Les surprenantes robes avant-gardistes de la créatrice de mode néerlandaise Iris van Herpen au musée des Arts décoratifs à Paris
Jusqu'au 28 avril 2024, le musée des Arts décoratifs rend hommage à la créatrice de mode néerlandaise Iris van Herpen. L’une des figures les plus avant-gardistes de sa génération transgresse les codes du vêtement conventionnel avec ses créations aux designs sensuels, capturant la diversité et la complexité de la nature.
Née en 1984, Iris van Herpen grandit dans le village de Wamel en osmose avec la nature et le monde du vivant qui sont, avec la danse classique et contemporaine qu’elle pratique dès son plus jeune âge, les éléments fondateurs de son rapport au corps et au vêtement. Après une période formatrice auprès d’Alexander McQueen et de Claudy Jongstra, elle fonde, en 2007 à Amsterdam, sa maison qui allie les subtilités des traditionnels savoir-faire de la couture avec des techniques innovantes. Elle intègre, quatre ans plus tard, la Chambre Syndicale de la haute couture à Paris. L’année 2010 marque un tournant dans sa carrière, lorsqu’elle présente sa première robe en impression 3D issue de la collection Crystallization, actuellement conservée par le MAD.
L’exposition Iris van Herpen Sculpting the Senses interroge la place du corps dans l’espace, son rapport au vêtement et à son environnement, son avenir dans un monde en mutation. Une centaine de robes dialoguent avec des œuvres d'art contemporaines, installations, vidéos, photographies et œuvres issues de l’histoire naturelle telles que celles de Philip Beesley, du Collectif Mé, Wim Delvoye, Rogan Brown, Kate MccGwire, Damien Jalet, Kohei Nawa, Casey Curran, Jacques Rougerie, ainsi que des créations de design de Neri Oxman, Ren Ri, Ferruccio Laviani et Tomáš Libertíny, ainsi que des pièces provenant des sciences naturelles comme des coraux ou des fossiles.
Cette rétrospective recense en neuf thématiques l’essence même de son travail fusionnant mode, art contemporain, design et sciences. Une évocation de son atelier à Amsterdam et un espace dédié à ses défilés complètent l'exposition accompagnée d’une œuvre sonore réalisée par l'artiste Salvador Breed.
L’eau et les rêves
Le thème de l’eau et les origines du vivant, omniprésents dans l’œuvre de la créatrice, inaugure le parcours qui débute par une première salle qui lui est consacrée : liquide, solide, gazeuse, elle apparaît régulièrement dans ses créations jusqu’à devenir le sujet principal en 2010 de la collection Crystallization. Composante majeure du corps humain, l'eau surgit de ses robes sous forme de goutte de pluie, tsunami, écume, liquide cristallisé, ondes, bulles suspendues dans l’espace, éclaboussures transparentes, vagues. La créatrice fait appel à un éventail de matériaux et de techniques, allant du verre soufflé au plexiglas thermoformé, de la découpe laser au Suminagashi, technique japonaise de dessins marbrés à l’encre pour donner vie à cet univers aquatique sur des robes toutes plus incroyables les unes que les autres.
Le monde, invisible à l'œil nu, qui se cache sous la surface des océans la captive également. En 2020, dans sa collection Sensory Seas, elle s’empare de cet écosystème et du bestiaire planctonique et des animaux marins pour dessiner les lignes et les textures de ses robes. Les êtres unicellulaires et la famille des hydrozoaires, dont les méduses, l'inspirent et la créatrice les transpose alors dans l’univers de la haute couture.
Les forces du vivant
La fascination d’Iris van Herpen pour les formes issues de la nature, l’a amenée à réfléchir à la morphogenèse [ensemble des lois qui déterminent la forme, la structure des tissus, des organes et des organismes] et aux forces créatrices aux origines du vivant. L’infiniment petit et les planches illustrées du biologiste Ernst Haeckel qui mirent en lumière au XIXe siècle les êtres microscopiques l'ont passionnée. Sa préoccupation pour la préservation de l’environnement l’incite à éveiller notre regard sur le monde comme dans sa collection Earthrise, en collaboration avec l’artiste Rogan Brown, où elle magnifie le plastique recyclé.
Le squelette incarné
Cabinets de curiosités et galeries d’anatomie sont aussi des inspirations pour Iris van Herpen qui analyse squelettes mais aussi muscles, tissus pour proposer plus qu’un vêtement, plus qu'une robe, des structures hybrides, mutations d’anatomies complexes se dessinant tel un corps en extension. Elle met en lumière ce qui ne se devine qu’à travers la faible transparence de la peau ou le génie de la machine. Elle propose en quelque sorte une IRM artistique !
La dynamique des structures
La créatrice s’intéresse aussi à l’existence des structures qu’elles soient naturelles ou artificielles, organiques ou architecturales pour en extraire des écosystèmes, des processus de croissance, des interconnexions. Les champignons composent ce monde à part, tissé d’enchevêtrements de filaments de mycélium, qui la séduisent tant par la beauté de leurs réseaux que par l’intelligence de leur système. Ode à la nature, sa collection Roots of Rebirth est, par exemple, un hommage à cette toile organique souterraine.
Atelier alchimique
À l'étage, l'exposition se poursuit avec une salle qui a beaucoup d'importance dans le parcours de la créatrice : son atelier, où elle réalise ses collections à Amsterdam, dans un ancien entrepôt, devant de larges baies vitrées ouvertes sur la rivière. Entourée de son équipe, chacune de ses collections débute par des expérimentations autour des matériaux. Cette démarche qu’elle qualifie de "craftolution" s’appuie sur les liens étroits entre artisanat et nouvelles technologies projetant la haute couture vers un nouvel avenir.
C'est ainsi qu'elle ouvre la voie à des alternatives plus durables et responsables grâce à son approche multidisciplinaire en revisitant les méthodes de fabrication, l’amenant à collaborer avec de multiples experts. Chacune de ses créations est un équilibre subtil d’inventivité, comprenant un éventail de techniques allant du moulage en silicone, de l’impression 3D et de la découpe au jet d’eau au plissé ancien et à la sculpture aimantée.
Mythologie ténébreuse
Native du village de Wamel, proche de Den Bosch, la ville du peintre flamand Jérôme Bosch, Iris van Herpen a grandi en examinant les figures fantastiques de l’artiste mêlant alchimie, mysticisme et allégories. Elle en garde un goût pour l’hybridation et le foisonnement questionnant la nature animale et humaine, les fusionnant en des êtres chimériques. À travers ses découvertes - faites dans les collections du Embassy of the Free Mind, à Amsterdam et dans les cabinets de curiosités -, elle explore les émotions de ces mondes imaginaires. Des Métamorphoses d’Ovide à la mythologie japonaise, elle aime aussi réinterpréter les mutations de notre monde.
Nouvelle Nature
Dans de nombreuses collections, les silhouettes d’Iris van Herpen, habillées de lignes de vie, célèbrent un nouveau concept de nature futuriste. En présentant des perceptions d’un avenir imaginaire, elle questionne les distinctions entre nature et artifice face à une société fascinée par la présence croissante du virtuel. Dans les collections Syntopia, Escapism et Voltage, elle interroge les liens étroits entre sciences et technologie. Iris van Herpen fusionne ainsi les disciplines, les tisse les unes avec les autres, pour donner naissance à une nouvelle définition de la mode. Le vêtement, métamorphosant le corps en être hybride, incarne une vision futuriste de notre monde.
Voyage cosmique
Ce voyage immersif dans l'univers singulier et hybride de la créatrice s’achève sur une présentation de ses œuvres comme projetées dans le cosmos et ses mystères. Dans cette scénographie, ses robes flottent dans les airs au milieu d'œuvres photographiques de l’artiste Kim Keever et de prises de vues de nébuleuses. Elle s’inspire tout autant des dernières découvertes que de l’histoire des arts et des sciences, des cartes anciennes d’Andreas Cellarius que des images du télescope James Webb. Le monde se développe dans toutes ses dimensions, comme un multivers, sans frontières si ce ne sont celles de l’esprit et de son imaginaire, de l’âme et de ses voyages cosmiques.
Exposition Iris van Herpen Sculpting the Senses jusqu'au 28 avril 2024. Musée des Arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris. Horaires : du mardi au dimanche de 11h à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h.
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