La mode s'empare du plastique, le recycle, le valorise, lui donne un nouveau souffle
Face à des clients de plus en plus sensibles et concernés par les enjeux environnementaux et sociétaux, les marques s'adaptent pour faire face à la concurrence, car nombre de consommateurs déclarent avoir déjà délaissé une griffe en faveur d'une autre aux pratiques plus éco-responsables.
Chaque année, ce sont 8 millions de tonnes de plastique qui contaminent et épuisent la source de vie la plus importante de la planète : la mer. Si nombre d'organisations et de gouvernements ont pris des mesures pour tenter d’endiguer ces déchets, la prise de conscience de l'industrie de la mode - hautement polluante par l'utilisation de l'eau et les déchets qu'elle produit - se fait, elle aussi.
Des marques conscientes de ces enjeux agissent à leur échelle pour changer la donne : certaines sensibilisent le public avec un défilé, d'autres transforme, recycle, valorise voire abandonne le plastique.
Schueller de Waal : sensibiliser aux méfaits du plastique avec un défilé
Pendant la semaine de la haute couture automne-hiver 2019/20 à Paris, les stylistes néerlandais Schueller de Waal se sont associés à Pik Pik Environnement pour présenter une initiative de nettoyage collaboratif. Sur la place de la mairie du 15e arrondissement, 50 mannequins - en vêtements confectionnés à partir de restes de tissus de l'atelier, de coupons d'échantillon, de pièces des collections précédentes, de fins de série... - ont nettoyé les rues. Philipp Schueller et Rens de Waal, qui envisagent la mode comme thérapie, ont réutilisé des collections précédentes pour leur donner une nouvelle vie avec cette collection intitulée 'Litter'. Le label a collaboré avec l'artiste textile Aliki van der Kruijs pour les imprimés.
Adidas, Roxy, maison 123 : transformer le plastique en matériau d'avant-garde
Plusieurs enseignes utilisent déjà le nylon à base de plastiques recyclés pour contribuer aux efforts d’élimination du plastique dans les océans et réduire la consommation de matières premières lors de la fabrication de leurs produits. En effet pourquoi perdre ce plastique quand on sait déjà qu’il peut être réinventé pour fabriquer d’autres vêtements.
En collaboration avec l'organisation environnementale Parley for the Oceans, adidas a fabriqué 5 millions de paires de chaussures utilisant du plastique marin recyclé en 2018. Pour 2019, la marque de sport a décidé de produire 11 millions de paires de chaussures à partir de plastique recyclé et revalorisé. Pour Alberto Uncini Manganelli, D.G. d’adidas running "La crise des plastiques marins à laquelle nous sommes confrontés est devenue un problème auquel il est urgent de réagir, d’autant plus que nous ne faisons que l’accentuer chaque jour en utilisant et en jetant du plastique. À chaque minute qui passe, l’équivalent d’une benne de camion pleine de déchets plastiques est rejeté dans nos océans. À ce rythme, d’ici 2050, il pourrait y avoir plus de plastique que de poissons dans les océans. En tant qu’entreprise, nous nous sommes engagés à utiliser seulement du polyester recyclé à 100 % d’ici 2024".
Roxy a lancé sa deuxième collection Pop Surf, composée de maillots de bain et de combinaisons de surf. Les combinaisons sont réalisées avec un néoprène fabriqué à 100% à base de calcaire et de polyester fabriqué à partir de bouteilles de plastique recyclées. Cette collection soutient la Surfrider Foundation, une ONG environnementale qui se bat pour la protection des océans et des côtes d’une manière durable.
La maison Cent Vingt-Trois s’engage elle aussi pour une mode plus durable et responsable, en prêtant une attention particulière au choix de ses matières premières. Confectionnées dans un atelier artisanal français, trois pièces de sa collection estivale sont ainsi en polyester et polyester recyclé à partir de bouteilles en plastique.
1083, Payote, Napapijri, Prada : recycler le plastique à l'infini pour une mode circulaire
La marque éco-responsable 1083 - connue pour relocaliser chaque étape de la fabrication de ses jeans en France - lance son 1er jeans recyclé. Face à la problématique de 70% des déchets terrestres jetés à la mer dont 80% sont constitués de plastiques, 1083 a développé le jeans Infini. La société Antex fabrique le fil Seaqual™ en Espagne (à 80 km de la frontière française), composé de bouteilles plastiques et de déchets marins recyclés. A partir de ce fil 100% recyclé, 1083 le teint à Pont-de-Labeaume (07), le tisse à Coublanc (71) puis confectionne les jeans à Marseille (13). 1083 s’inscrit dans un mode de production vertueux en lui donnant une seconde vie : il est possible de renvoyer gratuitement son vieux jeans et de recevoir en échange une consigne de 20 €. Ce jeans sera alors broyé, puis retransformé en fil afin de fabriquer de nouveaux jeans Infini.
La marque d'espadrilles Payote accompagne l'initiative éco-responsable de Seaqual avec son espadrille en plastique recyclé. En Espagne, Seaqual collabore avec une flotte de pêcheurs qui récupère le plastique dans leurs filets. Ces déchets sont transformés en granules de Polyéthylène Téréphtalate, un plastique 100% recyclable utilisé dans la fabrication d’un fil utilisé pour le tissu des expadrilles. Pour 2020, l’objectif de la marque made in France est de créer un "cercle vertueux de l’espadrille" à travers lequel toutes les Payotes seraient recyclées et réutilisées pour créer de nouvelles paires. Un partenariat a été mis en place avec la société TLC, entreprise de collecte en France.
A la rentrée Napapijri lance Skidoo Infinity, une veste conçue pour être 100 % recyclée. L’innovation technologique provient de sa composition mono-matière : un rembourrage et des bordures en Nylon 6 et un tissu en nylon régénéré Econyl®, un fil de nylon 6 recyclé à partir de filets de pêche abandonnés et d’autres déchets. L’utilisation d'une matière unique assure un processus de recyclage plus simple : les fibres sont réutilisées sans perdre leurs caractéristiques ni leur qualité d’origine. Pour Vicki Bohlbro, la directrice marketing "Les origines de notre marque étant solidement ancrées dans le magnifique paysage alpin, la sauvegarde de la nature a toujours été l’une de nos priorités". Pour proposer une innovation circulaire, Napapijri a mis au point un programme de reprise. Lors de l'achat d'un produit Skidoo Infinity, les clients s’inscrivent en ligne et ont la possibilité de retourner leur veste au bout de deux ans. Celle-ci est alors recyclée pour donner naissance à de nouvelles fibres et de nouveaux produits.
Après ses adieux à la fourrure, Prada a annoncé en juin 2019 qu'il se lançait dans le recyclage des plastiques avec des sacs utilisant un nylon à base de déchets récupérés dans les océans. Le groupe italien lance Re-Nylon avec la société Aquafil qui produit l'Econyl, un fil fabriqué "à partir de déchets plastiques récupérés dans les océans, comme les filets de pêche, ou destinés aux décharges, ainsi que les déchets de fibres textiles et les vieux tapis, qui sont régénérés (...) qui peut être recyclé indéfiniment sans jamais perdre en qualité", souligne la griffe. L'objectif est que tous ses vêtements et accessoires (actuellement fabriqués en nylon classique) le soient en Econyl d'ici fin 2021.
Armine Ohanyan : faire du plastique, une matière d’exception
Le luxe durable est une tendance en plein essor. Même si ces initiatives restent limitées, elles prouvent cependant que des alternatives sont possibles sans brider pour autant la créativité. Ainsi pendant la semaine de la haute couture parisienne automne-hiver 2019-20 Armine Ohanyan - pour dénoncer la pollution de l'air et du monde qui nous entoure - a utilisé des plastiques recyclés (sous forme de plumes) recouverts d'une couche d’or blanc dans sa collection "Letfly". C'est le fruit d'une collaboration avec la maison Daumet qui ne travaille qu'avec de l'or recyclé en personnalisant les matières sans aucun bain chimique.
Courrèges : savoir dire adieu au plastique
En septembre 2018 lors de la Paris Fashion Week, Yolanda Zobel disait adieu au blouson en vinyle iconique de la griffe Courrèges. La nouvelle créatrice de la maison française au style futuriste ayant décidé de renoncer au plastique. Dans les années 1960, André Courrèges - qui a conçu le blouson en vinyle ou les bottes en PVC - considère l'apparition du plastique "comme un symbole fort du progrès". Presque 60 ans plus tard, le message n'est plus le même : "Le message de cette collection est qu'il faut être actifs au présent pour un meilleur futur. C'est notre responsabilité de faire passer ce message par la beauté et par la mode", avait alors souligné Yolanda Zobel en expliquant alors que les dernières pièces en vinyle sont numérotées et proviennent de stocks, qui une fois épuisés, ne seront plus renouvelés.
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