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L'art textile hybride d'Annette Messager met sens "Dessus Dessous" la cité de la mode de Calais

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
19 oeuvres et installations, monumentales ou intimistes, sont au cœur de "Dessus Dessous". L'artiste Annette Messager y expose son oeuvre hybride qui évolue dans un monde de fiction autant que d’actualité, associant des éléments autobiographiques intimes et des réflexions féministes. A découvrir jusqu'au 15 mai 2016 au musée des Beaux-Arts et à la Cité de la dentelle et de la mode de Calais.

Marc Domage © ADAGP

Annette Messager aime les mots. Elle les préfère aux phrases ou aux simples lettres. Elle les découpe, les coud, les écrit, les colle, les dessine, les trouve, les transforme, les récupère… Ils sont fait main comme tout ce qu’elle élabore. Ils deviennent des gros mots. Véritables personnages de fiction et de réalité, ils ont un passé et une histoire. Depuis les années 70, elle ne peut pas s’en passer. Elle en a fait les fils de sa pensée. "Fashion Odyssex" est un jeu de mots aussi visuel que linguistique, une espèce en voie d’expansion. Les mots sont croisés, au sens propre comme au sens figuré. L’épopée de la mode devient la fashion odyssex avec ses codes et ses couleurs. La mode est au sexe. Les deux mots ne partagent cependant pas les mêmes corps, ni le même poids. Leurs lettres sont soit en filet anti-aviaire, soit en peluches. Deux univers se croisent. Le tissage et le langage. Mais Odyssex, c’est d’abord le nom d’un sexshop, éclairé au néon rose, rue de la Gaité à Montparnasse qu’Annette Messager voit à chaque fois qu’elle sort du métro. Et l’odyssée, c’est aussi celle des métiers depuis l’Angleterre jusqu’à Calais, entrés clandestinement.
 (M. Domage)
Avec quelques collants unis et tendus, Annette Messager compose quatre figures géométriques pseudo anthropomorphes. D’inspiration primitiviste, entre art cycladique, art africain et art de Papouasie, les collants deviennent des totems. On y voit aussi une affirmation de la symétrie liée à l’art brut d’Augustin Lesage, originaire du Pas-de-Calais comme elle. Ancien mineur, il est devenu peintre après avoir entendu des esprits lui ordonner de le faire. 
 (M. Domage)
Des grandes pattes sombres et colorées s’agrippent au mur. Ce sont des soutiens-gorge tendus en guise de crabe ou d’araignée de mer avec ses petits bourrelets et ses parties plus fines qui s’enchaînent comme des maillons. L’araignée, protectrice et réparatrice pour Louise Bourgeois, ressemble plus à une prédatrice dans l’oeuvre d’Annette Messager. Mais l'animal-tentatrice n’est pas si diabolique. Elle s’amuse avec son costume bon marché, chiné en boutique et sur le marché de Malakoff. Armée de ses plus beaux atours, elle affiche ses dessous comme autant d’emblèmes de séduction. La tension imposée à la matière et la symétrie rendent le tissu plus rigide. Mais avec les push up, elle ajoute du relief à la géométrie, la forme devient dense et le graphisme souple et précis. 
 (M. Domage)
Elle a choisi de manipuler des corps en morceaux. Tous sont recouverts de BlackWrap, ce papier utilisé au théâtre pour masquer ou focaliser la lumière sur les projecteurs. Associant des éléments d’échelles différentes, l’artiste est plus proche de la marionnette ou du jouet. A cette monochromie sombre, mate et fragile, elle fait pendre des cheveux roux et bruns artificiels. Ex-votos contemporains, ils se répandent sur le mur comme autant d’objets magiques. Les longues chevelures sont depuis longtemps les symboles de la sorcellerie. Annette Messager ajoute à son tableau de chasse, ces nouveaux trophées, parures féminines, signes de beauté ou de pudeur. Depuis 1971, quand elle coupe ses très longs cheveux et en conserve pour réaliser des dessins, elle tente de maîtriser cette matière libre et incontrôlable que la femme doit cacher dans certaines circonstances comme si les exhiber poussait au vice.
 (M. Domage    )
L’installation mécanisée se gonfle et se dégonfle sur un rythme régulier entraînant les 3 sphères dans un lent mouvement de respiration. L’oeuvre juxtapose 3 planètes comme elle réunit plusieurs recherches de l’artiste à partir d’un de ces matériaux fétiches, le tissu. Sur la toile blanche ou jaune utilisée par les parachutistes, l’artiste a peint les continents de manière sommaire mais colorée. Des pantins de chiffons, échappés de l'oeuvre "Les Interdictions", sont attachés ou s’accrochent aux planètes. Créée en 2006, la série des "Gonflés-dégonflés", métaphore polysémique sur la puissance/impuissance, a débuté en mettant en scène des organes corporels. Apparaissent à partir de 2008, avec la "Guerre des mondes", des mappemondes et globes gonflés, dissimulés sous des voiles ou en apesanteur au-dessus de ventilateurs en marche, épinglés au mur ou attachés en guise de ventre aux bras et jambes de lilliputiens…Cette oeuvre ne pouvait pas autant résonner à Calais où s’échouent les migrants d’Irak, de Syrie, d’Erythrée… 
 (M. Domage)

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