: Interview Alice Vaillant, Talent émergent des Grands Prix de la création de la Ville de Paris, un label à suivre
À quelques jours du lancement de la semaine parisienne de la mode féminine printemps été 2024, nous avons rencontré Alice Vaillant, fondatrice de la marque Vaillant Studio, récemment lauréate Talent émergent des Grands Prix de la création de la Ville de Paris (depuis 1993, ils distinguent les talents créatifs des secteurs de la mode, du design et des métiers d'art). Elle a présenté sa sixième collection le 26 septembre 2023 au restaurant Georges, sur les toits du Centre Georges-Pompidou. Un défilé "très important" sur "le plus beau musée du monde" avec une vue sur tout Paris. " Sur les toits, on s'élève. C'est ce dont j'ai envie pour ma marque, qu'elle s'élève, grandisse encore et encore", explique la créatrice, dont les pièces ont séduit, entre autres, Bella Hadid et Kylie Jenner. Rencontre.
En 2022, votre label défilait pour la première fois en parallèle de la Fashion Week. Un an plus tard, vous gagnez le prix Talent émergent des Grands Prix de la création de la Ville de Paris.
Alice Vaillant : Et j'étais aussi, cette année, parmi les trois finalistes du prix Pierre Bergé de l'ANDAM. Effectivement, cette année a été bonne pour la marque. J'ai aussi déménagé dans ce nouveau studio qui fait le double de celui d'avant. C'est vrai que cela avance vite, mais je travaille beaucoup aussi !
Qu'allez-vous faire avec ce prix ?
La dotation de 18 000 euros (financée par la Ville de Paris et les mécènes du Fonds des Ateliers de Paris) est une très belle somme qui nous aide pour le défilé, mais c'est très vite absorbé. Elle permet de développer la marque et notre atelier, d'avoir de nouvelles machines, d'embaucher, car on ne peut pas faire une collection seule. Aujourd'hui, j'ai une belle équipe : quatre personnes fixes avec des stagiaires. En période de collection, nous sommes une dizaine.
Avant de lancer votre marque en 2019, vous étiez passionnée de danse ?
C'était une vraie passion : j'ai commencé à l'âge de 7 ans. J'ai fait des concours de danse un peu partout en France quand j'étais petite. Je suis rentrée à l'Opéra de Paris à 12 ans et jusqu'à mes 18 ans, j'étais en sport-étude : école le matin, danse l'après-midi. C’était intense ! C'est un métier extrêmement dur et si on n'a plus la flamme, c'est compliqué. J'ai décidé d'arrêter car je ne ressentais plus vraiment la passion. Je n'avais plus envie d'être l'interprète, que mon corps soit utilisé comme première image, j'avais envie de trouver une place qui était un peu plus en retrait. J'ai toujours été passionnée de mode, maintenant, je suis hyper heureuse. Quand j'ai arrêté la danse, j'étais à Montréal pour danser aux Grands Ballets canadiens et j'ai arrêté au bout d’un mois et demi. Je suis restée faire mes études là-bas : j'avais envie de couper avec tout ce que j'avais pu connaître avant, commencer une nouvelle vie dans un nouveau pays à 8 000 kilomètres. J'ai fait des études de design de mode (un bachelor) dans une école qui n'était pas artistique, mais très technique. Quand je suis rentrée à Paris, j'avais toutes les bases techniques pour coudre un vêtement de A à Z. Alors, j'ai fait un master de créateurs de marque à l'Atelier Chardon Savard.
La mode est un univers que vous aviez déjà appréhendé lors de votre parcours de danseuse.
C'est vrai que plus jeune, j'ai rencontré les couturières de l'Opéra qui venaient nous essayer les tutus, prendre les mesures, faire les retouches. C'étaient de très bons moments qui m'ont marquée. J'avais aussi pu voir, à l'Opéra de Paris, l'atelier dans lequel sont faites les teintures. Cela m'a toujours interpellé, les broderies, les tutus, même si avec ma marque, j'essaye de me détacher de ces codes du ballet classique !
Quel a été le déclic pour devenir styliste ?
Quand j'ai arrêté la danse, cela s'est fait naturellement car j'y pensais même quand j'étais à l'Opéra. Mais c'est vrai qu'entre faire ses études, commencer à travailler et décider de lancer sa marque, il y a un monde. Après ma scolarité à Chardon Savard, j'ai fait des stages. J'ai été au studio Jean Paul Gaultier puis chez Nina Ricci : c'était la première saison des Botter (le duo Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh). Ils étaient jeunes et venaient de gagner le Festival international de mode, de photographie et d'accessoires d’Hyères : cela m'a permis de me dire que c'était possible de se lancer. J'ai eu envie de me laisser une chance et j'avais une soif d'apprendre. J'ai commencé une collection pour un portfolio. Au début, j'étais dans mon salon en train de couper les vêtements toute seule puis j'ai eu une modéliste et là, les choses ont commencé.
La danse a-t-elle influencé vos collections ?
Cela m'inspire oui, et cela a influencé une grande partie de mon sens esthétique, autour du mouvement, de la relation au corps et un peu de la performance. Dans la danse, on a un rapport au vêtement qui est différent : je portais des tutus dans lesquels j'étais un peu maintenue mais, en même temps, il fallait avoir des survêtements, des joggings, des vêtements en tissus techniques pour tenir les muscles au chaud, des guêtres tricotées par la grand-mère. Il y avait beaucoup de superpositions, beaucoup de matières et de la broderie.
Dans mes collections – de façon un peu plus conceptuelle – cela se ressent : j'utilise plein de matières dont certaines techniques, de la dentelle que je travaille avec du jersey ou que je destructure. J’ai des jupettes – comme celles que l'on mettait au-dessus des justaucorps – et du Lycra un peu brillant qui fait penser au justaucorps de gymnastique et de danse ainsi que des robes effet long tutu. Cela m'intéresse de travailler des codes du vestiaire féminin qui sont dits classiques, mais de façon plus libérée, plus contemporaine.
Quel est le concept de votre marque ?
Ma marque, ce sont mes envies, mes interrogations, la façon dont j'évolue, je grandis. Au début, c'était flou : je n'ai pas commencé par un business plan. Mais au fur et à mesure, j'ai structuré mes idées et je continue à définir ma marque. Dualité et contraste sont mes fils rouges. J'aime jouer entre fluidité et rigidité, grosses pièces et d'autres très légères. Je travaille beaucoup la dualité des couleurs avec, sur une même pièce, deux couleurs qui contrastent complètement.
Vos collections explorent le mouvement et la féminité contemporaine.
La collection printemps-été 2024, c'est 70 pièces environ. C'est un peu une suite, je rajoute des éléments au vestiaire de mes collections petit à petit, la marque évolue et montre de nouvelles choses. Ces derniers mois, je me suis beaucoup inspirée de l'architecture, donc j'ai des pièces plus structurées, avec de plus gros volumes, mais aussi des volumes très fins parce que j'adore cela, où l'on voit les doublures qui dépassent des robes. Il y a aussi des nœuds qui rappellent des codes classiques que l'on trouve dans le vestiaire de la lingerie et qui sont déstructurés. J'ai également travaillé les finitions avec beaucoup de bords francs, par exemple.
La palette de couleurs est très tranchée. Au début, je voulais que la collection soit noire et blanche uniquement, car j'avais envie d'un truc fort pour définir des nouveaux basiques, mais finalement, j'ai aussi deux couleurs, le jaune et le violet. J'ai de nouvelles matières qui viennent principalement d'Italie et sont toutes certifiées (Oeko-Tex, Reach, Gods, fausse fourrure recyclée) comme ce coton crêpe et ce jersey cupro. J'aime garder ma base de matières, à laquelle j'en ajoute de nouvelles comme ce crêpe italien, un peu plus luxe cette saison. Les dentelles viennent de deadstocks (stocks dormants) de Calais : beaucoup de pièces sont réalisées avec des bandes, aux motifs différents, assemblées ensemble. J'ai aussi un raphia en dentelle brodée de pierres Swarovski – c'est une collaboration – et des pois de dentelles. Étonnamment, j'ai pas mal d' outwear (vêtements d'extérieur) pour l'été 2024 (rires).
Où sont distribuées les pièces Studio Vaillant ?
Ma collection est disponible au Printemps à Paris, sur mon eshop et la plateforme Ssense.
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