A la Paris Fashion Week masculine, Jeanne Friot prône une mode non genrée et made in France
Le 22 juin, au deuxième jour de la Fashion Week masculine printemps-été 2023, Jeanne Friot a présenté sa collection dans le calendrier officiel de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode. Rencontre avec une créatrice dont c'était le premier défilé sur les podiums parisiens.
Résidente depuis la rentrée 2021 à La Caserne - premier accélérateur de transition écologique dédié aux filières mode et luxe en Europe - Jeanne Friot est une créatrice comblée. Elle a dévoilé sa collection printemps-été 2023, le 22 juin, dans le calendrier officiel de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode qui compte, cette saison, 84 maisons.
Outre ce premier défilé à la Paris Fashion Week Homme, la marque est aussi présente à Sphère. Initiatives marques émergentes. Depuis janvier 2020, ce showroom apporte son soutien à de jeunes marques sélectionnées pour leur créativité et leur potentiel de développement à l'international. Cette saison au côté de Jeanne Friot, six autres créateurs -- Arturo Obegero, EGONlab., LGN Louis Gabriel Nouchi, Lukhanyo Mdingi, Steven Passaro et Valette Studio - présentent leur travail du 22 au 26 juin, au Palais de Tokyo.
Après un Bac Arts Appliqués, Jeanne Friot intègre l'ESAA Duperré, où elle lie image, musique, art et mode. Diplômée de l'Institut Français de la Mode, elle travaille, ensuite, comme designer pour Balenciaga, APC & Kitsuné. Elle a lancé sa marque éponyme en 2020 à Paris. Basée sur des valeurs qui lui sont proches, elle est inclusive, non genré et made in France. La créatrice produit des pièces en édition limitée fabriquées à partir de matériaux recyclés ou upcyclés. Elle s'approvisionne localement : stocks morts, tissus écologiques...
Rencontrée la veille de son premier défilé à la PFW, la créatrice à l'aise dans son époque nous explique comment elle a construit sa marque.
Franceinfo culture : vous présentez votre collection à la Paris Fashion Week, pour la première fois. Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
Jeanne Friot : C'est un super bon événement. Je suis ravie d'avoir la chance d'être au Palais de Tokyo (ndlr : au showroom Sphère) et d'avoir intégré la Fédération de la Haute Couture et de la Mode (FHCM). Tout s'est mis en place assez naturellement. J'ai préparé la collection pendant quatre mois en faisant le choix de sauter une saison pour être inscrite à celle de juin et, donc, de me positionner sur l'homme, vu que nous sommes une marque non genré. Juin va être un tremplin pour beaucoup de créateurs : on sort enfin de la pandémie, on a hâte de revoir les vêtements en vrai et d'avoir des événements.
On a rencontré plusieurs fois la FHCM, qui nous suivait depuis le début. Il y a deux mois, j'ai su que je défilais dans le calendrier et, la semaine suivante, que mon travail serait présenté à Sphère pendant une semaine. C'était une super bonne nouvelle d'être dans ce showroom où les acheteurs vont venir nous découvrir. Pendant trois ans on a présenté notre travail en pleine pandémie : personne n'a vu les pièces en vrai et on n'a rien montré aux boutiques. Cela va permettre d'asseoir une vraie maturité, de tester notre positionnement, de découvrir les boutiques intéressées et, surtout, de voir réagir les acheteurs. Là, il faut booster le côté business !
Si vous n'aviez pas intégré le calendrier et/ou Sphère, aviez-vous prévu d'être présente à cette Fashion Week masculine ?
Oui, on aurait peut-être fait notre propre showroom. De toute façon, quand on me dit non, c'est un moteur : plus on me dit non, plus j'ai envie de travailler, de prouver que l'on peut obtenir les choses.
Que propose la FHCM au créateur intégré dans son calendrier ou à Sphère ?
Plein de choses. C'est un accompagnement à part entière : on a un retour sur comment ils perçoivent notre développement, notre collection, s'il manque des pièces. C'est grâce à eux que l'on a l'espace au Palais de Tokyo, c'est une structure incroyable pour des créateurs qui débutent et ont peu de moyen. Cela assure une visibilité.
La Caserne a été, pour moi, le premier pied à l'étrier avec un vrai espace où l'on peut faire venir des équipes, avoir un atelier et faire des rendez-vous. C'est un vrai cadre de travail et un premier "step" pour faire grandir la marque. Après, tout s'est accéléré avec le défilé et Sphère.
Vous avez créé votre marque en 2020 pendant le Covid ?
J'ai fait l'école Duperré à Paris, j'ai bossé pendant mes études avec des stylistes photos pour faire de l'image et du contenu dans plusieurs maisons, dont Wanda Nylon. Après j'ai rejoint l'Institut Français de la Mode (IFM). A la fin de mes études à l'IFM, j'ai passé six mois chez Balenciaga mais je n'avais pas envie d'y rester, je voulais créer ma marque avec mes propres valeurs et être super engagée.
Votre marque défend des valeurs écologiques ?
Il y a plein de messages et mes valeurs. Je voulais que ce soit une marque avec un engagement écologique, qu'elle soit éthique dans sa production. Je n'avais pas envie de faire du mass market (ndlr : du marketing de masse) et de produire des quantités. Alors, je me suis posée la question : est-ce que je peux récupérer des tissus (de grandes maisons) ?. Résultat : j'ai presque des pièces uniques, limitées - à la fin du rouleau de tissu, c'est terminé - et cela crée la rareté.
Votre marque s'affranchit des codes du masculin et du féminin ?
J'avais envie de prôner des valeurs d'inclusivité qui sont les miennes en tant que personne Queer et LGBT, de parler d'une communauté, afin que plusieurs corps et identités puissent s'habiller chez nous. Il n'y a jamais eu de barrière binaire, c'est non genré. Pour moi, le vêtement c'est comme la rencontre, c'est une histoire d'amour. Quand on est face à un vêtement, on tombe amoureux d'une couleur, d'une coupe, d'un style ou de ce que cela nous donne comme pouvoir quand on le porte. L'idée est que tout le monde peut s'habiller chez nous si la personne tombe amoureuse des valeurs que je prône.
Le vêtement véhicule un message ?
Le pouvoir, c'est le vêtement, oui ! Il y a beaucoup de personnes engagées qui me disent "pour une fois, je me sens représentée dans la mode, cela fait du bien. Je n'ai jamais eu quelqu'un qui parlait d'inclusivité, de personnes trans, de non genré, merci". Mon discours est plus compréhensible par les jeunes parce que, pour eux, c'est de plus en plus naturel. Plus on aura ce discours, plus on en parlera et plus cela sera visible.
Vous avez aussi une démarche écologique ?
On travaille beaucoup avec Nona Source, qui est aussi à La Caserne. Cette entreprise récupère les stocks dormants de LVMH et d'autres vendeurs. Tout est déjà produit et je donne une nouvelle vie : je crée des matières à partir de métal, je source des cuirs à La Réserve des arts. Mes pièces, c'est de l'upcycling à 95%. Même pour les jerseys, la matière est issue d'une ancienne matière : c'est de la maille tricotée à partir de fibres recyclées, en France. Notre production est made in France et on essaye d'avoir une traçabilité complète sur tous nos produits : on l'indique sur le site internet ou sur des encarts en papier recyclé accrochés aux vêtements. On vend uniquement en ligne mais j'espère qu'après notre passage au showroom Sphère, on aura des boutiques.
Combien de collections avez-vous produites ?
C'est ma quatrième collection (ndlr : celle du printemps-été 2023) mais c'est comme si c'était la deuxième. Les deux premières collections pendant le Covid ressemblaient plus à des petites capsules.
Et cette collection printemps-été 2023 ?
Ma collection Love is love part de All About Love de Bell Hooks, c'est un livre sur l'amour et la manière dont cela peut-être une force. Son message : on peut aimer qui on veut, quand on veut, où l'on veut. L'inspiration, c'est la fête, le fait de revivre à nouveau. C'est très pop, très disco avec une cinquantaine de pièces très colorées, mais aussi des petits accessoires, des casquettes. Il y a des vêtements très travaillés, ce sont des "pièces bijoux" faites à partir de métal. On a développé des robes et des tops en crochets de chaînes upcyclées. Ce sont des pièces uniques car le métier d'art, c'est important. On a fait également beaucoup de broderies avec des Swarovski sur des pièces upcyclées, et on a, aussi, travaillé l'organza. Enfin, six pièces uniques, coulées dans l'argent, ont été réalisées en collaboration avec la créatrice de bijoux Manon Bachelier.
Ma fourchette de prix est luxe : les matières sont nobles avec un travail de la main important. Elles coûtent de 70 à 9000-10000 euros pour mes "pièces bijoux" qui sont presque de la couture.
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