"Nous avons retrouvé le bonheur de savourer notre travail' : pour les créateurs italiens Dolce et Gabbana, la crise "aiguise l'inventivité"
En novembre, Milan a annoncé la tenue de ses Fashion Weeks de janvier et février 2021 en espérant un retour prochain "aux rencontres physiques". En attendant le retour sur les podiums, la marque Dolce & Gabbana tourne des mini-films diffusés en ligne
Les stylistes italiens Domenico Dolce et Stefano Gabbana, 62 et 58 ans, estiment que la crise de la Covid, source d'énormes difficultés, a été aussi un stimulus incroyable pour la créativité et l'inventivité.
Cette crise les a forcés à lever le pied et à retrouver une ambiance proche de leurs débuts au milieu des années 80, ont expliqué à l'AFP les deux créateurs au cours d'un entretien dans un palais de la griffe à Milan à l'occasion du tournage de mini-films pour les collections haute couture. Ces vidéos sont diffusées en ligne et proposées en lieu et place du traditionnel défilé, Covid oblige.
Comment vivez-vous en tant que créateurs cette période très particulière ?
Stefano Gabbana : Domenico et moi sommes deux personnes positives, nous ne nous sommes pas laissés abattre par le fait qu'on ne pouvait pas faire certaines choses. Mais bien sûr, tout est plus difficile. Mais je dois rappeler que quand la marque est née en 1984, nous n'avions que 3 millions de lires (1 500 euros). Nous faisions des manteaux à partir de molleton parce que nous ne pouvions pas les faire en cachemire, nous faisions des vêtements en jersey faute d'argent pour acheter des tissus plus précieux. C'est une situation que l'on peut comparer à celle d'aujourd'hui : nous ne pouvons pas acheter cela, faire cela. Cela aiguise l'inventivité. Quand Domenico et moi sommes sous pression, nous donnons le meilleur de nous-mêmes. Nous aimons les défis.
Domenico Dolce : Ceci fait partie de l'italianité. Nous sommes vraiment italiens à 1000%. Dans les moments de catastrophe, il faut recourir à l'inventivité, la créativité, ne pas s'arrêter, ne pas pleurer sur son sort, il faut réagir, avec optimisme, positivité.
La situation est compliquée pour le secteur du luxe qui va voir cette année ses ventes chuter de plus de 20% mondialement. Comment cela se passe-t-il pour votre maison ?
Stefano Gabbana : La majeure partie du travail se fait en ligne. Dans certains pays, les magasins sont ouverts comme en Chine, dans d'autres non, notamment en Europe et aux États-Unis. Nous avons enregistré une croissance de 170% en quatre mois sur l'e-commerce car tout le monde achète de cette manière. Il y a un côté positif à cette situation, on s'adapte à un nouveau mode d'acquisition, qui était déjà très développé aux États-Unis et en Amérique du Sud.
Comment avez-vous pu réaliser cette collection haute couture ?
Stefano Gabbana : Nous avons toutes les ressources humaines en interne, les couturiers (ières), les brodeurs (euses), tout est fait à Milan. Nous avons réussi lentement à le faire, nous n'étions pas certains d'y parvenir.
Domenico Dolce : Les défilés haute couture sont prévus généralement six mois, voire un an à l'avance (...) Nous nous sommes demandé : qu'est-ce qui est important en ce moment ? Faire un défilé classique nous semblait un peu inutile, un peu stérile. Au début Stefano était pour faire quelque chose, moi un peu contre. Je ne voulais rien faire mais lui a insisté. Pour nous, cette collection a été thérapeutique. Peut-être que cette situation qui nous a bloqués d'un certain côté, nous a débloqués de l'autre. Nous nous sommes sentis libres de rompre les règles.
Stefano Gabbana : Dans cette collection nous avons proposé des vêtements plutôt classiques, comme une petite robe noire, pour les femmes plus mûres (...) mais pour les plus jeunes nous avons cassé tout ce qu'il était possible de casser et nous avons reconstruit, d'une manière complètement nouvelle.
Est-ce que la crise a changé votre façon de travailler ?
Stefano Gabbana : Avant on avait trop de choses à faire, le rythme était frénétique, là il s'est ralenti.
Domenico Dolce : Il y avait cette angoisse du faire, de manquer de temps, maintenant - et cela nous rend très heureux - nous avons le temps de penser. Nous sommes revenus comme dans les années 1985-86 (...) Nous avons retrouvé le bonheur de savourer notre travail.
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