaleur et la foule ; mais surtout par la majesté et le professionnalisme des mannequins, sur lesquelles l'atmosphère ne semblait avoir de prise.
Certes, j'ai assisté au défilé debout et de profil, coincée entre une chaise, un coude et une magnifique mais douloureuse console d'applique murale en marbre. Mais j'en ressors ravie, ivre de tous ces stimulis très inhabituels, que je pensais réservés à une élite inaccessible. De fait je m'y suis sentie à l'aise, mais parfaitement décalée. J'en retiens que la haute couture est un art vivant, peuplé de créatures étranges vêtues de pièces d'orfèvrerie, qu'elles baladent majestueusement au milieu des mortels, le plus naturellement du monde.
Puisqu'il est question d'ouvrir les défilés au public, peut-être y retournerai-je un jour ... si, toutefois, Paris Fashion Week y consent.
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