Les défilés s'ouvrent au handicap à la Tokyo Fashion week
Dans un show peu conformiste pour la marque "tenbo", Takafumi Tsuruta a mis à l'honneur de jeunes femmes handicapées pour présenter ses collections excentriques. "Ces vêtements sont destinés à n'importe qui dans le monde. Je pense que c'est de notre responsabilité d'imaginer des habits tendance mais faciles à porter." Sa collection automne-hiver 2015-16, sur le thème du "rêve", pousse la commodité jusqu'à l'emploi de boutons magnétiques ou de pulls réversibles, avec l'envie de séduire un public plus large que celui ciblé d'ordinaire par les grands couturiers.
Atteinte d'une maladie rare qui l'a laissée sans membres, Ami Sano n'aurait jamais pensé défiler sur un podium. "Pour nous, c'est super d'avoir des vêtements simples d'utilisation", se réjouit la jeune femme. "Et je pense que les gens en général apprécieront ce type de créations, qui peuvent s'arranger de diverses manières." Dans un final émouvant, la mannequin est apparue dans une robe de mariée blanche sur son fauteuil roulant. Déplorant "le mur" qui sépare encore au Japon les handicapés du reste de la société, elle juge que ce genre de démarche peut contribuer à lever les préjugés. "J'aimerais que les gens continuent à garder espoir", souffle-t-elle.
Rina Akiyama, aveugle, a fait sensation, arborant une robe trapèze à gros points inspirée du système Braille. Médaillée d'or de natation aux jeux Paralympiques de Londres en 2012, elle a salué un tel événement, "très rare" au Japon, qui montre le chemin pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2020 à Tokyo. "Je pense qu'un nombre considérable de personnes handicapées restent recluses chez elles", regrette cette sportive employée d'une firme pharmaceutique.
Le public a aussi pu découvrir cette semaine deux mannequins équipées de prothèses de jambes, dont Sayaka Murakami, qui se prépare à concourir aux épreuves d'athlétisme des jeux Paralympiques de Rio l'an prochain. "A l'avenir, veut-elle croire, les handicapés ne seront plus forcés d'abandonner leurs rêves de mannequinat et auront la possibilité de travailler dur pour les réaliser."
Les mannequins de la vraie vie : New York précurseur
L'actrice américaine Jamie Brewer, qui souffre du syndrome de Down (trisomie 21), a défilé à New York dans une création de Carrie Hammer. Cette couturière a lancé en 2014 une campagne visant à mettre en valeur des mannequins de la "vraie vie", sélectionnés pour leurs réalisations professionnelles. C'est ainsi que la première femme en chaise roulante avait ouvert la voie dans la capitale de la mode américaine.
Le Britannique Jack Eyers a aussi été le premier mannequin amputé à se produire à New York. Il portait des créations d'Antonio Urzi, auteur d'une collection haute couture pour handicapés que le jeune homme a également présentée à Milan.
Sur les podiums paradent de jeunes femmes élancées, souvent blondes. "C'est un peu étrange", confie Rika Tatsuno, une des rares top models du cru. "C'est certain, nous aimerions voir plus de Japonaises". Les Asiatiques en général sont peu nombreux (seulement 10 à 15%) et la diversité ethnique bien faible durant cet événement. Et quand elles apparaissent, c'est quasiment toujours vêtues de "wafuku" (tenues japonaises) comme les kimonos du créateur spécialisé Jotaro Saito. Dès que l'on aborde le registre occidental ("yofuku"), les mannequins locaux peuvent rester au vestiaire, même s'il s'agit de collections de facture japonaise destinées à un public de même nationalité. "C'est tout à fait normal", se justifie Hiroki Uemura, qui a fait ses premiers pas avec la griffe "ByU", version adulte de la populaire esthétique "kawaï", mâtinée du style "dépareillé" de la comédienne et chanteuse britannique Jane Birkin. "Si je dessinais des habits traditionnels, je choisirais des mannequins japonais. Dans mes collections, je cherche certes à mettre en avant l'aspect made in Japan mais les Japonais sont attirés par l'Europe et les pays étrangers, donc pour promouvoir l'image de la marque, je fais appel à des mannequins venus d'ailleurs", explique-t-il. L'Ukrainienne Kali Myronenko, qui a découvert la scène tokyoïte quand elle avait 17 ans, s'est installée dans la capitale où son apparence diaphane lui attire des contrats. Pour elle, tout s'explique par la fascination des Japonais envers l'Occident, qui va jusqu'à en pousser certains à se blanchir la peau, se décolorer les cheveux et se coller des lentilles de couleur bleue sur les yeux. Kali Myronenko "adorerait" côtoyer un plus grand nombre de mannequins japonais à Tokyo, où le travail est plus agréable qu'à Paris ou Milan. "J'adore la manière d'être des Japonais, le respect avec lequel ils traitent leur interlocuteur, quel que soit son rang".
"Nous avons envie de regarder défiler des gens que nous considérons comme l'archétype de la beauté", telle qu'érigée par les magazines de mode, souligne Kaori Yasuike, qui travaille dans les relations avec la presse. En 2014, Vogue Japon n'a ainsi consacré qu'une de ses quatorze unes à une Japonaise, selon le forum en ligne "The fashion spot". Pour dénicher la perle rare, les agents japonais s'aventurent en Europe de l'Est ou en Russie et concoctent des contrats attractifs incluant billets d'avion et appartements... raconte Bobbie Tanabe, directeur de casting de la Fashion week. Au final, il leur en coûte deux fois plus que s'ils recrutaient sur place. Et pendant ce temps, les jeunes mannequins japonais vont tenter leur chance dans d'autres cités de la mode. En optant pour des mannequins étrangers, la Fashion week de Tokyo, lancée il y a une dizaine d'années mais qui peine toujours à attirer les grands noms de l'habillement, espère aussi se faire une place internationale. Les couturiers "ne peuvent pas juste cibler le marché asiatique", concède Rika Tatsuno.
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