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Champs de lavande, déserts de sable, calanques : ces grands espaces qui attirent les maisons de mode pour des défilés hors norme

Sur les réseaux sociaux, sur leur site internet ou sur YouTube, de plus en plus de grandes marques publient les vidéos de leurs défilés réalisés dans des lieux exceptionnels. Un attrait pour le plein air qui ne cesse de grandir au fil des années. 

Article rédigé par franceinfo Culture - Jérémie Laurent-Kaysen
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le défilé Printemps Eté 2020 du styliste Simon Porte Jacquemus, le 24 juin 2019 à Valensole, en France.  (ARNOLD JEROCKI / WIREIMAGE)

Un champ de sel, un désert marocain, une carrière de pierre… Ces dernières années, de grandes marques de haute couture et de prêt-à-porter ont fait le choix de la nature pour présenter leur nouvelle collection. Un choix à la fois coûteux et contraignant. Pourquoi cette tendance, est-ce un simple effet de mode ? Zoom sur ces scénographies sauvages ou exotiques qui font le bonheur des invités et des internautes.

Un moment féerique

Blanc immaculé. Les faibles rayons du soleil réchauffent les petits grains de sel qui composent le désert camarguais. Le sol nacré éblouit les invités cachés derrière leurs plus belles paires de lunettes. En juin dernier, pour présenter sa nouvelle collection automne/hiver 2022, intitulée Le Papier, le styliste star Simon Porte Jacquemus a choisi la baie de Salins-de-Giraud, connue essentiellement pour son lac rose. Les mannequins vêtus de blanc, de beige, de voile ou de lin, ont défilé sur un long podium, installé pour l’occasion. "Six minutes de marche, c’est une épreuve", confie la modèle Loli Bahia au journaliste Loïc Prigent avant que le show ne commence. Après avoir choisi un champ de blé, de lavande puis une plage hawaïenne et une calanque marseillaise, le créateur de mode de 32 ans a jeté son dévolu sur un désert de sel. Pour que la représentation voie le jour, plus de 180 tonnes ont été déplacées et sculptées en un mois. "Même les fils, les baffles de son sont noyés en dessous", raconte Simon Porte Jacquemus, amusé, au journaliste Loïc Prigent. "Tout va rester tel quel après le défilé et va retourner à la nature."

Des modèles de chez Jacquemus par le créateur Simon Porte Jacquemus lors du défilé printemps-hiver 2022, près de Arles, le 27 juin 2022. (ARNOLD JEROCKI / GETTY IMAGES EUROPE)

Un pari risqué mais réussi : entre les dunes blanches, le défilé commence et la magie opère. Les mannequins déambulent, leurs étoffes légères dansent sous le vent dans ce paysage lunaire. L'expérience unique et imprévisible émerveille les spectateurs comme les modèles. "Le fait d’être en extérieur rend l’instant encore plus féerique", nous explique Gil Tardieu, scénographe de mode à son propre compte depuis plus de 30 ans. "On est obligé d’accepter l’imprévu, les changements de temps et de lumière… Ça passe ou ça casse."

D’autres que Jacquemus se sont essayé aux défilés dans des lieux à couper le souffle, comme Chanel dans sa carrière des lumières aux Baux-de-Provence ou encore Dior dans le canyon de Calabasas à quelques kilomètres de Los Angeles.

Lieux chargés d'histoire

Et les nouvelles collections dans tout ça ? Le principe d’un défilé est bien de présenter des créations exclusives à de potentiels acheteurs, pas de dévoiler un paysage sensationnel. Pour Simon Porte Jacquemus, les lieux ne sont justement pas choisis au hasard. Chacun d’eux renvoie à l’un de ses souvenirs comme les calanques de Sormiou liées à son enfance à Marseille.

"Ma grand-mère Liline avait son frère ici, à Gardian", explique le styliste au sujet des 11 000 hectares de marais salants qui accueillent sa cérémonie. "On est très attachés à la Camargue." Une collection dans des teintes blanches et beiges pour la Camargue, des motifs et des coupes plus champêtres pour le Parc naturel régional du Vexin… Le jeune créateur accorde ses tenues aux espaces de défilés pour raconter une histoire et justifier les teintes et les modèles de ses dernières créations.

Des modèles de chez Jacquemus par le créateur Simon Porte Jacquemus lors du défilé printemps-été 2021, près de Paris, le 16 juillet 2020. (PASCAL LE SEGRETAIN / GETTY IMAGES EUROPE)

Rareté

Ces shows, grâce à leur originalité et leur photogénie, rencontrent un grand succès sur les réseaux sociaux. Celui de Jacquemus dans un champ de lavande à Lavansol a été vu plus d’1,5 million de fois sur Instagram. "Quand on arrive dans des lieux comme ceux-là, c’est un choc visuel !", nous raconte Julien Da Costa, journaliste reporter d’images spécialisé dans la mode, qui a assisté à plusieurs défilés de ce type. "On ne se trouve pas au Grand Palais ou dans une salle connue de tous. On découvre une collection et un lieu… Ça provoque une sensation assez exceptionnelle."

Une sensation renforcée par le caractère extraordinaire de ces shows, encore rares dans le milieu de la mode. "Pour l’instant ce sont seulement les défilés croisière (qui s'adressent à une clientèle de voyageurs, ndlr) qui vont se prêter à ce jeu-là. Parce que ça touche au voyage. Ou alors c’est parce que les marques souhaitent aller à contre-courant et lancent leur événement hors des timings habituels de la Fashion Week comme Jacquemus et Saint-Laurent. Mais la seule manière de bien faire, c’est de ne pas trop le faire", conclut Julien Da Costa.

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Une organisation compliquée pour un public réduit

Choisir un lieu loin des salles conventionnelles attise la curiosité mais c’est aussi beaucoup plus de contraintes. L’usage de l’électricité est limité, donc les éclairages et les ambiances sonores le sont aussi. Pour les mannequins, pas de coulisses pour se changer rapidement. Ils sont souvent obligés de prendre un moyen de transport pour se rendre jusqu'au podium une fois habillés et maquillés. Des sacrifices qui valent le coup pour se faire remarquer. "Aujourd’hui les collections de prêt-à-porter cherchent à parler au plus large public possible", nous explique Gil Tardieu. "La nature, ça parle à tout le monde, bien plus que les dorures de je ne sais quel lieu d’exception."

Du côté des invités, plusieurs problématiques se posent aussi. Tout d’abord, les faire venir sur le lieu du show. Certains défilés comme celui dans le champ de blé de Simon Porte Jacquemus sont à moins d’une heure de Paris. D’autres, comme celui de Dior dans le désert californien, nécessitent une organisation plus importante et des billets d’avion. Aussi, ces lieux sauvages ou exotiques, adaptés pour l’événement, ne sont pas faits pour accueillir autant de visiteurs que des salles parisiennes, en pleine Fashion Week. Le public doit être réduit et sélectionné. Pour le défilé dans le désert de sel, seulement une centaine de places avaient été installées pour accueillir des invités comme l’actrice Tina Kunakey et son mari, Vincent Cassel, ou encore Victoria Beckham.

Une modèle lors du défilé Dior Croisière 2018 dans le canyon Las Virgenes, à Calabasas, en Californie, le 11 mai 2017. (CHRIS DELMAS / AFP)

Un symbole de puissance

Aussi rares et sélectifs soient-ils, ces défilés créent malgré tout la polémique. La maison Saint-Laurent a organisé, le 15 juillet dernier, un défilé dans le désert d’Agafay, à proximité de Marrakech, pour présenter sa collection masculine printemps-été 2023. Une manière de rendre hommage au créateur de mode Yves Saint-Laurent très attaché au Maroc où il aimait se rendre plusieurs fois dans l’année. Pour que l’événement voie le jour, plusieurs mois de préparation ont été nécessaires : une piscine circulaire a été creusée pour la mise en scène du défilé, une route de 6 km a été aménagée pour permettre aux équipes et aux invités de se rendre sur le lieu du show, un espace VIP et des bâtiments éphémères ont aussi été installés tout autour du podium. Pour la scénographie, la maison a fait appel à l’artiste britannique Es Devlin qui a construit un anneau monumental et lumineux de 12 tonnes, installé au centre du podium.

Le groupe Kering, propriétaire de la marque de luxe, affirme avoir atteint la neutralité carbone pendant le défilé. Il assure que les émissions de gaz à effet de serre ont été calculées et sont compensées par des projets de préservation des forêts. L’équipement créé spécialement pour le défilé pourra être loué, réutilisé, recyclé ou donné à des associations locales, explique-t-il. Quant à l’eau de l’oasis artificielle, elle sera utilisée pour irriguer les oliviers de la région d’Agafay. Pour Kering, ce défilé s’est fait dans le respect de "la stratégie développement durable pour 2025" du groupe. 

Un budget colossal que ne peuvent pas dépenser toutes les marques. Pour son défilé dans le désert marocain, Saint-Laurent a dû financer d’importants voyages de presse, prenant en charge les billets d’avion, le logement dans de grands hôtels et la restauration. "Les défilés en extérieur sont un moyen de montrer sa puissance", assure le scénographe Gil Tardieu. "Il faut en mettre plein la vue, peu importe le prix que ça coûte. L’empreinte carbone est secondaire, l’essentiel est qu’on en parle. L’argent est le nerf de la guerre, même dans la mode". Avant le désert d’Agafay, la maison Saint-Laurent avait investi une plage paradisiaque à Malibu en 2019, puis un cloître vénitien abandonné en 2021.

Dior, Chanel, Saint-Laurent, toutes ces grandes maisons montrent leur hégémonie dans le monde de la mode à travers des défilés d'exception comme a pu le faire Pierre Cardin en 2018 sur la Grande Muraille de Chine, pour célébrer le 40e anniversaire de sa présence dans ce pays.

Le défilé Pierre Cardin sur la Grande Muraille de Chine, le 20 septembre 2018. (FRED DUFOUR / AFP)

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