Haute couture printemps-été 2023 : l'ode au Brésil de Stéphane Rolland, le couturier du glamour sculptural
C'est au théâtre National de Chaillot que Stéphane Rolland a présenté sa collection printemps-été 2023 Saudade Meu Amor, le 24 janvier, au deuxième jour de la semaine de la haute couture parisienne printemps-été 2023. En prélude aux 29 créations qui ont foulé le podium, une courte vidéo - sur fond de lever de soleil dans la baie de Rio - et quelques notes de musique plongent le spectateur dans l'ambiance.
Les robes blanches, longues et courtes, sont un hommage à l'architecture brésilienne dans l'esprit d'Oscar Niemeyer, d'autres sont brodées de symboles sculptés en 3D ou laqués, tandis que des pierres colorées, des manchettes et bagues d'ébène géantes rompent l'épure des modèles. L'opulence est aussi au rendez-vous avec des tissus dorés et argentés très baroques. La mariée évoque une madone, sa robe est recouverte de feuilles d'or ornée de sculptures "Marajoara".
Couture, théâtre, cinéma
Après des études à l'Ecole de la Chambre Syndicale de la Couture parisienne, la maison Balenciaga le nomme, à 21 ans, directeur artistique du prêt-à-porter homme. Suivra, à 24 ans, une expérience sous licence Balmain. A 30 ans, il entre chez Jean-Louis Scherrer, devenant le plus jeune couturier Français de l’avenue Montaigne. Parallèlement, il crée pour le théâtre : il est nommé en 2006 et 2007 à la cérémonie des Molières pour "Amadeus". Passionné par le cinéma, il sera partenaire officiel du Festival de Cannes pendant cinq ans.
A 40 ans, Stéphane Rolland crée sa maison et, en 2007, présente dans ses salons du 10, avenue George V, sa première collection de haute couture. Un an plus tard, il est admis dans le cercle des maisons de haute couture. Des stars internationales - Beyoncé, Lady Gaga, Rihanna, Rita Ora, Kim Kardashian - ou des femmes de chefs d’Etats comme la Reine Rania de Jordanie, lui font confiance.
Rencontré à quelques jours de son défilé printemps-été 2023, Stéphane Rolland revient, sans nostalgie, sur le chemin parcouru par sa maison, sur la genèse de sa collection printemps-été 2023 et dévoile ses projets d'avenir.
Franceinfo culture : en 2007, comment envisagiez-vous l'avenir lors du lancement de la première collection à votre nom ?
Stéphane Rolland : Je sortais de dix années à la tête de la maison Jean-Louis Scherrer et j'avais extrêmement soif de retrouver mon indépendance, de m'exprimer seul, sans avoir le poids d'une personnalité et d'un nom derrière moi. J'ai énormément de respect pour mes pairs et j'essayais de rentrer dans l'univers Jean-Louis Scherrer mais quand tu crées pour une autre marque tu n'es pas complètement toi-même et cela me manquais. J'étais prêt à re-faconner mon image, à reconstruire mon univers pour être en phase avec moi-même. Il a fallu que je traverse cette phase de reconstruction bénéfique où je commençais par la haute couture, je voulais développer, ensuite, le prèt-à-porter, puis lancer un parfum. Certains projets ont été mis en stand-by, d'autres ont été positifs. Aujourd'hui, 15 ans après, le prêt-à-porter est en route, les sacs existent, le parfum est à l'étude et la haute couture marche divinement bien... et nous avons traversé les crises et l'intrusion d'un virus.
Ces années ont-elles été à la hauteur de vos espérances ?
Il y a eu des passages difficiles : il y a un prix à payer en stress et en sens des responsabilités quand on veut être indépendant et avoir sa maison. C'est comme si j'étais papa d'une famille nombreuse : tous les enfants sont importants. Il faut protéger son équipe comme sa famille et l'on se met au deuxième plan. Je n'ai pas un groupe derrière moi, je finance quasi tout seul, même si au début j'ai eu un sailer partner - qui fait toujours parti de l'aventure. C'est difficile parfois : on travaille beaucoup plus, il faut être attentif, toujours en éveil. C'est de très grosses responsabilités de financer les collections, les défilés, les projets, surtout quand on voit, aujourd'hui, le bouleversement économique mondial.
Il y a une espèce de rupture, une nouvelle époque est en train de jaillir, on passe un cap, c'est assez étonnant et intéressant d'ailleurs mais cela ne se fait pas sans fêlure, sans souffrance. Quand j'ai créé ma maison, on démarrait une crise économique et les gens me disaient tu es complètement fou, on va être dans une récession. J'ai répondu : je fais de la haute couture et je m'adresse aux plus grosses fortunes mondiales. Les commandes ont vraiment démarré d'une manière incroyable, ensuite il y a eu des baisses, puis cela reprend. Aujourd'hui on a beaucoup de commandes, des ouvriers et ouvrières, tout comme des artisans, vivent grâce à cela.
En quoi la crise du Covid a remis en question votre travail ?
Cela n'a pas remis en question ma façon de travailler, je n'ai jamais changé. En revanche, c'est désespérant de voir à quel point les mentalités, elles, ont changé. Je suis un peu atterré par certaines réactions de personnes qui n'ont plus envie de bosser. Quand je travaillais chez Balenciaga, on se fichait de savoir si on allait partir à 10 heures du soir, du moment qu'il y avait la joie de vivre. On faisait ce métier avec une passion et une excitation incroyable pour apprendre à progresser. Je ne suis plus en phase avec la société là-dessus, surtout quand on voyage et que l'on se rend compte que l'on est privilégié, ici, en France.
Et vos clientes, elles ont des envies différentes ?
Les façons de consommer sont les mêmes mais elles font attention un petit peu plus aux prix : elles savent que tout a augmenté et qu'elles paieront un peu plus cher leur robe aujourd'hui qu'hier. Les vraies clientes haute couture continuent à acheter parce que cela fait partie de leur culture mais il y a aussi une clientèle, à la fortune plus récente, qui fait des achats compulsifs. En revanche, elles achètent mieux : le côté extravagant diminue, elles veulent des robes élégantes, belles, qualitatives, qui les mettent en valeur. Il y a eu une période où plus c'était fou, mieux c'était ! On a une clientèle très haut de gamme, même intellectuellement, qui vient chercher chez nous une signature liée à l'art, à la sculpture. Elle achète une véritable expression artistique au-delà du vêtement et cherche une espèce d'unicité, un langage particulier.
Depuis 2020 vous proposez aussi des capsules de prêt-à-porter composées d'intemporels - combinaisons pantalon, tuniques ou robes longues toges asymétriques -, fabriquées en France.
On a fait avec la maison Paule Ka un partenariat. Nous sommes voisins, c'est l'hôtel particulier à côté du nôtre et on a lancé une capsule qui a marché. Aujourd'hui, je mets l'accent sur la maroquinerie et je veux absolument étudier le développement d'un parfum. J'ai toujours voulu le faire : je suis un dingue de l'olfactif, j'adore découvrir de nouvelles senteurs, j'ai plus de 300 flacons. C'est un objectif sur deux ans.
Dans vos collections vous utilisez des couleurs unies, sans imprimé. En terme de coupes, de formes et de matières, quel est votre ADN ?
Le fil rouge, c'est toujours l'étude des volumes et du mouvement. Quand je parle d'architecture, je suis fasciné par des oeuvres comme celles d'Oscar Niemeyer, de Zaha Hadid. J'ai des espèces de fantômes qui hantent mon univers : Brancusi, Kandisky ou des peintres, des musiciens. Il y a une volonté d'une structure minimaliste et épurée avec une recherche d'un trait fort. Et ce trait fort, c'est la liberté du mouvement qui donne beaucoup d'envolée. C'est très lié à la calligraphie : quand on regarde la calligraphie chinoise ou arabe, on retrouve une grande maitrise du trait de pinceau pour arriver à une force et un caractère dans l'exécution. Quand je dessine, c'est un peu la même chose : il faut qu'il y ait une force dans mon trait, une énergie, un élan, une liberté qui va donner un mouvement intéressant et donner vie à la robe.
Quelle a été l'inspiration de la collection printemps-été 2023 ?
C'est un hommage au Brésil, pays que j'adore, j'ai une passion pour ce pays et un amour pour Rio et Brasilia. Cela faisait longtemps que je voulais faire un défilé sur le Brésil : c'est né en revoyant les images d'Orfeu Négro, film mythique de Marcel Camus qui a gagné l'Oscar du meilleur film étranger en 1960 et la palme d'or du festival de Cannes en 1959. Il montre une espèce de transposition du mythe d'Orphée et d'Eurydice version favelas brésilienne. Avec ce film, on est vraiment dans les années 60 à Rio.
Pour ma collection, les formes sont arrivées naturellement, évidemment il n'y a pas d'imprimé. Je ne suis pas capable d'en faire en haute couture : c'est très étonnant, avec mon prêt-à-porter je n'ai aucun problème. En haute couture, je ne veux pas que la coupe soit perturbée par un élément additionnel, qui n'est pas forcément impératif. Quand je rajoute des éléments sur un vêtement, c'est un accessoire, une incrustation de tissu dans un autre tissu ou des sculptures brodées mais de l'imprimé, c'est rarissime ! Ma palette reste autour de mes blancs craies, mes blancs nacrés. Quand vous arrivez à Brasilia, vous voyez les bâtiments, les dômes, les cathédrales et beaucoup de blancs et de noirs. Il y a un côté sixties/seventies aussi : on a été tellement créatif à cette époque-là qu'il en reste des merveilles. Il y a aussi des tons écorce, chocolat et café.
Il y a trois chapitres dans cette collection printemps-été 2023 : le premier lié à Rio et à l'architecture, avec le second on entre dans la forêt Amazonienne et dans une culture plus tribale et la troisième partie offre une explosion de richesse avec l'or des Conquistador. Tout le final est en or : la mariée est inspirée des madones des églises de Bahia qui sont d'une richesse incroyable. Les retables sont entièrement à la feuille d'or ou blanc. La mariée est une icône, comme une sculpture vivante en bois doré. Les broderies sont un rappel des pierres précieuses du Brésil, pratiquement toutes sont réalisées en pierre naturelle. Les bijoux s'expriment par le volume et par toute cette culture ancestrale tribale d'Amazonie.
Avec quels artisans avez-vous travaillé ?
Je ne conçois pas une collection sans partager l'aventure avec des artisans, des vrais talents, c'est un cadeau. J'ai des fidèles comme Marta Mantonavi, une artiste italienne qui travaille le cuir et que j'amène vers la sculpture. Depuis des années, elle m'accompagne sur pratiquement toutes mes collections, tout comme Corinne Bizet et son atelier de broderie. Il y a aussi des artisans-bijoutiers comme ce sculpteur ébéniste à qui j'ai demandé de me faire des choses plus sculpturales, massives et extravagantes. Geoffray Guillermain de l'atelier Gautrot, c'est ma grande découverte cette saison, il m'a fait des merveilles. Je suis fier de faire travailler autant de Français et d'aider au développement d'ateliers de jeunes artistes. C'est hyper motivant.
Outre la création de parfum, vous avez d'autres projets ?
Je vends beaucoup de robes de mariées haute couture mais tout le monde ne peut pas s'en offrir une, alors nous lançons une ligne de mariage prêt-à-porter d'une vingtaine de modèles. Je pars à New York la présenter au printemps.
Vous vous décrivez comme un orientaliste travaillant l'épure comme le précieux ?
Je l'ai toujours revendiqué, j'adore l'Orient, même si j'aime aussi l'Asie. Je suis depuis toujours attiré par la culture du Moyen-Orient, par la façon de vivre, une certaine générosité quand on reçoit, une tendance parfois à la passivité contemplative, plus riche en subtilité que l'on peut l'imaginer. J'ai grandi avec une mère née au Maroc - un peu déracinée à l'âge de 20 ans - et ma famille a toujours parlé de cette culture ancrée en eux. Je l'ai vécu comme une espèce de manque, alors dès que j'ai pu voyager j'ai connu le Maghreb, l'Arabie Saoudite, le Koweit, le Qatar, et j'ai adoré !
Pour moi, l'Orient, c'est quelque chose de très profond. il y a cette épure, cette richesse et ces paradoxes avec des robes noires ou assez simples mais richement brodées ou parées. Je joue beaucoup avec ces paramètres dans mes collections comme un très beau bijou graphique ou un riche bijou plastron qui sera porté sur une robe de velours noir. L'Orient, ce n'est pas les paillettes au kilo, c'est le contraire, c'est le minimalisme total. Une femme au Moyen-Orient m'a dit un jour, vous êtes un vrai bédouin. C'est un compliment, ce que j'aime ce sont ces racines-là, le désert, les tentes berbères... C'est cette culture qui m'attire.
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