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Le magazine Façade, 40 ans, et toujours impertinent

Alors qu'est sorti en février 2017 le N°16 de Façade, les premiers numéros sont toujours recherchés par les collectionneurs. Façade est un objet culte - ni revue de mode, ni revue d'art - où créateurs et artistes de légende se croisent depuis 40 ans. Rencontre avec Alain Benoist, Hervé Pinard, les fondateurs, et Lydia Goldberg, la directrice artistique.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Façade 16 : 2017, Pierre&Gilles, volume A&B
 (Jean-Baptiste Mondino ©Façade Magazine/Alain Benoist )

Créé en 1976, par Alain Benoist et Hervé Pinard, Façade est lançé à Paris, Saint-Tropez, Tokyo, New York, Londres et Rome. Il bouscule son époque, en affirmant, bien avant l’ouverture du Palace et des Bains-Douches, que fête et création sont deux mots qui vont ensemble. 13 numéros (1 à 14) paraissent, sans date ni périodicité, jusqu’en 1983. En 2013, 30 ans après le N°14, sort le N°15 et le 23 février 2017, le N°16, en deux volumes, pour ses 40 ans. Un grand format, intransportable, dans lequel les doubles couvertures mettent en scène des rencontres improbables devenues légendaires, des personnalités et personnages - pas nécessairement ceux qui font l’actualité - qui se livrent à des performances exclusives… avec toujours le même état d’esprit "fuck la crise et la morosité".

Alain Benoist (créateur de la revue Façade), Lydia Goldberg (directrice artistique), Hervé Pinard (editorial director)
 (Façade Magazine)

Comment est né Façade ?

"L’idée est née très loin et assez haut : Annapurna Base Camp, 4130 mètres. Dans ma tête devant le plus haut sommet du monde, après avoir croisé tigres, singes et quelques sangsues et chemise de smoking dans mon sac, vivre l'aventure avec élégance. Le temps de cette pause zen au cours d'un voyage de plusieurs mois en Asie (Inde, Népal, Indonésie, Malaisie et Japon) une question se pose : que faire au retour en Europe, à Paris underground ? L’idée m’est venue de la création d’un magazine. Il n’y avait pas de titre encore mais l’idée d’une position "passer de l’underground à l’upperground", raconte Alain Benoist.

Hervé Pinard rajoute : "Et puis, il n'y avait rien. Actuel s'était éteint avec les derniers hippies, le cinéma français n'était franchement pas à son apogée et il n'y avait que 3 chaînes de télé..."
Façade 1 : mannequin de l’époque et une petite fille
 (Pierre Commoy ©Façade Magazine/Alain Benoist )

16 numéros en 40 ans. Comment expliquer la non périodicité ?

"Tous ceux qui ont lu le dernier Façade connaissent la réponse : elle est dans le volume 2, une intro titrée "Dialogue" :

- 16 numéros de Façade en 40 ans, ça fait moins d’un numéro tous les 2  ans, ça…
- Même pas. Le N°15 est sorti il y a plus de 3 ans et c’était 30 ans après le N°14.
- Ah bon. Et le N°13 alors ?
- Il n’y a pas eu de N°13. On est passé directement du 12 au 14.
- Et il y aura un N°17 ?
- Oui, sans doute.
- Quand ça ?
- …
- Et si je vous demande qui sera en couverture, vous ne répondrez pas non plus ?
- … Comme disait Roland Barthes : "Le sujet amoureux s’angoisse de ce que l’objet aimé répond parcimonieusement, ou ne répond pas, aux paroles qu’il lui adresse".

Comment s'est faite la sélection des artistes pour le N°16 ?

"C'est un casting artistique et amoureux à la fois. Pierre Commoy a shooté la première couverture. Les premiers, Pierre et Gilles, sont parus dans Façade. Nous avons rencontré Kenzo Takada pour le N°1, nous avons eu envie de continuer la conversation avec lui. C'est bien normal d'inviter à notre anniversaire ceux qui étaient là à notre naissance. Mais sans aucune nostalgie, sans parler du bon temps. Le bon temps c'est celui qu'on passe à créer ensemble, aujourd'hui, hier ou demain. Et puis ensuite, il y a l'alchimie qui se fait, entre tous ceux qui ne se rencontreraient pas, ne se ressemblent pas mais qui jouent la même partition : celle de l'amour/humour/créativité. Tout cela fait une belle histoire à raconter, comme un bon film avec une belle musique. Il n'y a pas de thème imposé, pas de volonté marketée. C'est le mélange des genres et des gens qui crée l'harmonie et l'intemporalité. Et tout ça en totale liberté et dans la légèreté !"

Quels sont les artistes régulièrement présents ?  

"Il n'y a rien de très régulier mais beaucoup d'imprévu. Et tant mieux si Façade est imprévisible. Mais on aime bien les histoires à suivre, avec une suite qui vient quand on ne l'attend plus : par exemple Kenzo avec qui nous avons continué 40 ans après une conversation commencée dans le N°1. Ou Christian Boltanski que nous avions interviewé lui aussi dans le N°1, et pour le n° 15, nous avons fait un tirage sur bâche de cette double page et nous l'avons fait poser allongé dessus. Avec lui aussi nous avons repris la conversation 40 ans plus tard... Mais évidemment, Pierre et Gilles, on les retrouve assez souvent. Individuellement d'abord : Pierre Commoy a fait beaucoup de photos et plusieurs couvertures : la N°1, puis la 4 avec Warhol et Edwige, la N°5 avec Mick Jagger et Sayoko. Celle du N°6, Dali et Eva Ionesco était un des tous premiers Pierre et Gilles. Et leurs premières oeuvres communes, c'est pour Façade... Et maintenant, ils sont sur la cover ! By Mondino, qui lui aussi était dans Façade bien avant d'être célèbre... En fait, plutôt que de régularité, on peut parler de fidélité. L'amour, toujours l'amour...".
Façade 16 : Même lieu, même situation 40 ans après, Kenzo Takada pose sur la terrasse du Plaza Athenée avec Façade n°1 dans les mains
 (Victor Matussière ©Façade Magazine/Alain Benoist)

Quel est l'artiste le plus dans le mood Façade ?

"Andy Warhol. Sans aucun doute, là non plus. C'est l'artiste qui a le plus inspiré Façade, c'est son magazine Interview qui nous a donné l'envie de créer un magazine. Mais tout son feeling, sa démarche, ses multiples expressions artistiques, son obsession des visages, des personnages, c'est-à-dire des "faces" (prononcer à l'anglaise ou plutôt à la new-yorkaise) tout cela se retrouvait dans chaque numéro. Et ça continue ! Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si notre première couv "face to face" c'est Andy Warhol, avec Edwige dans le N°4. C'est ce qui a donné toute sa force au titre, c'est ce que nous avons toujours continué à faire et continuerons. Et c'est parce que Warhol était en couverture que nous avons eu Dali pour le N° 6. Dali était très jaloux d'Andy qui était beaucoup plus star que lui à l'époque".
Façade 6 : 1978, Salvador Dali & Eva Ionesco
 (Pierre Commoy & Gilles Blanchard. ©Façade Magazine/Alain Benoist )
Alain Benoist précise " Il a pointé sa canne sur moi et a déclamé: - Je veuux fairrre la couvertouuurrre!".

Quels sont les artistes que Façade a révélé ?

"On n'aura pas la prétention de dire qu'on a révélé Christian Boltanski mais il y a 40 ans, à part Façade, quel magazine, même pointu sur l'art contemporain, lui aurait consacré une double page ? Art Press ou Flash Art le mentionnaient parfois, sur quelques lignes ou une colonne. Nous, on a décidé qu'on l'aimait, qu'il était là pour durer. On ne s'est pas trompé, Christian Boltanski est aujourd'hui le plasticien français contemporain le plus connu dans le monde..."
Façade 4 : 1977 Andy Warhol & Edwige
 (Pierre Commoy ©Façade Magazine/Alain Benoist )
"Nos premiers dos de couverture ont aussi révélé des personnalités : Edwige (avec Warhol) que nous avons baptisée "La Reine des Punks" ou Sayoko (avec Mick Jagger), la première top japonaise qui a fait une carrière internationale avant de se consacrer au théâtre. Eva Ionesco aussi, Infante d'Espagne (avec Dali), qui a fait son chemin depuis. Et Djemila en James Bond Girl (avec Nicholson)...".
Façade 5 : 1977  Mick Jagger & Sayoko 
 (Pierre Commoy ©Façade Magazine/Alain Benoist  )
"Pierre et Gilles, oui, c'est une révélation et une consécration Façade. Leurs premières images, la première fois qu'ils réalisent une couverture de magazine, on en a déjà parlé mais on peut le redire : c'était avec, pour, dans et en Façade ! Cela dit, notre but n'était pas de les révéler au public, en tous cas pas de dire qu'on les avait découverts. Ils étaient là parce qu'on appréciait leur talent et parce qu'on les aimait tous les deux. Et on les aime encore et toujours. Dans Façade, il n'y a que des histoires d'amour...".

"Façade a permis aussi à pas mal de jeunes photographes d'avoir leurs premières publications. Patrick Swirc, considéré aujourd'hui comme l'un des meilleurs portraitistes, a débarqué, venant de Saint-Etienne, avec un dossier de photos prises à la morgue, de corps disséqués. Sujet discutable mais lumière magnifique. Nous l'avons ramené à la vie, il a shooté les covers de Gainsbourg avec Dalida et de Charlotte Rampling avec Keith Richards. Et Alain Benoist de rajouter : "Et il ne savait absolument pas qui était Keith Richards !".
Façade 12 : 1982, Serge Gainsbourg & Dalida
 (Patrick Swirc ©Façade Magazine/Alain Benoist )
Et dans celui du 40e anniversaire, il y a aussi des nouveaux talents : un jeune photographe, charmant et très créatif, à qui nous avons confié le shooting de Kenzo Takada au Plaza Athénée, de Philippe Manoeuvre à la Mairie du 4e, ou encore de Jacques Séguéla allongé sur son bureau. Retenez son nom : Victor Matussière. Et parlons aussi de ce nouveau portraitiste, artiste du noir et blanc, Roumain et Marseillais d'adoption : Marian Adréani. La série Marseille Faces, c'est lui. Mais n'oublions pas quelqu'un qui se révèle excellente directrice artistique, sur le print comme en vidéo : the Façade Girl, Lydia Goldberg !
Dans le Façade N°16, un duel théâtral en 3 actes oppose Philippe Manœuvre à Emmanuel de Brantes dans la salle de Bal de la Mairie du IVe arrondissement
 (Victor Matussière ©Façade Magazine/Alain Benoist)

Le graphisme a-t-il évolué ?

"Parlons d'abord de ce qui n'a pas changé : le titre. Une typographie qui n'est répertoriée nulle part. Je l'ai dessinée moi-même en 1976" précise Alain Benoist.

"Quand Façade N°15 est sorti, après 30 ans sans parution, fallait-il faire évoluer cette typo pour faire "moderne? Ben non. Changer la façade aurait été une trahison. Vis-à-vis de nous qui l'avions créé, vis-à-vis de tous ceux qui l'attendaient. De même pour les pages intérieures. Comme Façade n'a jamais eu de charte graphique, ni d'ailleurs de ligne éditoriale, on a continué à concevoir chaque double page comme une pièce unique et intemporelle. Ce qui a vraiment évolué, c'est la technique. On est passé des docs en carton, avec typo commandée à New-York et reçue une semaine après, au Mac Intosh : tout, tout de suite. Ce qui ne veut pas dire qu'on a accéléré le rythme. Au contraire, cela laisse le loisir de faire et refaire, réfléchir et tout jeter pour recommencer. Pour chaque sujet, à chaque double page. Cela peut avoir parfois un aspect incunable, comme le sujet de Lola et Solange, avec les "guillebites" inventés par Lydia, ou cela peut reprendre le look du N°1 comme avec Kenzo. De toute façon, c'est vivant, c'est une grande rigueur, une énorme exigence et une totale liberté. Nous voulons seulement créer, si on se posait la question de devoir évoluer, cela voudrait dire que nous sommes dépassés. Si cela arrive un jour, nous arrêterons définitivement. Mais pas maintenant!".

Quel est votre couv préférée ?

"La dernière avec Pierre et Gilles. J’adore cette couverture, parce que toutes les autres m’ont inspiré pour faire cette couverture là" précise Alain Benoist.
Façade 16 : 2017, Pierre&Gilles Volume A&B
 (Jean-Baptiste Mondino ©Façade Magazine/Alain Benoist )

Qu'en est-il de l'esprit fête de Façade ?

"L’esprit de fête anime Façade en permanence. On conçoit chaque sujet comme si on organisait une fête et la sortie de Façade n'est pas une opé de promo mais c'est une fête. Ce que nous avons fait pour le lancement de ce numéro anniversaire chez Colette devait être une séance de signature. Assis, stylo à la main, attendant le chaland... Nous on a fait "Signatures en Série": toutes les personnalités présentes dans le N°16 étaient conviées et ont eu la surprise de se rencontrer. Chacun était sollicité, tout le monde s'est amusé. Et tous ceux qui sont venus ont rencontré, ont fait signer, sont repartis heureux avec 15 ou 20 autographes de stars en ayant l'impression d'être allés à une fête de privilégiés... L'esprit fête de Façade, c'est notre désir absolu de donner du plaisir en en prenant. C'est ça l'amour, non?". 

Quels lieux ont remplacé le Palace et les Bains Douches ? 

"On ne peut pas les remplacer. Ce sont des lieux mythiques, une représentation exacerbée de cette courte période où tout était permis. Mais on s'amuse toujours à Paris. Le nouveau Bains Douches de Jean-Pierre Marois est un lieu très agréable. Et nos amis Marc et Emmanuel de la Club Sandwich, que nous avons mis dans le N°15, savent aussi ce que la fête veut dire : allez au Manko, c'est ça le cabaret du XXIe siècle ! Et il y a aussi les soirées de la Madame Claude organisées par Fabrice Gilberty. Et le Bal Con de notre chère Solange. Paris est toujours une fête". 

Façade en un seul mot, ce serait ?

"Façade, toujours Façade. Façadesque. Façadien, Façadique, Façadissime, Façade addict. Devant, derrière la façade, on n'est jamais trop Façade".
Les 16 couvertures du magazine Façade
 (Façade Magazine)

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