"La naissance des grands magasins" au Musée des Arts Déco : des clefs pour comprendre l'émergence de ces nouveaux temples de la consommation
Le musée des Arts décoratifs consacre jusqu'au 13 octobre 2024, une exposition à la naissance des grands magasins, qui deviennent, au milieu du XIXe siècle les nouveaux temples de la modernité et de la consommation. Le Bon Marché, Les Grands Magasins du Louvre, La Samaritaine et Les Galeries Lafayette dévoilent leurs facettes à travers l'histoire, la politique et la société du Second Empire jusqu'à leur consécration lors de l'exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925.
Dans l'exposition La naissance des grands magasins. Mode, design, jouets, publicité, 1852-1925, affiches, vêtements, jouets et pièces d’art décoratifs - plus de 700 œuvres - permettent de comprendre l’évolution du commerce parisien. Initié par des entrepreneurs audacieux, ce concept commercial bouleverse le panorama de la vente et préfigure l’avènement de la société de consommation, dont voici les clefs.
Faire les magasins, une distraction bourgeoise
Dès les années 1850, les grands magasins jettent les bases du commerce moderne et de la société de consommation dans un contexte d’essor économique. Leur naissance est liée aux réformes structurelles et à la politique économique mises en place par Napoléon III afin de moderniser la France. Les transformations urbaines du Paris d’Haussmann sont immortalisées dans les photographies de Charles Marville et le développement des chemins de fer par des affiches touristiques - que l'on peut, ici, admirer - vantant les nouvelles destinations de villégiatures.
Les grands magasins profitent de l’ascension de la bourgeoisie qui est leur première clientèle. Dans une société où se mettent en place les prémices d’une culture de masse et la naissance progressive d’une certaine modernité des loisirs, "faire les magasins" devient - à l’instar du théâtre, du bal, du café ou du concert - une nouvelle distraction bourgeoise. Ils sont désormais le "royaume de la femme" selon les descriptions d'Émile Zola dans ses carnets préparatoires à l’écriture d’Au Bonheur des Dames.
Le grand magasin : une révolution commerciale
Émile Zola s’inspire directement d’Aristide Boucicaut, fondateur du premier grand magasin parisien, le Bon Marché, qu’il inaugure en 1852. Modèle de l’entrepreneur du Second Empire, il jette les bases du commerce moderne avec des innovations commerciales majeures comme la démocratisation de la mode, l’invention des soldes et des expositions de saisons ou encore l’enfant comme nouvelle cible commerciale et la vente par correspondance.
Elles vont là passer des heures comme elles allaient à l’église : une occupation, un endroit où elles se passionnent, ou elles entrent en lutte avec leur passion de la toilette et l’économie de leur mari, enfin tout le drame de l’existence, avec l’au-delà de la beauté.
Emile Zola, carnets d'enquêtes
Il ne faut absolument pas rater la salle consacrée aux patrons et aux employés : sur ses murs une documentation riche, qui donne la démesure de ces magasins, avec des descriptions, entre autres, des métiers de vendeurs et de chefs de rayons (toiliers, soyeux, indiens, gantiers...).
La démocratisation de la mode : la figure de la Parisienne
Le XIXe siècle est celui de la Parisienne. Ces temples la séduisent : elle peut toucher, regarder et essayer. Une affiche d’Henri Thiriet - destinée à promouvoir une exposition de "blanc" à la Place Clichy - montre le rapport tactile à la marchandise exposée. Le modèle économique sur lequel reposent les établissements – notamment la réduction des coûts de revient – rend possible la mise en place de prix défiants toute concurrence. Une grande partie de la population, française et étrangère, accède alors à des biens jusqu’alors réservés aux élites.
L’habillement, dont la production se mécanise et se rationalise, n’échappe pas à ce processus de démocratisation. Les Grands Magasins du Louvre se flattent d’exercer une influence sur la mode. Certains d'entre eux reprennent des modèles de couturiers et de haute couture telle une robe des Trois Quartiers datée de 1810 qui n’est pas sans évoquer les créations de Paul Poiret.
L'invention des soldes et des expositions
Les grands magasins instaurent une saisonnalité par le biais d’expositions aujourd’hui connues sous le nom de soldes. Parmi elles, le blanc, les gants et dentelles ou les toilettes d’été. Ces évènements permettent de répartir les ventes sur l’ensemble de l’année, réduisant les périodes creuses. Leurs dates sont transmises aux clients par le biais d’agendas publicitaires offerts.
Les affiches réalisées par les grands illustrateurs - Jules Chéret, Jean-Gabriel Domergue et René Péan - jouent un rôle déterminant dans la promotion de ces rendez-vous. La grande variété des accessoires de mode exposés, ici, dans des vitrines - gants, éventails, chapeaux, plumes, bas cols et cravates - rend compte de la richesse des produits qui y sont alors mis en vente.
L’enfant, une nouvelle cible
L’apparition de rayons destinés aux enfants fait écho à la place grandissante qu’ils prennent dans la famille au XIXe siècle. C'est une évolution socio psychologique : leurs vêtements se différencient progressivement de ceux des adultes et les jouets, comme l’illustre un habit de marin de 1910 de la Belle Jardinière.
L’enfant devient une nouvelle cible, on lui propose des jeux d’optique, de construction et d’imitation mimant les métiers ou les activités de la vie quotidienne à l’image d’une machine à coudre miniature Singer. À ne pas rater, cette salle qui expose ses jeux, alors d'une belle qualité et réalisés avec une incroyable minutie !
La vente par correspondance
Au Bon Marché, Aristide Boucicaut met en place la vente par correspondance afin d’écouler une marchandise dont la production ne cesse de croître. Les catalogues de vente, richement illustrés, concourent à élargir la clientèle sur le territoire et à l’étranger. Une affiche de Ferdinand Lunel rend compte de la façon dont étaient acheminées les commandes de la Place Clichy à la banlieue parisienne. Un uniforme des Trois Quartiers illustre l’univers des livreurs.
D’abord annuels, ces catalogues, deviennent saisonniers, se multipliant avec le développement des rayons – arts ménagers, orfèvrerie, porcelaine, éclairage, tapisserie et décoration, articles de voyages. Ils permettent de suivre l’évolution des modes de vie et des goûts de la bourgeoisie en termes de mode, de décoration, d’art ménager et de loisirs.
Les ateliers d’art
Touche finale de l'exposition, la création des ateliers d’art est un phénomène qui émerge dans l’entre-deux-guerres, avec l’apparition d’une nouvelle génération de créateurs soucieux de se regrouper et de renouveler la place des arts décoratifs. Le Printemps inaugure, en 1912, l’atelier de création Primavera, spécialisé dans la production de meubles et d’objets d’art en série. Il recrute de jeunes artistes issus des écoles d’arts appliqués sensibles aux nouvelles tendances esthétiques.
L’évènement symbolisant l’apogée de ces ateliers d’art est l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925. Chaque grand magasin dispose, alors, d’un pavillon lui permettant de promouvoir ses plus belles créations en matière de mobilier, céramique, textile, verre et objets décoratifs.
Exposition "La naissance des grands magasins. Mode, design, jouets, publicité, 1852-1925" jusqu'au 13 octobre 2024. Musée des Arts décoratifs. 107, rue de Rivoli. 75001 Paris. Du mardi au dimanche de 11h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21h.
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