La Fashion Week de New York, en manque d'énergie depuis plusieurs saisons, se relance
Un nouveau président charismatique et des designers qui reviennent : après plusieurs saisons moroses, la Fashion Week de New York présentant le printemps-été 2020, qui s'est ouverte le 7 septembre, reprend des couleurs.
Depuis son arrivée début juin à la présidence du syndicat américain de la mode CFDA, qui supervise la Fashion Week, le créateur américain Tom Ford fait souffler un vent de changement. Outre son charisme, il a apporté son expérience de marques mondiales (la sienne mais aussi Gucci ou Saint Laurent auparavant) sans frontières. "Je veux une exposition globale à la créativité qu'on trouve à New York", disait-il dans un entretien au magazine Vogue, publié en août. "Tout est trop auto centré dans ce pays. Donc les designers vedettes américains s'en vont. Virgil Abloh, où est-il ? Chez Vuitton".
Outre Abloh, d'autres designers de pointe, comme Rodarte, Altuzarra ou Thom Browne, jadis habitués des défilés new-yorkais, ont choisi d'autres destinations ces dernières années, notamment Paris ou Los Angeles. Le calendrier s'éclaircissait, d'autant que plusieurs références de la semaine new-yorkaise avaient renoncé à défiler, le format ne leur paraissant plus pertinent.
Une fashion week raccourcie à 5 jours
Pour repositionner la Fashion Week de New York, traditionnellement la première de la saison, Tom Ford et le CFDA ont resserré le calendrier, limité à cinq jours au lieu de sept, pour le rendre plus attractif auprès de la presse étrangère. "Une semaine raccourcie est plus économique et expéditive pour les invités, particulièrement ceux qui viennent de loin", explique à l'AFP Steven Kolb, PDG du CFDA (Tom Ford est président du conseil d'administration).
Le retour des grands noms et plus de diversité
Pour la première Fashion Week avec Tom Ford aux commandes qui s'achèvera le 11 septembre, des grands noms font leur retour. Pour la première fois depuis trois ans, Tommy Hilfiger est de retour chez lui, avec l'actrice Zendaya, son égérie qui fait le lien avec la génération Instagram. Rihanna est aussi de la partie avec sa ligne de lingerie à succès Savage x Fenty.
Autre décision forte, Kerby Jean-Raymond mais aussi Virgil Abloh et Carly Cushnie - tous trois noirs - ainsi que Maria Cornejo - d'origine chilienne - ont officiellement intégré le conseil d'administration du CFDA. "Je modifie le conseil pour qu'il offre davantage de diversité, en âge et sur tous les plans", a expliqué Tom Ford au site spécialisé Women's Wear Daily. La décision fait écho aux initiatives du CFDA pour favoriser la diversité sur les podiums, qu'il s'agisse d'origine ethnique ou de morphologie, au point d'en faire une référence mondiale.
Sont notamment attendus les créateurs émergents Tomo Koizumi, Self-Portrait ou Khaite. "La diversité, l'inclusion et le bien-être des mannequins sont des éléments-clés de notre démarche, tout comme le fait de présenter des jeunes talents", insiste Steven Kolb, qui revendique une stratégie de long terme.
Pyer Moss et l'héritage afro-américain
Après deux défilés remarqués en février et septembre 2018, puis une pause la saison dernière, le créateur américain Kerby Jean-Raymond pour la maison Pyer Moss était attendu pour conclure sa trilogie sur l'héritage afro-américain. Avec "Sister", dédié à la chanteuse Rosetta Tharpe, dont le mélange de gospel et de blues est considéré comme l'une des premières versions du rock'n'roll, le designer d'origine haïtienne a transformé l'essai. Sur la scène du Kings Theatre, 60 choristes et un orchestre ont interprété des classiques de la musique noire durant le défilé, de la soul au rap. Avec un casting 100% noir ou métisse, Pyer Moss a célébré un glamour afro-américain, exigeant, sophistiqué, mélangeant les époques. Après le défilé, il a expliqué avoir voulu inventer une esthétique du rock noir, sacrifiée à la domination blanche qui a récupéré ce genre musical. Le créateur a prévenu que sa prochaine collection ne serait pas consacrée à la culture afro-américaine. "Je ne suis pas le type qui parle de la question raciale en permanence", a-t-il dit. "Je parle de choses qui me tiennent à coeur en général." A 32 ans, adoubé par la mode américaine, Kerby Jean-Raymond vient de voir l'équipementier sportif Reebok créer une division tendances spécialement pour lui. Il demeure attaché à son indépendance et sa liberté de ton. "Je me fous de vendre des vêtements", a-t-il expliqué à un groupe de journalistes. "La maison pourrait vendre plus", affirme-t-il, "mais je refuse de fabriquer quoi que ce soit qui n'ait pas un sens."
Tommy Hilfiger affectionne les années 70
Dans le mythique Apollo de Harlem, Tommy Hilfiger s'était offert un défilé dans un décor digne d'un film. Tout, des voitures utilisées pour l'occasion, aux vêtements en passant par la musique sentait les années 70 fantasmées et épurées. Tommy Hilfiger a concocté une collection qui aurait pu être plaquée sur la silhouette longiligne de sa nouvelle muse, Zendaya, qui a participé au processus créatif. Beaucoup de gris, de cuir et de pois, des volants, des chapeaux à larges bords, des ceintures hautes, de grandes bottes, l'imagerie seventies a été retravaillée pour plaire aux jeunes clientes de Tommy Hilfiger.
Tory Burch est inspirée par l'esprit de Diana
Parangon d'un style bohème chic, Tory Burch a décliné les codes de la maison, des imprimés floraux aux motifs colorés surbrodés, avec toujours de la fluidité. Elle a été inspirée cette saison par la princesse Diana. "Je l'ai toujours admirée", a-t-elle expliqué à l'AFP, "Elle avait une audace et, par son investissement dans l'humanitaire, elle était une grande source d'inspiration pour moi." Habituée des silhouettes très verticales et élancées, Tory Burch a donc joué sur le volume, avec de grandes manches amples et bouffantes et des épaules souvent plus prononcées.
La mode durable de Collina Strada
Hillary Taymour n'est jamais où on l'attend avec sa marque Collina Strada. Depuis la saison dernière, elle a pris le virage de la mode durable, confirmé avec cette collection. Quasiment tout est fabriqué à partir de matières récupérées, ce qui ne lui permet que de créer une centaine de pièces par modèle. Collina Strada a produit une série de jeans à imprimés, des robes style wax, ou des jupes très psychédéliques. "Je veux simplement que ça ait l'air frais, nouveau, créer de nouvelles idées en recyclant et utilisant ce que le monde a à nous offrir", a-t-elle expliqué. Très engagée sur la voie de la mode raisonnée, Hillary Taymour dit avoir trouvé des oreilles attentives à son discours lors du dîner organisé par le syndicat américain de la mode (CFDA), où étaient conviés de nombreux designers prometteurs. "J'ai eu le sentiment que tout le monde essayait vraiment d'y réfléchir", a-t-elle dit.
Pour Rag & Bone "La mode doit être divertissante, excitante"
Après trois années de pause consacrées à explorer d'autres formes d'exposition, Rag & Bone a renoué avec le défilé, mais en le conceptualisant, avec danseurs, orchestre et caméra à intelligence artificielle. "La mode doit être divertissante, excitante", a expliqué à l'AFP Marcus Wainwright, co-fondateur de la marque et à la tête de la création. "Il ne doit pas s'agir uniquement des vêtements". La collection, elle, était conforme à l'esprit cosmopolite de la maison, avec beaucoup de légèreté et d'amplitude, une ode à la mobilité.
Jeremy Scott et son atmosphère rétro-futuriste
Jeremy Scott a fait honneur à sa réputation de trublion, avec une cuvée proche de la collection automne 2018, en poussant le curseur vers l'espace. Robes imprimées fluo rebrodées de boudins argentés, jupes, pantalons ou tailleurs tachetés de couleurs vives dans une matière type mylar pour les couvertures de survie, l'atmosphère était très rétro-futuriste. Le défilé s'est achevé sur un extrait de l'album Oxygène de Jean-Michel Jarre.
Christopher John Rogers, le cosmopolite
Christopher John Rogers, originaire de Baton Rouge en Louisiane, fait partie de cette nouvelle génération émergente de designers afro-américains, dont les figures de proue sont Virgil Abloh ou Kerby Jean-Raymond. Ecouter le créateur de 25 ans parler de son inspiration, c'est embarquer avec un imaginaire sans frontière, qui a marié, cette saison, les clowns du cinéma italien, la peinture de Gauguin et les silhouettes des années 1920. "Je voulais me saisir de toutes ces choses et ne pas faire sentir que nous ne pouvons être qu'un", a expliqué Christopher John Rogers. "Nous sommes tout cela." Le designer a aussi mélangé les matières, du lycra à la toile utilisée pour les sacs en tissu, en passant par la laine ou le lin."Nous sommes auto-financés", souligne le couturier, ce qui l'incite à valoriser des matériaux qui pourraient être considérés comme moins nobles que ceux utilisés généralement dans le prêt-à-porter haut de gamme. "Tout ce que nous pouvons trouver, nous en faisons la plus belle version possible."
Christian Siriano et les artistes du "pop art"
Depuis que Christian Siriano a fait défiler, voici trois ans, des mannequins rondes, une première à la Fashion Week, le couturier a été propulsé sur le devant de la scène du prêt-à-porter américain. Le 8 septembre, le spécialiste des robes de soirée, a joué avec les limites du formalisme vestimentaire qui sied aux événements mondains. Il a expliqué à l'AFP avoir été inspiré par les artistes actuels du "pop art", en particulier Ashley Longshore, connu pour sa peinture très colorée. Durant le défilé, sur le podium, la peintre de la Nouvelle-Orléans a d'ailleurs mis la touche finale à de grands portraits de Lady Gaga, Frida Kahlo ou Laverne Cox. Le créateur voulait ainsi célébrer les "femmes puissantes", à travers "l'utilisation de la couleur, la texture, l'humour, mais aussi le raffinement", a-t-il détaillé. Devenu le porte-étendard de la diversité dans la mode américaine, Christian Siriano constate que le secteur tout entier est en train de bouger. "J'espère que nous allons aller plus loin, mais je trouve que nous faisons du bon boulot."
Longchamp et l'artiste féministe Judy Chicago
La maison française Longchamp, qui a défilé pour la troisième fois à New York, depuis la collection anniversaire des 70 ans de la marque en septembre 2018, prône une élégance très parisienne, faisant toujours la part belle à l'univers des sacs et de la maroquinerie. Pour la saison printemps-été 2020, la marque a instillé une touche du futurisme des années 70/80 : combinaisons short à capuche, robes courtes en soie, jupes longues qui jouent la transparence, et une palette de couleurs qui inclut turquoise, abricot ou prune. Aux pieds, des sandales spartiate qui se nouent jusque sous le genou, et des bottes style Star Trek colorées. On retrouve aussi le sac Pliage, produit phare de la marque, décliné en micro-formats, avec une version "nano" pas plus grande que la main. La directrice de la création, Sophie Delafontaine, petite-fille du fondateur, a indiqué s'être inspirée notamment de l'artiste féministe Judy Chicago.
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