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"S'inspirer des cultures, il n'y a rien de honteux à cela" : à la Paris Fashion Week, le milieu de la mode répond aux attaques sur l'appropriation culturelle

Le monde de la mode se défend à son tour contre les accusations d'appropriation culturelle, après l'offensive lancée par le Mexique contre la maison de couture américaine Carolina Herrera accusée de plagier des motifs indigènes.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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Temps de lecture : 6min
La créatrice mexicaine Glafira Candelaria Jose de l'ethnie Otomie au milieu de ses créations au village de San Nicolas, à Tenango de Doria au Mexique, le 18 juin 2019. (PEDRO PARDO / AFP)

Wes Gordon, directeur artistique de la griffe new-yorkaise fondée par la styliste vénézuélienne Carolina Herrera, s'est retrouvé dans la tourmente après sa collection Resort 2020. Il a utilisé les motifs d'oiseaux et de coqs entourés d'arbres et de feuilles, caractéristiques de l'artisanat de Tenango et les motifs de deux autres communautés mexicaines. 

La collection "rend hommage à la richesse de la culture mexicaine" et reconnaît "le travail artisanal merveilleux et varié" des communautés indigènes, a expliqué la maison de mode new-yorkaise fondée en 1980.

Le gouvernement mexicain a protesté contre l'utilisation des motifs de Tenango de Doria, une localité très pauvre, nichée dans les montagnes du centre du Mexique, l'accusant d'"appropriation" de l'artisanat indigène. Des dirigeants mexicains veulent durcir une loi sur le droit d'auteur qui protège déjà les savoir-faire traditionnels pour punir "le plagiat dont différents peuples autochtones ont souffert".

Le travail de broderie réalisée par la créatrice Glafira Candelaria Jose de l'ethnie Otomie dans son village de Nicolas Village, à Tenango de Doria au Mexique, le 18 juin 2019 (PEDRO PARDO / AFP)

Pour Glafira Candelaria, la griffe new-yorkaise "s'enrichit avec notre travail" 

Entourée de piles de couvertures brodées de rouge vif, de bleu et de jaune, Glafira Candelaria ne décolère pas : "Ils copient notre travail, ce n'est pas juste". Cette Mexicaine vit dans une maison située sur une pente de Tenango de Doria, dans l'Etat d'Hidalgo, une localité très pauvre nichée dans les montagnes, où vit principalement l'ethnie Otomie.

"Les gens de l'extérieur deviennent riches grâce à notre travail" déplore la mexicaine de 59 ans, dont le visage s'assombrit à la vue des photographies des robes de la collection "Resort 2020" de Carolina Herrera, dont le prix unitaire dépasse le millier de dollars.

Galfira est capable de dessiner en moins de dix minutes les motifs qui seront ensuite brodés sur le tissu. Il faut environ cinq heures par jour durant six mois pour tisser une nappe de table et jusqu'à un an et demi pour fabriquer une nappe de six mètres. Elles sont ensuite vendues respectivement 65 et 250 dollars.

Glafira Candelaria Jose de l'ethnie Otomie réalise une broderie dans son village de San Nicolas, à Tenango de Doria au Mexique, le 18 juin 2019. (PEDRO PARDO / AFP)

La loi mexicaine exige une mention claire de la communauté autochtone

La loi mexicaine sur le droit d'auteur dispose que toutes les oeuvres considérées comme populaires ou artisanales doivent être respectées, et exige une mention claire de la communauté autochtone dont elles proviennent en cas d'utilisation commerciale nouvelle.

Cette affaire pourrait relever d'"une infraction commerciale pour avoir omis de mentionner la communauté ethnique" relève à l'AFP Dafne Mendez, avocate experte en droit d'auteur. Mais "c'est le gouvernement mexicain qui doit porter plainte" précise-t-elle.

Pour Kim Jones, il y a deux choix "appréciation ou appropriation culturelle"

A la Paris Fashion Week, qui s'achève ce 23 juin 2019, les créateurs interrogés jugent que les emprunts sont légitimes mais définissent les lignes à ne pas franchir.

Blouses réalisées par la créatrice mexicaine Glafira Candelaria Jose inspirées de l'ethnie Otomie du village de Tenango de Doria, au Mexique, le 18 juin 2019 T (PEDRO PARDO / AFP)

Le créateur britannique Kim Jones (Dior homme) insiste sur le fait qu'il faut avoir "énormément de sensibilité" dans cette question. "Vous devez traiter tout le monde avec beaucoup de respect. J'ai grandi dans des pays différents, il y a partout des particularités", souligne-t-il. "Il suffit de parler aux gens, travailler avec eux, les écouter, célébrer ce qu'ils font et cela ira". Pour lui, la question se résume à deux choix : "appréciation ou appropriation culturelle". "Lorsque j'ai travaillé sur des choses qui ont été référencées culturellement, nous avons soit demandé aux personnes concernées si elles nous autorisaient à le faire, et elles percevaient alors une rétribution, soit nous avons travaillé ensemble pour fabriquer ces choses. Les aider, c'est vraiment essentiel".

Ayant grandi au Kenya et en Tanzanie, Kim Jones a introduit le shuka, la célèbre robe à carreaux rouges et bleus du peuple massaï, lors d'un défilé homme quand il travaillait pour la maison de luxe française Louis Vuitton. Cela a suscité des protestations de la part de Massaï, dont certains ont depuis engagé des avocats pour réclamer des dommages aux marques comme Calvin Klein, Ralph Lauren, Jaguar Land Rover, ayant utilisé leur iconographie. Pourtant, originellement le shuka tire ses origines du tartan que les commerçants et les missionnaires écossais ont apporté dans la Vallée du Grand Rift au 19e siècle, en Afrique de l'Est.

Pour Kris van Assche, la ligne rouge c'est "être "respectueux ou pas"

"J'ai fait mes études a l'académie d'Anvers où l'on apprend à s'inspirer des cultures, il n'y a rien de honteux à cela", estime le Belge Kris van Assche, directeur artistique de Berluti, qui a été pendant 11 ans le créateur des collections hommes de Dior. "L'inspiration vient forcément de quelque chose, le but c'est de le reconnaître et de le réinterpréter". Pour lui, la ligne rouge c'est : "être "respectueux ou pas".

Alejandro Gomez Palomo, jeune star espagnole montante, est plus catégorique. L'appropriation culturelle est un concept que "nous devrions tous oublier, il y a trop de polémiques, alors que nous vivons dans un monde globalisé", a lancé le styliste, qui vit dans le village andalou, où est localisée sa marque Palomo Spain. "La culture appartient à tout le monde. Plutôt que de nous nuire, Carolina Herrera nous rapproche de la culture en général et de celle du Mexique en particulier", a-t-il ajouté. "C'est comme si les gens m'accusaient d'une appropriation culturelle parce que j'utilise les volants!", comme sur les robes des gitanes.

Cet exemple est le dernier en date d'une série de polémiques. Il y a quatre ans, une autre communauté mexicaine autochtone s'en était prise à la créatrice française Isabel Marant, lui reprochant d'avoir emprunté le design de la blouse de la communauté des Tlahuitoltepec, vieille de 600 ans. Auparavant, le Mexique avait protesté contre certains motifs utilisés par Zara, Mango ou Michael Kors.

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