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: Interview Agnès Letestu réalise avec Frédéric Fontan des costumes grâce à des savoir-faire japonais
L’exposition "Synergies entre tradition et modernité / l'artisanat local à la pointe de l’innovation" entre Paris et Nantes est consacrée à l’artisanat nippon : entre autres, des costumes destinés aux danseurs de l’Opéra de Paris réalisés grâce à des savoir-faire transmis par des générations d’artisans japonais. Rencontre avec Agnès Letestu et Frédéric Fontan à l’initiative de cette réalisation.
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4 questions à Agnès Letestu et Frédéric Fontan :
- Pourquoi avoir choisi les tissus de la région de Fujyoshida ? Quelles sont leurs particularités ?
Frédéric Fontan : Depuis 25 ans, je collabore sur de nombreux projets avec le Japon, avec toujours le même enthousiasme que ce soit en tant qu'artiste interprète, danseur, chorégraphe, scénographe… au Japon et pour des projets européens mettant en avant la culture japonaise. En 2017, le service culturel de la préfecture de Yamanashi m'a contacté avec le désir de mettre en place des projets culturels en lien avec leur région. Après plusieurs meetings à Paris, Tokyo et Kofu, il a été décidé de produire le spectacle "Paris Ballet Legends" (déjà joué en Inde, au Vietnam et à Hong-Kong, ndlr) dans une version pour le Japon, en 2020 à Kofu, avec des danseurs de l’Opéra de Paris et une sélection de danseurs japonais. En discutant, je me suis aperçu que de grandes maisons de couture venaient chercher des tissus dans la région de Yamanash qui possède un art ancestral dans ce domaine. L’idée de créer des costumes en utilisant les tissus de cette région, notamment ceux de la ville de Fujiyoshida, est venue de façon très logique. J'ai demandé à mon amie la danseuse Etoile Agnès Letestu, également créatrice de costumes, de se lancer dans ce projet ; véritable star au Japon et amoureuse tout comme moi de ce pays, elle a déjà eu l’occasion de collaborer sur des projets de costumes.
- Comment ont été choisis les thématiques, les matières et les motifs ?
Frédéric Fontan : Agnès et moi, lors de notre visite à Fujiyoshida, avons vu énormément d’ateliers, d’artisans et des milliers de tissus, tous plus beaux les uns que les autres. Dès le départ, j’avais envie de proposer des costumes pour le ballet qu’on pourrait utiliser sur scène, pour des pièces de répertoire. Ce qui cadre énormément la créativité car on était obligé de se référer à la thématique du ballet. J'avais envie que l'on se donne plus de liberté avec la création de ces oiseaux fantastiques très couture qui puissent relier le monde de la haute couture à celui de l'Opéra. Je me suis inspiré de mes références personnelles : "La Flûte enchantée" et "Les Contes d'Hoffmann".
Agnès Letestu : Le processus de création a été inversé par rapport à mes méthodes habituelles, qui sont d’imaginer et de dessiner les costumes en premier, pour ensuite chercher les matériaux correspondants. Pour ce projet, il fallait créer des costumes avec les matériaux de Fujiyoshida. Ne sachant pas ce que j’allais trouver sur place dans les usines, je me suis laissé guider par mes coups de cœur pour ensuite imaginer les costumes et faire les maquettes d’après les propositions des fabricants. Il a fallu que mon imagination se laisse influencer par les tissus que j’avais sous les yeux et non l’inverse... ce qui a rendu le travail de conception beaucoup plus long mais passionnant. J’ai, par exemple, partiellement créé les maquettes avec une superposition de photos d’échantillons, au moyen d’un savant montage Photoshop, pour que le tissu soit identifiable sur la maquette. N’ayant que des échantillons 10 cm sur 10 cm, le travail a été assez long mais très clair et très concret pour les couturières.
Dans les usines de Fujiyoshida, à l'été 2018, j’ai repéré des tissus plumes de paons et un super organza irisé flottant incroyable, qui ont été un déclencheur pour créer les oiseaux. Est venue aussi l’idée à Frédéric Fontan d’utiliser certains costumes pour danser sur scène de grands morceaux de bravoures du répertoire en tutu court : mon instinct m’a guidé vers "Don Quichotte" et "Le pas de l’Esclave" tiré du Corsaire. Les deux costumes d’oiseaux sont destinés à être exposés (ndlr, la Pie et le Paon), car ils sont assez volumineux, tandis que les quatre autres se produiront sur scène ! Les tissus m’ont inspiré deux costumes très colorés pour "Don Quichotte" (le rouge et or) et deux connotés orientaux pour "Le pas de l’Esclave" (bleu roi avec des motifs or).
- Quelles ont été les difficultés pour la réalisation de ces costumes ?
Frédéric Fontan : Les costumes de ballet sont très spécifiques et il y a des matières et des petits accessoires, qui sont propres à cet univers, et que l’on ne trouve pas dans la région. Par exemple les tulles pour les tutus, sont indispensables, tout comme le tissu de crin pour donner de la tenue à certains costumes, tout comme les élastiques transparents, les petits boutons de corseterie et les épaulettes...
Agnès Letestu : La difficulté a été le temps de livraison des matériaux et la disponibilité de certains matériaux, n’existant plus forcément entre le moment où on les a sélectionnés dans les usines et le moment où ils ont été commandés.
- Sur quel spectacle seront utilisés ces costumes ?
Agnès Letestu : La première représentation sur scène sera le 11 août 2019 dans le joli théâtre de Fujiyoshida.
Frédéric Fontan : Avec Agnès, nous sommes tombés amoureux du théâtre de Fujiyoshida, il est flambant neuf, très bien équipé pour le ballet, avec une jolie jauge. Il nous semblait dommage de ne pas montrer ces costumes sur la scène du théâtre de cette ville qui produit de beaux tissus depuis 1.000 ans. Je n’ai pas voulu donner un extrait de "Paris Ballet Legends" (qui aura lieu à l'été 2020) mais plutôt, à l'été 2019, faire un focus sur une diversité de pièces et une diversité de costumes. En tant que directeur artistique du projet, je suis encore en train de finaliser avec Agnès le programme, le casting et le titre. Cela promet d’être un joli moment divertissant avec d’excellents danseurs.
Une expo qui mêle aussi habillement, art de la table et habitat
Inscrite dans le cadre de Japonismes 2018, l'exposition "Synergies entre tradition et modernité / l'artisanat local à la pointe de l’innovation" présente des savoir-faire transmis par des générations d’artisans à partir de trois aspects de la vie des Japonais (I-Shoku-Jû) : l’habillement (i), les arts de la table (shoku) et l’habitat (jû). Ici 250 objets côtoient des ateliers, des conférences-démonstrations et des projections de films. Cette mise en avant de techniques artisanales de 15 collectivités locales montre leur capacité à s’adapter aux besoins des styles de vie contemporains, tout en innovant dans les domaines de la soie, des textiles, de l'art du verre, de la laque, de l'orfèvrerie, de la céramique, du papier washi…
Co-organisée par le Centre Japonais des Collectivités Locales et la Fondation du Japon, l'exposition se tient à la Maison de la culture du Japon (101, bis quai Branly. 75015) et chez Discover Japan (12, rue Sainte-Anne. 75001) du 5 au 16 février 2019, puis à l'Espace Cosmopolis (18, rue Scribe à Nantes) du 20 au 24 février 2019.
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