"C’est vous en face du tissu et de la couleur" : 40 ans de collaboration entre le couturier et les soyeux lyonnais au Musée Yves Saint Laurent Paris
L'exposition invite à découvrir les fabricants et fournisseurs de tissus et étoffes de la région lyonnaise qui ont collaboré avec le couturier Yves Saint Laurent pendant plus de quarante ans.
À travers une trentaine de modèles haute couture - accompagnés de documents le plus souvent inédits - l’exposition Les coulisses de la haute couture à Lyon, au musée Yves Saint Laurent Paris, explore plus de quarante ans d’étroite et fidèle collaboration entre le couturier et les emblématiques maisons lyonnaises.
Pour Yves Saint Laurent, les tissus "sont la base de tout (ce sont) eux qui déterminent la pensée, la ligne. Si je me trompe dans leur emploi, mes modèles sont ratés et je dois les abandonner. Leur choix, c'est pour moi l'un des temps les plus forts de la création, celui qui requiert la plus forte concentration et lui donne aussi le maximum de joie" déclare-t-il dans Le Figaro en 1979.
"Montrer ce rapport à la matière d'un très grand couturier"
Fruit d'une collaboration étroite avec le musée des Tissus de Lyon, qui l'avait accueillie en novembre 2019, l'exposition met en lumière ces liens privilégiés entretenus par le couturier durant quarante ans de collaboration avec les fabricants et fournisseurs de tissus et étoffes de la région lyonnaise.
"Cette exposition est l'occasion de voir des robes conservées par le musée Yves Saint Laurent Paris, peu montrées ou qui n'avaient jamais été montrées. On a choisi des robes dont on connaissait les fournisseurs de tissus, que l'on pouvait identifier à Lyon ou dans les environs. C'est aussi l'occasion d'utiliser les savoir-faire du musée des Tissus en analyse des textiles. Nous avons analysé ces tissus, qui sont du XXe siècle et qui sont parfois moins étudiés que les tissus plus anciens. Nous montrons que la technicité est très importante et qu'il y a des innovations technologiques mises à profit par le couturier pour créer des robes qui n'auraient pas été possibles avec des techniques plus anciennes. C'est l'un des intérêts majeurs de l'exposition : montrer ce rapport à la matière d'un très grand couturier", explique Esclarmonde Monteil, co-commissaire de l'exposition, directrice générale et scientifique du musée des Tissus de Lyon.
Un intérêt précoce pour les tissus
Ce que l'on sait peu, c'est que le futur couturier va découvrir la soierie lyonnaise par les journaux de mode qu'il feuillette. Il est pourtant loin de la France, il réside alors à Oran sa ville natale. "Mais à l'époque, les pages de publicité ou les photographies de collections détaillent les caractéristiques des étoffes et leur donnent une place beaucoup plus importante qu'aujourd'hui", explique Aurélie Samuel, co-commissaire de l'exposition et directrice des collections du musée Yves Saint Laurent Paris.
C'est ainsi qu'à 16 ans, Yves Saint Laurent imagine une maison de couture de papier et réalise 11 paper dolls en découpant des silhouettes de mannequins célèbres dans des magazines. Elles auront une garde-robe composée de 500 vêtements en papier.
La visite débute avec ces touchantes archives de paper dolls et de programmes des collections pour l'automne-hiver 1953-54 et 1954-55. Sur ces derniers, Yves Saint Laurent note toutes les caractéristiques des tissus des différentes maisons lyonnaises. Le couturier leur restera fidèle et passera commande aux manufactures lyonnaises dès sa première collection en tissus !
C’est vous en face du tissu et de la couleur, vous qui devez, de la même manière que le peintre avec ses pinceaux, le sculpteur avec sa glaise, taper dans la matière
Yves Saint LaurentLe Monde, 1983
A chaque maison lyonnaise sa spécificité
L'exposition se poursuit, ensuite, par la découverte de sept maisons lyonnaises avec lesquelles Yves Saint Laurent a travaillé pendant quarante ans pour fabriquer ses modèles. C'est la rencontre entre un couturier qui "pourrait faire une robe les yeux fermés tant il connaît les tissus" et l'une des industries textiles les plus reconnues au monde, qui met au service de la haute couture parisienne son savoir-faire technique et créatif.
Ici chaque salle du parcours est consacrée à une maison lyonnaise : Bianchini-Ferier, Bouton-Renaud, Brochier et Sfate et Combier.... C'est une invitation à la découverte des secrets des tissus : crêpes, mousselines, taffetas, velours... Chaque maison a ses spécialités et développe des matières innovantes. Brochier et Abraham sont par exemple les spécialistes du lamé.
Une salle au premier étage présente ainsi uniquement des modèles en lamé dont la fameuse robe Shakespeare de la collection automne-hiver 1980 qui est une accumulation d'étoffes précieuses issues des plus grands soyeux lyonnais.
Voir cette publication sur Instagram
"Questionner le rapport entre le couturier et les fabriquants et fournisseurs de tissus de la région lyonnaise nous permet d'offrir un nouveau regard sur les créations d'Yves Saint Laurent. Nous démontrons que la dimension créative et la dimension technique du travail du couturier ne sauraient être opposées. Au contraire, elles sont indissociables et se nourrissent l'une de l'autre. Présenter cette exposition au 5 avenue Marceau, dans le lieu historique de la maison de couture, c'est en même temps rendre un hommage mérité à l'emblématique savoir-faire de tout un territoire, mais c'est aussi permettre à nos visiteurs d'appréhender le processus de création du couturier de manière renouvelée. L'exposition donne également une nouvelle mesure à la visite du studio d'Yves Saint Laurent qui se trouve au coeur du parcours. Il était l'antichambre de la création et le lieu d'expérimentation de toutes ces magnifiques étoffes qui y prenaient vie" explique Aurélie Samuel, co-commissaire de l'exposition et directrice des collections du Musée Yves Saint Laurent Paris.
Un musée témoin de l’histoire du XXe siècle
Installé dans l’hôtel particulier historique du 5 avenue Marceau où naquirent, de 1974 à 2002, les créations d'Yves Saint Laurent, ce musée se veut le témoin de l’histoire du XXe siècle et d’une haute couture qui accompagnait un certain art de vivre aujourd’hui disparu. Chaque année, la programmation du musée, ouvert fin 2017, est rythmée par une exposition temporaire thématique puis par un retour à un parcours rétrospectif.
Le parcours de visite des expositions se termine toujours dans le bureau du couturier. Lieu central de cette maison de couture pendant près de 30 ans, le studio est incontestablement la pièce la plus émouvante du musée. Elle frappe par sa simplicité et contraste avec la somptuosité des salons de l'époque et s'accorde à l'atmosphère de travail dont Yves Saint Laurent avait besoin. Le miroir au fond est un élément principal : le couturier examinait le reflet du mannequin pour apprécier le vêtement. Une ambiance studieuse semble encore y régner. Ses objets fétiches sont ici réunis, ses souvenirs et ses pots à crayons de couleurs. Sur le rebord de sa chaise, sa blouse blanche. Au pied du bureau, la gamelle de son chien Moujik, un bouledogue français. La bibliothèque réunit des ouvrages, principales sources d'inspiration du couturier. Pour cette exposition, ses principaux collaborateurs(trices) qui travaillaient à ses côtés ont été invités à venir installer sur la table qui leur était destinée des souvenirs de cette époque. On s'attend presque à voir le couturier franchir le pas de la porte tant l'atmosphère y est intime.
Voir cette publication sur Instagram
Exposition Les coulisses de la haute couture à Lyon du 17 juin au 5 décembre 2021. Musée Yves Saint Laurent Paris. 5, avenue Marceau. 75016 Paris.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.