"Le film est pensé pour être vu comme un objet de désir" : Christophe Josse dévoile sa haute couture printemps-été 2022 en digital
Lors de ce rendez-vous parisien, 29 maisons présentent du 24 au 27 janvier 2022 leur haute couture printemps-été 2022. Si plus de la moitié des maisons se réjouissent de retrouver les podiums, Christophe Josse, lui, a fait le choix de tourner un film. Explications.
Créateur d’une esthétique à la délicate élégance, sensuelle et aérienne, Christophe Josse prône une simplicité poétique étudiée. Quelques jours avant la présentation de sa collection sous la forme d'un film réalisé dans un haut lieu du patrimoine français - le 27 janvier, dernier jour de la semaine de la haute couture printemps-été 2022 -, nous l'avons rencontré dans son atelier parisien. Interview.
Franceinfo culture : vous présentez votre collection sous forme de film. Pourquoi ce choix ?
Christophe Josse : l'idée, c'était de faire un film. Jusqu'à présent pour nous, la puissance du film est quelque chose d'important car il est vu par un nombre incalculable de gens, beaucoup plus que la retranscription d'un défilé. Regarder la vidéo d'un défilé a vite tendance à vous ennuyer, même le plus prestigieux soit-il : au bout de quelques minutes, une fois que tu as vu qu'il y avait un très très beau décor, la sensation n'est pas la même.
Mais le défilé garde, quand même, un côté magique ?
Il y a une vraie émotion lorsqu'on assiste à un défilé : il y a un frémissement, un climat qui s'installe, toute une ambiance. Tu le sens, il y a des sons, des couleurs, un décor. Un défilé, c'est un beau moment mais c'est fugace. C'est une pause. C'est assez magique, éblouissant de découvrir cela dans un lieu extraordinaire, de voir ces silhouettes évoluer auprès de soi. Sa force, c'est que tu l'as vécu, après tu en gardes juste un souvenir qui se limite aux personnes qui sont dans la salle. C'est une pièce de théâtre qui se joue une fois, après tu en as la retransmission avec la vidéo. Lorsqu'on voit cette vidéo, elle est en grande partie dessaisie de sa sensibilité, de la délicatesse du moment et de la perception que l'on peut en avoir. Cela reste une image un peu froide d'un moment, d'un happening auquel tu n'as pas participé.
Pourquoi lui préférez-vous le film ?
Le film, c'est une autre façon d'appréhender le travail, une autre forme d'écriture, vraiment intéressante car tu racontes une histoire autrement, avec un outil différent. Au départ, je n'arrivais pas à comprendre comment on allait aborder cela et finalement j'en suis extrêmement satisfait. J'ai cru que cela allait être contraignant mais cela s'est fait d'une façon harmonieuse, fluide, naturelle dans le bonheur d'avoir d'autres échanges.
Le film est pensé pour être vu comme une oeuvre en soi, comme un objet de désir. La démarche n'est pas la même. J'aime l'ambiance du tournage : voir le metteur en scène, les cadreurs, le jeu des lumières.... Le travail de montage fait qu'il y a vraiment une sensation d'avoir défini une histoire de façon très précise, qui peut être magnifiée. Le film nous permet d'être vu dans le monde entier grâce au relais de la plateforme de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode qui assure une diffusion plus gratifiante pour nous aussi. Le nombre de vues n'est en rien comparable avec celui d'un défilé, même après un très beau défilé.
Un défilé, c'est beaucoup de travail, le film c'est une autre approche... après il faut s'entourer des bonnes personnes. Il y a une ambiance, un climat, un décor. Il y a comme une espèce de petite tension narrative qui induit l'envie de découvrir un modèle. Ce qui est génial, c'est que tu peux le regarder, le reregarder, il est fixé dans le temps pour l'éternité.
Comment s'est passé le tournage ?
Cette saison, le film a été tourné dans un endroit chargé d'histoire, le dôme du Panthéon, un des symboles de la France dans lequel personne jusqu'à présent, au-delà d'un documentaire, n'a eu l'honneur de défiler ou de faire un film de fiction. C'est excitant car c'est un lieu magique où personne ne met jamais les pieds. Je suis très honoré et fier que mes silhouettes, légères et fluides, y évoluent pour ce film.
Le réalisateur a une importance capitale : on peut raconter la même histoire de mille et une façon. S'il n'y a pas une réelle symbiose, harmonie, complicité avec lui cela peut être dangereux. Cette saison, c'est un réalisateur avec lequel j'ai déjà travaillé, Lucca : ce qui fait que les choses sont plus rassurantes et plus excitantes aussi, car on peut se parler à demi-mot, on se comprend. Ma démarche, il l'a captée et on va dans la même direction. Cela doit être très compliqué s'il y a une dissonance entre toi et le réalisateur avec le risque, alors, que ta collection raconte quelque chose qui n'est pas toi, même si les vêtements sont là.
Le choix du mannequin est crucial pour un film ?
Pour la réalisation d'un film, parfois c'est plus simple, puisqu'on fait appel à moins de mannequins que lors d'une collection, où il y a quinze ou seize filles. C'est une, parfois deux mannequins, mais il ne faut pas se tromper. Ton mannequin va incarner ta collection, c'est l'héroine de ton film, elle va cristalliser le regard de chacun et te permettre de traduire ou pas ce que tu veux raconter. Si tu te plantes, cela peut être catastrophique car d'une fille à une autre, ce n'est pas la même robe qui va être présentée. Son choix s'avère donc capital, elle doit être capable de porter l'histoire, il faut qu'elle fasse preuve d'une certaine intelligence et sensibilité, pour traduire et sublimer ce dont tu as envie.
Je me souviens que lors du premier tournage, le metteur en scène m'avait demandé d'assister au casting des mannequins. Il avait demandé aux filles pré-sélectionnées d'interpréter un rôle autre que juste celui d'un mannequin, de se projeter au-delà, de raconter l'histoire autrement, de s'approprier le vêtement avec une gestuelle autre que lors d'un défilé. Cette saison, la mannequin choisie est différente du type de fille que je prends habituellement. Eliana Zuleica est très jolie et elle a une vraie personnalité.
Quels changements a induit cette crise sanitaire sur votre travail ?
Une plus grande pénibilité. Tout est un peu plus compliqué. Là en l'occurrence, ce n'est pas facile de bosser avec les ateliers où beaucoup de gens sont malades. Cela retarde la réalisation de la collection car des tissus n'arrivent pas ou arrivent plus tardivement. C'est plus de contraintes, plus d'incertitudes. Et avec les clientes, c'est plus compliqué aussi : certaines sont venues essayer leurs vêtements mais il y en a d'autres que l'on ne voit plus, qui ne se déplacent pas et avec lesquelles on a perdu contact mais on compose.
Quel est le thème de la collection printemps-été 2022 ?
Le thème, c'est la villégiature, les vacances, quelque chose de sophistiqué mais un peu désinvolte dans l'attitude. Ce qui m'intéresse c'est que mes robes soient désirables : elles ne sont en rien hiératiques, ni figées. C'est pour oublier ce que nous vivons depuis deux ans : cette collection est très légère et positive, c'est quelque chose de joyeux pour prendre un peu la poudre d'escampette, s'évader et prendre un chemin de traverse pour oublier le quotidien que l'on partage tous en ce moment.
Mais il ne faut pas oublier que cette collection couture participe à la culture française, elle met en avant un savoir-faire. Villégiature propose une dizaine de modèles dans une palette de couleur ivoire, blancs, beiges ponctués par des touches de couleurs - un rose que l'on a fait teindre sur une gaze, un jaune un peu paille et un bleu Nattier.
Pouvez-vous me décrire quelques silhouettes ?
Il y a une blouse d'homme en popeline blanche, aux manches retroussées, au dos de laquelle est brodée par Cécile Henri Atelier une étoile du sud, comme une sorte de boussole qui te donnes envie de foutre le camps loin de ce climat délétère. Le tout dans un blanc cristallin avec des petits éclats plus laiteux. Elle est portée sur une très jolie jupe en taffetas bleu Nattier. Ce bleu que j'ai déjà utilisé je l'aime beaucoup, il est légèrement grisé. Sur cette jupe à grandes poches à soufflet, il y a un travail de tout petits plis et de nervures vraiment très couture.
Sur une autre silhouette, il y a un plastron tenu par deux bretelles sur lequel on a mixé du tricot et des bandes de crochet en alternance avec un point légèrement reliefée et quelque chose de plus plat. Ensuite Cécile Henri Atelier a réalisé une broderie un peu sucre qui va donner une brillance grâce au jeu de réflexion de la lumière. Il est porté sur une jupe en gazar jaune, un coloris très particulier, pas trop lumineux, que l'on a fait teindre par MD Teinture. Ce sont des gens talentueux, amoureux de ce qu'ils font. C'est agréable de travailler avec des gens qui peuvent passer du temps à trouver le bon ton, celui qui amène une note estivale, une coloration villégiature. J'aime bien le travail d'équipe surtout quand les personnes investies qui t'entourent sont désireuses de t'emmener vers le mieux.
Il y a aussi une robe du soir fendue devant en crêpe blanc, surtout pas prétentieuse loin des envolées lyriques boursouflées, ainsi qu'un trench en gazar, court devant et long dans le dos, porté sur un short en paillette ivoire et blanc à motif de cachemire.
Des projets ?
J'aimerais bien faire un beau foulard qui puise être porté par tout le monde. On a commencé à travailler sur un modèle sophistiqué fait en Italie. C'est une expérience amusante et intéressante, je n'en ai jamais fait. Si le prêt-à-porter demande des capitaux importants s'ouvrir sur des accessoires, c'est plus facile... c'est un bel objet.
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