"Le Covid m'a permis de me libérer des carcans du calendrier" : Francisco Terra, créateur de Rolê Paris (ex Neith Nyer), défile hors Paris Fashion Week
La marque Neith Nyer devient Rolê Paris, un mot d’argot né dans les favelas qui peut désigner tout à la fois une histoire d’amour, un vêtement, une fête. Fondée à Paris en 2015 par Francisco Terra, elle portait initialement le nom de sa grand-mère, couturière au Brésil.
"Le Covid m'a permis de revoir plein de choses", confie Francisco Terra, créateur brésilien de la marque française Neith Nyer, aujourd'hui rebaptisée Rolê Paris. Il a organisé le 24 juin 2021 un défilé mais hors du cadre de la Paris Fashion Week masculine printemps-été 2022 et dans son propre format.
Après plus d'un an de confinement et de mode virtuelle, il n'est plus question pour lui de faire un film, option choisie cette saison par l'écrasante majorité. Seules six maisons sur soixante douze défilent en présentiel. "Un vêtement est fait pour vivre, j'étais très frustré avec les présentations digitales l'année dernière, je n'arrivais pas à m'y retrouver", raconte le styliste de 37 ans dans son appartement parisien qui lui sert aussi d'atelier.
Neith Nyer devient Rolê Paris
Traversée par la culture populaire brésilienne, japonaise et par des souvenirs intimes, cette collection artisanale printemps-été 2022 de Francisco Terra ouvre un nouveau chapitre dans sa création. Neith Nyer devient Rolê Paris, un mot d’argot né dans les favelas qui peut désigner tout à la fois une histoire d’amour, un vêtement, une fête.
Cette variété d’interprétations reflète la liberté avec laquelle le créateur souhaite désormais présenter ses créations : hors de toute saisonnalité et des calendriers, au profit de rencontres et de collaborations avec des artistes. Rolê Paris est une proposition pour faire converser librement la mode avec d’autres médias.
A l'origine, Neith Nyer était le nom de sa grand-mère. Durant son enfance passée au Brésil, cette femme qui lui a appris à coudre, lui a également expliqué que concevoir des vêtements n'était pas seulement une question de gestes techniques. Pour elle, c'était une façon de lui raconter des histoires, de lui transmettre des légendes. Depuis sa première saison, la marque s'est donc attachée à développer une vision populaire du vêtement, en reprenant ses références. Un vêtement bon marché acheté dans un marché de banlieue étant considéré autant comme une inspiration qu'une œuvre d'art dans une exposition prestigieuse.
Un défilé, un pop-up store
Le point de départ de cette collection printemps-été 2022, présentée devant une centaine d'invités, est un film des années 80 où la popstar Xuxa campe le rôle d’une exploratrice spatiale qui affronte un virus qui gangrène Rio. Avec un gang d’adolescents elle contre la menace en peignant sur les murs de la ville des myriades d’arcs-en-ciel.
Ce passage de l’ombre à la lumière qui fait écho aux épreuves individuelles et collectives de notre époque se traduit dans les vêtements par une gamme chromatique explosive sur les vingt-cinq pièces proposées : du noir brillant style vinyle au denim écru coloré de façon artisanale en passant par les couleurs arc-en ciel. Les silhouettes sont des réinterprétations libres des looks qui ont fait le succès de Xuxa, connue pour animer les émissions pour enfants mais aussi pour ses éditos torrides dans les magazines de charme. Les références au Japon qui matinent cette collection sont un hommage à Dora Diamant, amie disparue du créateur dont il garde le souvenir flamboyant de nuits passées à Tokyo.
Cette collection est le fruit de collaborations avec des artisans et des entreprises engagées. Le jean conçu avec la marque Denem est marbré grâce à des bains de peintures successifs. Les mailles sont conçues avec l’usine chinoise Chau Rising qui tisse du cashmere recyclé puis teint à l’encre biologique. Les santiags sont une hybridation pensée avec le chausseur brésilien Corcel. Lors du show, les mannequins sortaient d'une installation censée représenter une soucoupe volante aux formes de bouche pulpeuse évoquant aussi le sexe féminin, réalisée grâce au soutien de la fondation Agnès B et de l’atelier 13 fontaines. Le show s'est tenu au Consulat, centre d'art éphémère installé dans une ancienne usine de distribution électrique à Paris.
Le défilé est suivi d'une série d'évènements sur quatre jours dont un pop-up store "pour tester la réaction des clients directement après le défilé" avec conférences et apéritifs, du 25 au 27 juin. Une première, surtout que le lieu accueille aussi d'autres créateurs.
"C'était toujours un sacrifice de suivre" (les grandes marques)
Le créateur n'a pas postulé pour être dans le calendrier officiel comme c'était le cas depuis la création de sa marque en 2017. Si la Fédération de la Haute Couture et de la Mode se vante du côté "démocratique" de son calendrier où toutes les marques sont à égalité de traitement indépendamment de leur renommée et chiffre d'affaires, pour Francisco Terra, c'est un poids, lourd à porter. Car en réalité "toutes les marques n'ont pas les mêmes moyens. C'était toujours un sacrifice de suivre" les grandes.
Autre contrainte : être inscrit aux Fashion Weeks femme. "Cela m'a posé problème, depuis le début. Je me suis libéré des questions du genre, j'ai toujours mélangé les deux dans mes défilés". Et les dates des semaines du prêt-à-porter féminin, en mars et septembre, ne sont pas avantageuses pour une marque comme la sienne, dont les acheteurs qui travaillent pour des "concept-stores" sont à ces périodes à bout de leur budget.
"Je vais assumer le côté artiste et présenter mes collections en dehors du format classique. Le Covid m'a permis de me libérer des carcans du calendrier, de la saisonnalité" faisant que les manteaux commencent à être vendus en septembre et non au moment il fait froid, explique-t-il.
"L'image d'une jeune marque va se faire sur Instagram, avec les célébrités..."
S'il est important du point de vue financier de se montrer à Paris, au moment où les acheteurs sont là, les Fashion Weeks n'ont pas beaucoup d'impacts pour lui en terme d'image, assure Francisco Terra. "Je ne pense pas qu'on a vraiment besoin du calendrier. L'image d'une jeune marque va se faire sur Instagram avec les célébrités et surtout en dehors des saisons".
Ses ventes ont grimpé quand la chanteuse américaine Miley Cyrus a porté une robe en soie rose Neith Nyer ou quand la mannequin star Bella Hadid s'est affichée sur les réseaux en jupe en soie et top asymétrique en latex de sa griffe.
"Des total look rose, peut-être c'est ma couleur", sourit le styliste déterminé à "donner envie à porter des choses colorées à Paris, très chic mais très sombre et foncé surtout en hiver". Des denims clair colorés à la main avec des encres textiles, des haut et bas seconde peau en cachemire recyclé rouge avec un effet marbré, vestes en cuir végétal : dans cette collection colorée "rien n'est nouveau, j'appuie très fort sur le recyclage et l'upcycling". "C'est un défi. Quand on parle aux clients du recyclage ou du bio, ils ont peur que tout est écru, moche, triste", conclut-il.
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