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Didier Ludot, l'antiquaire de la haute couture, vend sa collection "Mon défilé secret" aux enchères : "J'ai encore plein de robes à sauver"

Avec cette vacation, Didier Ludot souhaite défendre un patrimoine français, rendre hommage aux artisans de la haute couture et faire connaître aux nouvelles générations des couturiers injustement oubliés. Rencontre

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 15min
Didier Ludot, antiquaire haute couture, dans sa boutique du Palais-Royal, à Paris en janvier 2023 (CORINNE JEAMMET)

Le 26 janvier 2023, pendant la semaine de la haute couture parisienne printemps-été 2023, Didier Ludot met en vente 150 pièces de sa collection personnelle choisies au cours de ses 48 ans de carrière comme antiquaire de haute couture, d'où le nom de cette collection Mon défilé secret. Aux côtés des incontournables Alaïa, Balenciaga, Balmain, Chanel, Dior, Grès ou Saint Laurent, il y dévoile une facette de son goût, plus intime et secret, pour des couturiers qu’il adore : Jean Dessès, Marc Vaughan ou Rudi Gernreich.

Avec des estimations allant de 120 à 12 000 €, c'est cent ans de haute couture exposés chez Artcurial du 19 au 26 janvier, complétés d'une vente online comprenant 150 autres pièces de sa collection jusqu'au 31 janvier.

Figure de la mode parisienne

Ce collectionneur de mode est installé depuis 1974 au Palais Royal. Sous l’impulsion de la collection Libération créée par Yves Saint-Laurent en 1971, il sélectionne robes et accessoires de cette époque qu’il revend avec succès. Sa voie est tracée : celle d’antiquaire haute couture. Son œil, son instinct et ses connaissances font de lui un des plus grands collectionneurs de vêtements et d'accessoires vintage. Sa boutique a acquis une renommée internationale auprès des femmes élégantes, des professionnels ainsi que des musées et institutions. Ses vitrines à thème rendent hommage aux couturiers : Yves Saint Laurent, Christian Lacroix, Madame Grès, Hubert de Givenchy, Pierre Cardin, André Courrèges... Rencontre avec un homme passionné, passionnant, et intarissable.

Vente collection Didier Ludot "Mon défilé secret" chez Artcurial en janvier 2023 : Grès, haute couture 1970, robe du soir en mousseline aubergine (Arturial)

Franceinfo Culture : Comment vous est venu ce goût pour la haute couture ?  

Didier Ludot : Ce goût pour la haute couture, et pour la mode, m'est venu par ma mère avec qui je vivais, mes frères étant en pension. Ma grand-mère m'appelait "suit-cotillon" : dans les années 60, ma mère portait des robes gonflantes avec des jupons auxquels je m'accrochais du haut de mes quatre ans. Elle avait une couturière qui copiait les modèles de haute couture et je l'accompagnais chez cette petite bonne femme toute petite, qui portait des compensées en liège pour arriver à la hauteur de ses clientes. Là on choisissait les modèles de Lanvin, de Balmain... que la couturière copiait. J'assistais aux essayages, aux choix des tissus.

Dans ces années-là, on ne vendait pas ses vêtements, ni ses tailleurs habillés, parfois on donnait un manteau à une cousine un peu moins dotée par la vie. Ma grand-mère avait une grande maison avec un étage où il y avait les vêtements des grandes tantes, les smokings des grands-pères, les robes perlées. On avait le droit de jouer avec, de faire du théâtre avec mes cousins et mes cousines. J'ai toujours vu des placards pleins.

En Bretagne où j'habitais, j'allais aux salles des ventes avec ma mère. En 1970, on n'appelait pas cela le vintage mais le rétro. C'est Saint Laurent qui a lancé cette mode avec, en 1971, sa collection Libération. Paloma Picasso était allée aux Puces où elle avait acheté un turban, une robe 1940, des compensées et il avait trouvé cela génial. Il a fait sa collection et c'est devenu une mode. A Paris, je faisais des études d'architecture d'intérieur à l'Ecole supérieure des arts modernes et pour me faire un peu d'argent, j'achetais au marché d'Aligre - un endroit très prisé à l'époque - des robes que je lavais dans ma douche et que je vendais aux boutiques. Après l'école, j'ai été engagé comme étalagiste à la Compagnie française de l'Orient et de la Chine : il y avait beaucoup de vendeuses dans cette grande boutique auxquelles je vendais une étole en renard, un sac en croco années 50. 

Un jour, je suis passé au Palais-Royal - que je ne connaissais pas bien sur car je débarquais de ma province -, il y avait une petite boutique à vendre que j'ai achetée. J'ai mis tous les bijoux Art déco que j'avais achetés avec ma mère à la salle des ventes de Vannes. Je vendais des petits choses, des flacons... Puis on m'a amené des sacs et les femmes du quartier - c'est un quartier très riche, il y avait des femmes de 80 ans qui avaient eu une vie assez fastueuse - m'ont amené des fourrures, des robes. Je me suis agrandi et j'en ai fait mon métier. 

Vous souvenez-vous de la première pièce vestimentaire que vous avez chinée ? 

Non, mais je me souviens de la première pièce que l'on m'a apporté à la boutique : c'était une veste en renard argenté magnifique. La femme qui me l'a apporté m'a dit : je le portais avec une robe noire en crêpe avec des fleurs de toutes les couleurs. Ce premier vêtement que j'ai acheté n'avait pas de marque mais il était typé années 40. On était en 1973, c'était encore près les années 40/50 mais il y avait un engouement grâce à Saint Laurent pour le rétro.   

Quelles sont vos couturiers et/ou vos pièces préférés ?

C'est très difficile, il a beaucoup de couturiers emblématiques, comme Saint Laurent, Balenciaga, Madame Grès, Chanel, Dior, Fath mais il y a aussi d'autres petites maisons de couture moins importantes mais qui ont fait de jolies choses. J'aime la couture parisienne et des maisons comme Carven qui faisait des choses pour les petites femmes. A la fin des années 50, elle a fait des robes gonflantes en boubou.

Vente collection Didier Ludot "Mon défilé secret" chez Artcurial en janvier 2023 : Carven, haute couture 2005, robe du soir en satin de soie  (Arturial)

On découvre, au fur et à mesure des années, des talents que l'on pensait un peu minimes, comme la maison Bruyère. Il y avait beaucoup de maisons de couture à Paris donc il n'y a pas que les très grands noms mais c'est vrai que quand une femme vient me vendre une robe Grès ou Balenciaga, il y a plus d'émotion. 

Vente collection Didier Ludot "Mon défilé secret" chez Artcurial en janvier 2023 : Balenciaga haute couture 1963, robe du soir en velours noir (Artcurial)

Vous avez déjà vendu, en novembre 2022, une partie de vos collections d’art chez Artcurial. Cette fois-ci la vente est consacrée à la mode, en quoi celle de janvier 2023 sera différente des précédentes ventes mode ? 

C'est à peu le même procédé mais là je l'ai appelé Mon défilé secret car dans cette vente il y a des robes avec un affect assez important : j'ai eu la chance de rencontrer des femmes assez exceptionnelles comme Bettina Graziani [mannequin] - que j'aimais beaucoup - et j'ai toujours gardé une ou deux pièces d'elles. C'est plus intime cette vente où il y a beaucoup de prototypes de couture de Madame Grès. Il s'est passé une chose horrible, quand Bernard Tapie a racheté la société Grès, il a mis les archives dans une benne à ordure, rue de la Paix. Quelle horreur ! J'ai en racheté beaucoup aux gens qui en avaient récupéré. 

Pourquoi les prototypes sont intéressants ? 

C'est très émouvant d'avoir des robes de Madame Grès qui ont été faites pour ses défilés. Les prototypes sont très intéressants : c'est la vraie haute couture et l'esprit d'une maison, ils ont été faits comme le créateur le souhaitait. Quand ce sont des robes de clientes, elles peuvent avoir été modifiées : si elles sont âgées, elles veulent des manches plus longues ou elles ne veulent pas qu'on voit trop le décolleté, donc elles le font remonter. Il y en a deux ou trois que je n'ai pas mises dans la vente car elles étaient un peu abimées, mais certaines ont des inscriptions de la couturière sur un bolduc comme "ne jamais vendre". C'est très émouvant quand on aime les créations du couturier. 

Vente collection Didier Ludot "Mon défilé secret" chez Artcurial en janvier 2023 : Rudi Gernreich, 1965, baby dress en coton imprimé (Arturial)

Je sais que des ouvrières vont venir à cette vente. Il y a, par exemple, une robe d'Yves Saint Laurent de 1997 qui a été portée par Carla Bruni... quelqu'un sur Instagram m'a dit : c'est très beau l'hommage que vous avez fait à Madame René qui était une petite main qui vient de mourir. Je me souviens aussi qu'un jour, je mettais en vitrine un tailleur Chanel, fushia et marine, qui au lieu du galon avait des petites cocottes en pongé de soie et j'entends deux femmes assez âgées qui s'exclament : oh, qu'est-ce qu'elle nous a emmerdé la vieille avec ce tailleur, vous n'imaginez pas le temps que l'on a passé dessus. C'étaient elles qui avaient réalisé ce galon et elles étaient heureuses de le revoir !

La notion de vintage a-t-elle changé au fil des années ?

Vintage est un mot un peu galvaudé et c'est dommage. Il y a 30 ans les gens n'osaient pas mettre une robe qui avait été portée, maintenant c'est un snobisme : en soirée, une femme préfère porter une robe ancienne car elle est certaine que personne n'aura la même. J'ai des clientes chinoises, femmes d'affaires, qui veulent du Chanel car pour elles c'est signe de réussite. Elles ne veulent pas des pièces modernes de cette maison car elles craignent que leurs concurrentes aient le même modèle. Alors elles viennent, ici, acheter un tailleur Chanel haute couture des années 50/60/70.  

Il y a un côté qualitatif dans le terme vintage qui vient de l'œnologie. C'est un vêtement représentatif du style d'un créateur, d'une période donnée de mode, qui est dans un état exceptionnel. C'est le problème d'en trouver en bon état, les soies et les dentelles sont fragiles, et si quelque chose a été renversé dessus, c'est fichu les produits sont trop détergents maintenant. 

Vente collection Didier Ludot "Mon défilé secret" chez Artcurial en janvier 2023 : Henry A La Pensée haute couture 1952, robe de gala  (ARTCURIAL)

Quelles sont les pièces phare de cette vente ? 

J'ai eu la chance, il y a quatre mois, qu'une femme vienne me vendre deux vêtements d'Yves Saint Laurent brodés par Lesage et dont une des tenues était le prototype de défilé. C'est une veste couleur anis, un hommage au peintre Bonnard avec des broderies extraordinaires de la collection hiver 1988-89. Là, je me suis demandé si j'en gardais une ou pas mais j'ai mis les deux en ventes car ce sont des pièces très importantes. Je ne sais comment cette femme les avait obtenues. 

Vente collection Didier Ludot "Mon défilé secret" chez Artcurial en janvier 2023 : Yves Saint Laurent haute couture hiver 1988, veste du soir en satin cuir anis brodée par la maison Lesage "Hommage à Bonnard" sur jupe de velours de soie noire (ARTCURIAL)

Il y a aussi des pièces moins prestigieuses mais qui sont intéressantes comme cette robe du soir d'Henry A la Pensée, une très jolie maison peu connue mais qui faisait de très jolies choses. Il y a aussi une robe de Rudi Gernreich, un couturier un peu excentrique des années 50/70 dont on trouve très très peu de créations, ainsi qu'un très beau manteau d'Hermès haute couture par Serge Guérin de 1965. Il y a des pièces de Jacqueline Marinelli avec qui j'ai eu une grande amitié : elle avait une maison de couture à Nice et achetait des modèles de défilés ou faisait des commandes chez Chanel, Saint Laurent, Lacroix et les réinterprétait à sa façon. J'ai toujours gardé certaines pièces d'elle car elle avait un très bon goût. 

Les ventes consacrées aux créateurs, au luxe et aux bijoux s’avèrent désormais - au même titre que l’art - un investissement. Quelles sont les pièces dans lesquelles il faut investir ? 

Dans cette vente, j'ai essayé de montrer mon goût - il y a des choses que j'aime qui ne sont pas forcément les plus belles choses - mais aussi l'évolution de la mode. Je sais que les gens qui vont les acquérir savent ce qu'ils achètent et vont les préserver. Une fois que j'ai eu les choses, je les ai pour la vie dans ma tête. Cela me fait plaisir de partager avec les nouvelles générations qui s'intéressent à la mode, c'est important aussi ! Les robes vont en général dans les musées, dans les maisons de couture qui rachètent leurs modèles pour montrer leur pérennité. Dior a, par exemple, un patrimoine extraordinaire qui circule dans le monde entier.  

Le vintage est un investissement d'avenir car les pièces n'ont pas été faites à beaucoup d'exemplaires. A l'époque, il y avait beaucoup plus de clientes en haute couture - femmes d'industriels, de médecins, d'avocats - car dans les années 50/60, la haute couture était au prix du prêt-à-porter actuel. Aujourd'hui dans les défilés haute couture, il n'y a plus de vêtements de jour, alors qu'à l'époque, il y avait 300 modèles, maintenant c'est 30 à 40. 

Il faut privilégier les vêtements en bon état et c'est très difficile de les trouver car avec le temps ils se sont abimés. C'est important aussi l'appartenance : il a un fantasme autour des personnalités ! Dans la vente, il y a une pochette Jacques Fath de la Duchesse de Windsor. Ce que j'aime bien, c'est quand les gens me racontent l'histoire de leurs vêtements, on apprend plein de choses. 

Comment portez un vêtement vintage et être moderne ?

Il ne faut surtout pas faire une reconstitution trop muséale. Si vous mettez un beau tailleur Balmain des années 60, il faut le porter avec des chaussures contemporaines (des Weston, des Prada) mais surtout pas avec les chaussures de l'époque, car là c'est poussiéreux. On peut s'habiller avec du vintage sans que cela ne se voit !

Dans la garde-robe d'une femme, le vintage, c'est devenu une griffe : elles ont Dior, Chanel, Prada, Dolce Gabanna et le vintage. Ces femmes l'achètent comme un bijou : elles donnent leur pièce à un teinturier, font attention au bouton qui risque de tomber. C'est leur petit trésor et elles sont très fières et un peu snob quand elles en portent car elles savent que l'on va les remarquer et que d'autres femmes vont être jalouses !

Aujourd'hui, il y a une prise de conscience : une nouvelle génération achète des choses anciennes et ne l'aurait pas fait, il y a 20 ans. C'est bien d'apprendre aux jeunes générations, c'est amusant. . 

Allez-vous fermer votre boutique du Palais-Royal ?

Non, je serais trop malheureux ! La boutique est pleine. J'ai encore plein de choses à découvrir et des robes à sauver. Il y a toujours la magie de la valise qui arrive (sourires).

Exposition publique du 21 au 25 janvier 2023. Vente aux enchères le 26 janvier 2023 à 14h. Artcurial. 7, Rond-Point des Champs-Elysées. 75008 Paris.

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