Le Soudanais Mamuor Majeng, d'enfant soldat à enfant chéri de la mode, défile à Paris pendant la semaine de la haute couture
Enfant soldat au cœur de la guerre civile soudanaise, Mamuor Majeng, au physique "qui ne ressemble à personne", s'est propulsé en deux ans de son village au firmament de la mode, devenant égérie Balmain et créateur lui-même, à seulement 21 ans.
Peau ébène et regard noir qui aimante par son intensité, le "top" du moment virevolte, faussement décontracté, dans les coulisses ce 23 janvier de son premier défilé en tant que designer, organisé en quelques jours seulement à l'espace Niemeyer à Paris, en pleine semaine de la haute couture.
Mi-berger, mi-gangsta, le top model basé à Londres est en caleçon sous un immense manteau de fausse fourrure blanche, un clin d'œil aux peaux de bête où dorment les membres de son ethnie, les Dinka, peuple d'éleveurs du Soudan du Sud.
"Tu tapes comme ça", dit-il en donnant une leçon magistrale de "walk" en talons hauts pour les mannequins hommes et femmes qui s'apprêtent à défiler sur le podium pour présenter sa collection hiver 2024-25. "Je pensais que je serais mannequin toute ma vie, mais j'ai commencé à penser qu'il fallait que je fasse quelque chose", explique-t-il à l'AFP dans un sourire qui laisse voir ses "grillz", ces diamants pour dents qui font fureur en ce moment.
"Petit village"
Le destin de Mamuor Majeng s'est joué il y a trois ans lors d'un appel internet de cinq minutes, après que l'adolescent – qui postait quelques vidéos de musique – fut repéré par Yves Constant, le scout spécialiste des modèles au Soudan du Sud.
Terre de mannequins, mais surtout terre de guerre, le pays est ravagé depuis 2020 par un conflit marqué par des atrocités à caractère ethnique, des viols et des tortures, qui a fait plus de 380 000 morts et provoqué une crise humanitaire.
Le jeune homme, seul homme et aîné de sa famille, hésite pendant un an. "Je ne suis pas de ce milieu, (...) je viens d'un petit village. Je me suis dit : c'est un peu bizarre".
La plus grande agence de mannequins au monde, Elite, finit par le recruter, lui prépare son visa et le fait défiler en 2022 à Paris. "C'était une évidence, personne ne lui ressemble, il est hypnotique", résume son agent.
Le milieu de la mode redoute la polémique plus que tout, mais il pratique le "colorisme", cette discrimination à la teinte de peau qui a porté un temps aux nues les mannequins noires plus claires comme Naomi Campbell et plébiscite aujourd'hui la carnation très foncée des Dinka.
Camouflage
Des troubles de son enfance, Mamuor Majeng refuse de parler en mots. Mais il en parle en tissus, couleurs et allures. "On peut faire en sorte que ça ait l'air élégant, mais c'est là-dedans que j'ai été élevé", dit-il à propos de la violence et du trauma. "Quand j'étais attaqué, quand je les voyais s'en prendre à mon peuple, c'est tout ce que je voyais, ce camouflage qui représente l'ennemi", dit-il en montrant une tenue en patchs de kaki.
Plus loin, une mannequin porte un poupon noir en plastique sous le bras. Comme "quand ma mère me portait, moi ou mes frères et sœurs, et que la guerre faisait rage", se remémore celui qui se regarde dans le miroir en se disant qu'il ressemble à sa mère.
La marque baptisée ½ Mamuor est un hommage à la culture "gangsta" et aux bad boys et bad girls qui surmontent la violence. La collection, entièrement autofinancée, est appelée War Zone. "Tout ce qui a lieu, il faut que les générations suivantes sachent que ces choses ont existé", assène-t-il.
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