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Festival Parcours Bijoux : auriez-vous laissé votre vêtement au vestiaire du musée Galliera en échange d'un bijou de l'artiste Yoon Sunwoo ?

Parce qu'il n’est pas seulement précieux, ni décoratif, le festival Parcours Bijoux invite à découvrir d’autres facettes de cet objet de désir au travers de 250 créateurs et designers. Rencontre avec l'artiste Yoon Sunwoo lors de sa performance Le Pari au Palais Galliera à Paris, le 5 octobre.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
La performance "Le Pari" de l'artiste Yoon Sunwoo au Palais Galliera le 5 octobre 2023 : le bijou et le certificat d'authencité (Cheyon Woo, Jaeyoung Kim)

250 créateurs, designers, plasticiens et historiens, français et étrangers, font découvrir les différentes facettes du bijou qui se trouve à la croisée de l’art contemporain, de la mode, des métiers d’art et du design. Jusqu'au 29 octobre, une cinquantaine d’évènements - expositions, performances, conférences dans des musées, galeries, institutions et espaces publics - montrent qu'il est à la fois un objet social, anthropologique et esthétique.

Parcours Bijoux a été créé par l’association D’un bijou à l’autre, qui regroupe des professionnels du bijou contemporain et des représentants d’associations françaises. Soutenu par Francéclat et la Mairie de Paris, ce festival a lieu tous les trois ans à Paris.

Le bijou contemporain s’offre sous autant de formes et interprétations qu’il y a de créateurs, de savoir-faire, d’histoires personnelles, d’intentions et de parcours. Il peut être poétique, ludique, réjouissant, dérangeant, effrayant ou beau ! Le 5 octobre dernier, au Palais Galliera, Yoon Sunwoo invitait le public - venu en nocturne voir une des expositions du musée de la mode - à participer à sa performance Le Pari. Juste avant le lancement, rencontre passionnante avec une artiste qui offre un regard différent sur le marché de l'art.

L’artiste Yoon Sunwoo devant le Palais Galliera à Paris, le 5 octobre 2023. A sa main droite, elle porte l'un des bijoux réalisé pour la performance "Le Pari" dans le cadre du festival Parcours Bijoux. (Corinne Jeammet)

Franceinfo culture : quel est votre parcours ?
Yoon Sunwoo : j'ai eu une vie assez multiculturelle. Je suis à la frontière de plusieurs cultures, langues et pays : je suis née en Corée, puis ma famille a immigré au Canada avant de retourner en Corée. J'y ai passé mon Bac dans un lycée français puis j'ai terminé mes études dans la haute école des arts du Rhin en France. Déjà petite, j'étais intéressée par la mode et le design mais à Strasbourg il n'y avait pas de programme consacré à cette thématique alors j'ai opté pour la section arts, objets, bijoux. Cela m'a permis d'élargir mes perspectives.

Vous revendiquez un statut d'"entre-deux" ?
Oui, je me sens toujours dans un "entre-deux", que ce soit culturel, identitaire mais aussi dans mon travail. J’expérimente et suis dans la recherche d'un statut "entre" sculpture/bijoux, art/design et participation/installation. Je pense que le bijou, surtout dans sa fonction innée du porté, est un outil pour créer cet espace et questionner. Quand le corps devient le socle vivant, il y a un croisement de perspective non seulement du côté de l'artiste mais aussi de celui qui le porte. Dans les expositions de bijoux d'art contemporain, je suis un peu surprise de les voir dans des vitrines : que l'on ne puisse ni les toucher, ni les porter. Ce que je peux comprendre bien sûr : ce sont des pièces uniques fragiles.

Comment appréhendez-vous le bijou contemporain ?
C'est un objet qui doit être porté, c'est sa fonction innée. Il doit être activé pas seulement par l'artiste mais aussi par les autres corps. Le bijou est un outil de perspective, c’est-à-dire le croisement entre le regard du porteur et celui de l’artiste. L’interstice entre ces deux regards existe lorsque ces pièces sont activées sur le corps, le socle vivant comme premier lieu d’expérimentation. Il y a aussi une notion d'attachement personnel quand on porte une œuvre d'art. Je me questionne sur la proximité entre l'œuvre et le public, sur une nouvelle façon de diffuser l'œuvre d'art.

Pour votre première participation à Parcours Bijoux, vous avez opté pour une performance participative au Palais Galliera ?
Pour ma première participation à ce Festival, une fois mon projet sélectionné, il a fallu trouver un lieu. Comme les organisateurs savaient que j'avais besoin d'un site proposant un vestiaire, ils ont demandé au Palais Galliera de m'accueillir.

Un visiteur montre la bague prêtée par l'artiste Yoon Sunwoo au Palais Galliera le 5 octobre 2023 (MATTHIEU GAUCHET)

Dans la plupart de mes projets, le corps est le socle de mon travail donc j'utilise plutôt le terme de "wearable art" (art à porter). Comme mes pièces sont portées, la temporalité de l'œuvre change car chaque œuvre commence et se termine différemment selon son porteur. Il m'était donc naturel d'aller vers la performance plutôt que l'installation.

Dans cette performance, intitulée Le Pari, vous proposez au visiteur d'échanger son vêtement laissé au vestiaire contre une bague numérotée
Cette performance est inspirée des jetons numérotés pour les vestiaires. Ici au musée de la mode, ils prennent la forme d'une bague unique et numérotée que le visiteur reçoit au moment du dépôt de son vestiaire en vue de la visite en nocturne de l'exposition Azzedine Alaia, couturier collectionneur.

Les cintres dans le vestiaire du Palais Galliera dans le cadre de la performance de Yoon Sunwoo le 5 octobre 2023 : y sont accrochés le bijou réalisé par l'artiste et le certificat d'authenticité (Corinne Jeammet)

Au début, j'étais ambitieuse je voulais faire 300 pièces mais au niveau budgétaire, c'était compliqué. Il n'y a que 100 pièces numérotées de 0 à 99, avec chacune une forme différente. Cette dernière est créée en faisant pivoter de 360 degrés le profil de chaque chiffre. J'ai choisi le chiffre car le jeton, à l'origine, possède un chiffre. Chaque bijou est réalisé en cire tournée à la main puis fonte à cire perdue en bronze.⁣

100 personnes peuvent emprunter ces bagues le temps de leur visite, puis décider ou non de les garder en échange de leur dépôt. À eux de peser le pour et le contre de la valeur entre mon bijou et leur vestiaire. Comme le Palais Galliera est un musée de la mode, les visiteurs, qui viennent voir l'exposition, ressentent un attachement particulier avec leur vêtement.

La performance "Le Pari" de l'artiste Yoon Sunwoo 
au Palais Galliera le 5 octobre 2023 : le bijou et le certificat d'authencité (Cheyon Woo, Jaeyoung Kim)

Cette performance est un jeu d'imprévu ?
Je ne voulais pas trop annoncer cette performance pour éviter que le visiteur ne ramène un objet n'ayant pas de valeur pour lui. S'il ne le sait pas à l'avance, il peut alors se questionner sur la valeur de ce qu'il laisse au vestiaire.

C'est centré sur l'expérience du port de l'objet. Pour moi, elle a une valeur, authentique, propre au porteur. C'est un pari, un jeu d’échange et de confiance. En tant qu'artiste, je ne perds pas : si le visiteur fait un échange, c'est un contre don mais s'il n'échange pas, cela m'interpelle. Pourquoi n'a-t-il pas échangé : car je suis une jeune artiste peu connue, car la forme de l'objet ne lui plaît pas, car l'objet est énorme et pas très portable, car il n'est pas en métal précieux ?

L'artiste Yoon Sunwoo au Palais Galliera le 5 octobre 2023 devant un vêtement laissé au vestiaire (Cheyon Woo, Jaeyoung Kim)

NB : interrogée quelques jours après la performance artistique, Yoon Sunwoo nous a indiqué que 87 bagues ont été distribuées lors de cette soirée et 11 ont été retournées au vestiaire, donc 76 personnes ont osé le pari d'échanger leur vêtement contre une bague !

Les vêtements déposés dans le vestiaire du Palais Galliera à Paris dans le cadre de la performance de l'artiste Yoon Sunwoo, le 5 octobre 2023 (Corinne Jeammet)

Cette notion de troc pose la question de la valeur de vos objets artistiques ?
Dans ce projet comme c'est un échange non monétaire, il y a déjà la valeur de l'expérience de chaque participant qui est authentique et personnelle. Lors du dépôt de vestiaire, chacun reçoit un certificat d'authenticité de l'expérience. Ce ticket, qui porte le numéro de son vestiaire, où le visiteur appose son nom et sa signature, porte également l'heure du début et de fin de l'expérience. Une photo de la main portant le bijou est ensuite prise. Outre cette première valeur d'expérience authentique, il y a aussi l'action du don vestimentaire, qui revêt une grande importance pour moi.

Plusieurs visiteurs montrent les bagues prêtées par l'artiste Yoon Sunwoo au Palais Galliera le 5 octobre 2023 (Cheyon Woo, Jaeyoung Kim)

Ces vêtements échangés vont-ils nourrir une suite à ce projet ?
Vu qu'il y a un échange, c'est ma responsabilité de faire un futur projet artistique, faire par exemple une post-exposition avec ces objets échangés. J'aimerais les utiliser comme matière première d'un de mes futurs projets mais comme je ne sais pas quels seront ces objets, je ne peux pas encore envisager la suite.

J'espère poursuivre ce projet qui suscite beaucoup de questionnements et continuer dans le futur avec, par exemple, un vestiaire de piscine, de boîte de nuit. Selon le contexte, cela change les choix.

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