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Jean Paul Gaultier, le couturier anticonformiste, se déshabille au Grand Palais
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié le 31/03/2015 08:53
Mis à jour le 06/12/2016 06:30
Conciliant tradition et avant-garde, curieux des cultures et contre-cultures, le couturier revendique le droit à la différence en effaçant les frontières entre les cultures mais aussi les sexes. Cette exposition multimédia, avec des mannequins animés, explore ses sources d’inspiration via un parcours thématique. Une étape parisienne, intime et touchante, à découvrir jusqu'au 3 août. Emouvant !
Corinne Jeammet
L’Odyssée renvoie à ce que l’on pourrait appeler les mythes fondateurs de l’univers Gaultier : elle est à l’origine de certaines figures récurrentes dans ses collections, celle du marin, personnage à la fois viril et connoté sexuellement, ou celle de la sirène, qui incarne par excellence la grâce, l’hybridité, la séduction féminine et le trompe l’oeil. L’iconographie religieuse et son détournement - cette façon personnelle qu’il a de convoquer madones, soeurs et icônes - se retrouvent également dans plusieurs de ses collections. Le créateur est fasciné par les univers poétiques de Jean Genet et de Jean Cocteau.
(Corinne Jeammet)
À Londres, qu’il découvre à l’adolescence, le couturier est frappé par le mélange de tradition et d’avant-garde qui règne dans la capitale anglaise. Il puise alors son inspiration à des sources moins conventionnelles : les dandys en chapeau melon croisent les punks tatoués de Trafalgar Square ; leurs tenues dans lesquelles se mélangent latex, cuir, tartan, épingles de nourrice, dentelle et résille nourrissent l’oeil et l’imaginaire de Gaultier. Le point de rencontre entre ces deux mondes, le parisien et le londonien, est donc ce « punk cancan » qui ressurgit tout au long de sa carrière sous la forme de vêtements incarnant à la fois la classe et l’anticonformisme, le classicisme et l’esprit de rébellion. Les plumes, les boas et les froufrous du french cancan côtoient le cuir, le jean et les étoffes à carreaux. Le chic est dans le tailleur, la robe ou le pantalon… pour les hommes comme pour les femmes.
(Corinne Jeammet)
Le Paris carte postale de Gaultier est un univers éclaté, marqué par l’empreinte de diverses époques. Certains symboles et clichés enregistrés par l’oeil du couturier lorsqu’il était enfant - la tour Eiffel, le béret et le trench coat - s’imposent comme des références ré-interprétables. Fasciné par le Paris de la Belle Époque, celui de Toulouse-Lautrec et du Moulin Rouge, celui de Brassaï et de l’Hôtel du Nord de Marcel Carné, par les bistros et des cabarets de Pigalle. Il maintient le cap de l’élégance parisienne en revisitant les silhouettes des icônes de l’après-guerre - Juliette Gréco, Arletty et Michèle Morgan à l’époque de Quai des brumes –, tout en s’inspirant de la bourgeoise, de la concierge et du titi parisien. Dans cette pièce, un podium de défilé a été reconstitué. Les modèles sont annoncés par la voix de Catherine Deneuve.
(Corinne Jeammet)
Tout petit, Gaultier est fasciné par le charme suranné des corsets. Dès les années 1960, le témoin privilégié des premiers élans créatifs de l’enfant terrible, c’est Nana, son ours en peluche. Comme l’explique Jean Paul Gaultier : « Dès mon jeune âge, j’ai expérimenté diverses facettes de la création. J’ai fabriqué mes premiers seins coniques avec du papier journal sur mon ourson Nana. J’ai pris chez ma grand-mère un napperon circulaire, au milieu duquel j’ai découpé un rond pour faire une jupe à mon ours. Sans le savoir, j’ai ainsi fait une coupe en biais ! ». Ainsi, en retravaillant les corsets du début du XXe siècle et les guêpières des années 1940, exhumés des placards de sa grand-mère, il parvient à réinventer des classiques. De cet exercice naissent notamment le soutien-gorge à seins coniques et les sous-vêtements portés sur les vêtements.
(Corinne Jeammet)
Dans la garde-robe de la femme moderne, les robes-corsets symbolisent non pas la soumission et l’emprisonnement, mais le pouvoir et la sensualité. Pour certains, les femmes corsetées de Gaultier apparaissent comme une négation des luttes féministes des années 1960 et 1970, mais en réalité, le couturier provoque plutôt une libération post féministe au chapitre de l’apparence. De nombreuses vedettes portent diverses déclinaisons de ses corsets aux bonnets à surpiqûres concentriques, dont Madonna, pendant sa tournée mondiale Blond Ambition, en 1990. Loin d’être un instrument de torture enfermant le corps féminin, ses corsets se veulent l’équivalent du veston chez les hommes. Ils permettent également aux hommes de renouer avec l’usage qu’en faisaient les dandys et les militaires anglais au XIXe siècle, c’est-à-dire pour accroître leur force et leur endurance.
(Corinne Jeammet)
L’exposition - que le couturier considère comme une création à part entière et non comme une rétro - rassemble 175 ensembles accessoirisés de haute couture mais aussi de prêt-à-porter créées entre 1976 et 2015, accompagnés d'objets et de documents d’archives : croquis, costumes de scène, extraits de films, de défilés, de concerts, de vidéoclips, de spectacles de danse. Et même des émissions télévisées illustrent ses collaborations artistiques les plus emblématiques : cinéma, danse contemporaine, variété française et pop internationale. Une place importante est accordée à la photographie de mode grâce aux prêts de tirages souvent inédits de photographes et d’artistes contemporains renommés.
(Corinne Jeammet)
Gaultier interroge les concepts de genre, de nudité et d’érotisme. Le corps - qu’il considère comme sa base de travail - est pour lui une source inépuisable d’inspiration. Son imagination débridée et sa liberté le conduisent à transformer les matières, qui se changent alors en seconde peau. Il explore les possibilités du trompe-l’oeil, notamment dans ses modèles « tatouages » tissés ou imprimés sur un tulle élastique. Parfois, le vêtement dévoile ou souligne ostensiblement ce qu’il devrait dissimuler. Tout en jouant sur l’illusion de nudité, il bouleverse les codes esthétiques en travaillant des matières peu utilisées par le prêt-à-porter et la haute couture. L’univers qu’il propose est émaillé de pièces qui font référence à des pratiques telles que le bondage, la domination, la soumission. Ses créations intègrent le latex, le cuir, la résille, les harnais et autres éléments associés au sadomasochisme, qui passent ainsi du sex shop au podium. Proposant des vêtements hypersexués qui évoquent des univers à la fois romantique et fétichiste, Jean Paul Gaultier habille les nouvelles amazones, élégantes et provocantes certes mais jamais vulgaires. Son style subversif va influencer la mode contemporaine mais aussi toute une génération de créateurs - de Gianni Versace à Tom Ford.
(Corinne Jeammet)
Gaultier, l’un des derniers couturiers au sens classique, aime la différence. La débusquant dans des mondes encore imperméables à la standardisation de la mode, il respecte les individualités et aime les particularités. De ce travail d’observation naît une nouvelle esthétique, où le vêtement incarne le dialogue entre les cultures, les origines et les ethnies, par-delà les limites géographiques, les croyances religieuses et les barrières linguistiques. Gaultier gomme les frontières, créant des hybrides à mi-chemin entre le monde urbain et les territoires sauvages, entre tradition et modernité, entre animalité et raffinement. Observateur de son temps, le créateur dénonce dans ses défilés les injustices de la société, les tabous, tout en soulignant la beauté des différences dans ses silhouettes. On y retrouve les boléros des toréros, les grands manteaux sombres des rabbins, les gilets venus de Mongolie, les kimonos des geishas, les jupes de flamenco et les masques africains. Ils se combinent avec des éléments et des matières représentatifs de la garde-robe Gaultier tels le corset, le cuir, le vinyle et les paillettes, illustrant la façon dont le brassage des peuples autorise les rencontres enrichissantes.
(Corinne Jeammet)
Le couturier anticonformiste dit de son travail qu’il se situe à mi-chemin entre le musée imaginaire de Malraux et le dadaïsme : il rassemble tout ce qu’il aime, il mixe, matche, collecte et transgresse, puis synthétise cette démarche dans un seul vêtement.
(Corinne Jeammet)
Cette exposition multimédia célèbre l’audace et l’invention de sa mode avant-gardiste et explore ses sources d’inspiration, aussi éclectiques qu’impertinentes, au travers d’un parcours thématique en huit sections. Au-delà de la virtuosité technique résultant du savoir-faire des différents métiers de la haute couture, d’une imagination débridée et de collaborations artistiques historiques, il offre une vision ouverte de la société. Grâce à un dispositif ingénieux, une trentaine de mannequins - muses, mannequins, acteurs, chanteurs... - sont aninmés. Celui de Jean Paul Gaultier en marinière accueille le visiteur : ses yeux et ses lèvres bougent et parlent grâce à système de projection vidéo, conçu par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin de la compagnie canadienne UBU.
(Corinne Jeammet)
"La première personne qui a porté les seins pointus, ce n'était pas Madonna, c'était mon ours Nana!", précise Jean Paul Gaultier lors de la conférence de presse qui a précédé le vernissage de son exposition. Dans sa vitrine, le jouet élimé porte bien les deux cônes de papier journal en guise de poitrine. C'est sur lui que le couturier faisait ses premiers essais. A ses côtés dans cette première salle sont exposées des photos de famille, notamment celle du petit Jean Paul avec sa grand-mère maternelle Marie, qui tenait un salon de beauté où il aimait se réfugier.
(Emil Larsson)
Son goût pour la marinière, devenue son emblème, remonte à l’enfance : « J’aime depuis toujours l’aspect graphique, architectural de la rayure. Ma mère m’habillait avec des pulls marins, ils vont avec tout. C’est un basic, un vêtement qui ne se démodera probablement jamais. Il y a eu plusieurs influences : Coco Chanel, Pablo Picasso la portaient mais aussi Popeye et Tom of Finland. Mais c’est le film "Querelle" de Rainer Fassbinder (1982) qui en a fait mon vêtement fétiche. » L’emblématique rayure incarnant la marque sera déclinée de mille et une façons : en plumes d’autruche, en perles, crochetée, tatouée, avec un dos cage ou en vison, toujours surprenante mais toujours distinctive, elle se réinvente au fil des ans.
(Corinne Jeammet)
A la boutique du Grand Palais, des produits exclusifs (tablier, cahier d'écolier, thé...) sont en vente tout comme l'ouvrage "Gaultier Paris", sous la direction de Thierry-Maxime Loriot aux Editions de la Martinière (65 euros). Montréal, San Francisco, Madrid, New-York, Londres … Le livre Gaultier Paris accompagne depuis maintenant 3 ans l'exposition du couturier. Une exposition qui s’arrête à Paris, avant de repartir à Melbourne et Munich. Depuis 2011, le livre s’est enrichi de 17 nouvelles images et d’une trentaine de nouveaux textes publié à l’occasion de l’exposition du Grand Palais. Il raconte en textes et en images l’histoire de « l’enfant terrible » de la mode, incontestablement l’un des créateurs les plus importants de ces dernières décennies. De sa première collection de prêt-à-porter en 1976 jusqu’à la fondation de sa maison de haute couture en 1997, il est curieux de toutes les cultures et contre-cultures et s’empare de l’air du temps, proposant une esthétique multiculturelle empreinte d’humanisme : détournements, transgressions, métamorphoses, réinterprétations, métissages, il efface les frontières et revendique le droit à la différence, concevant ainsi une nouvelle manière de faire et de porter la mode. Son respect pour le travail manuel et l’élégance en font un des couturiers capables de concilier tradition et avant-garde.
(Editions de la Martinière)
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