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Regards affûtés de Franck Sorbier et Mogany Pichancourt sur la jeune création en lice au Festival de Dinan

Deux membres du jury du Festival international des jeunes créateurs de mode de Dinan donnent leur point de vue sur la jeune création. Interviews du couturier Franck Sorbier et de la directrice du salon "Les nouveaux créateurs" Mogany Pichancourt. Réponses de ces deux professionnels à trois questions !
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les créateurs en lice au Festival international des jeunes créateurs de mode de Dinan 2018
 (Olesya Okuneva Stylin'CO)

franck Sorbier, couturier 

Homme à part dans le sérail de la mode, libre et inclassable, il aime les univers poétiques et puise son inspiration dans des rêves. Membre de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode depuis 1996, membre invité de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne en 1999, il est labellisé grand couturier en 2005. Le thème du Festival international des jeunes créateurs de mode consacré à une "mode éco responsable" devrait susciter son intérêt. Il s’est, en effet, en 2009 et 2010, ouvert à l’univers du design et de la décoration avec ses "Gueules d’Atmosphère" composées d’éléments d’orfèvrerie de récupération.

Qu’attendez-vous des jeunes créateurs en lice à Dinan ?

J’attends d’être étonné et de découvrir des personnalités. De quelqu’un de jeune, on n’attend pas forcément de la rigueur, ni de l’aboutissement. Mais c'est plutôt ce que cela laisse pressentir, de sentir que quelque chose va se passer, qu’on peut se projeter dans sa vision. J’attends quelqu’un qui aura un discours, qui me raconte une histoire inconnue.

Le couturier Franck Sorbier devant un stand de créateurs en lice à Dinan, le 14 avril 2018
 (Corinne Jeammet)

Quelles différences entre un jeune créateur en 2018 et il y a 10 ans ?

J’ai l’impression qu’il y a une sorte de réveil. A un moment, je ne comprenais pas ces gamins qui ne ressemblaient pas à des gens de la mode, un peu passe-partout. Il y a, à nouveau, cette volonté d’exister extérieurement, d'être visible, cette envie profonde d’assumer. Cette volonté de s’afficher, de revendiquer. On sent une déperdition du travail à la main avec une volonté d’être plus créateur-marketeur. C'est la tendance actuelle : ce sont les écoles qui poussent dans ce sens. Ceux qui arrivent sur le marché sont des créateurs qui savent gérer leur carrière. Il y a une approche très matérielle, l’approche du rêve est moins importante que pour notre génération. La jeunesse actuelle a aussi d’autres intérêts technologiques, ainsi qu'une approche dérivée du sport qui va avec le confort. 
Le stand de Grégoire Villerval en lice à Dinan, avril 2018
 (Corinne Jeammet)

Quels conseils donneriez-vous à un jeune créateur ?

Le premier, c’est de chercher la différence, de croire en soi sans être arrogant. Le succès peut arriver et partir, c’est difficile à gérer. Mais on ne peut pas refuser le succès. C’est dans les écoles que l’on devrait leur apprendre à gérer un succès. C’est un vrai parcours du combattant. Il faut beaucoup travailler, ne penser qu’à ça. Ce n’est pas un travail, c’est une passion. Il faut faire des choix, il faut trouver sa voie, avoir des objectifs. Il faut aussi trouver un partenaire : les grandes réussites sont des histoires de couple ou de famille. Il faut une garde rapprochée lucide donc bien s’entourer. Il ne faut pas se prendre pour une vedette, certes il faut savoir conserver une part de mystère !
Le stand de Dario Briegmann à Dinan, avril 2018
 (Corinne Jeammet)

MOGANY PICHANCOURT, directrice du salon "Les nouveaux créateurs" 

Événement hybride, entre exposition, vente de créateurs et salon professionnel, ce rendez-vous présente chaque année les espoirs de la mode et du design. Son objectif : faire découvrir au public, aux professionnels et aux médias la création émergente. Tremplin professionnel, ce salon soutient la jeune création et valorise les arts appliqués et les métiers d’art.

Qu’attendez-vous des jeunes créateurs en lice à Dinan ?

J'attends d'eux qu'ils soient innovants, qu'ils proposent quelque chose de nouveau dans la mode, que ce soit du point de vue technique / technologique (innovation textile, fashiontech, nouveaux concepts de production responsable...) qu'esthétique (apporter une nouvelle vision de la mode, repenser les codes du vêtement, du beau, proposer de nouvelles coupes et de nouvelles matières, offrir un travail textile recherché). Mes critères de sélection, en tant que membre du jury, seront les mêmes que pour "Les Nouveaux Créateurs". Un jeune créateur doit savoir maîtriser la matière, c'est-à-dire présenter des pièces innovantes et créatives mais en même temps très bien réalisées, avec une maîtrise technique nécessaire pour leur production (belles finitions, belles coupes, artisanat textile maîtrisé). C'est quand les deux aspects sont réunis qu'une jeune marque fait la différence. J'attends également des créateurs qu'ils nous surprennent, car c'est toujours agréable de découvrir que l'on n'a pas encore tout vu dans la mode !
Mogany Pichancourt, directrice du salon "Les nouveaux créateurs", regarde le travail d'un des créateurs en lice à Dinan, le 14 avril 2018
 (Corinne Jeammet)

Quelles différences entre un jeune créateur en 2018 et il y a 10 ans ?

Il y a 10 ans... j'avais 18 ans ! Je passais mon diplôme de styliste & designer textile. Mais beaucoup de jeunes créateurs qui ont commencé il y a dix ans sont toujours considérés comme émergents aujourd'hui... Dans la mode, comme dans d'autres domaines artistiques comme l'art contemporain ou le cinéma, il est très difficile de percer, de se faire un nom et d'arriver à vivre de son travail. Les "jeunes" créateurs sont donc "jeunes" très longtemps... C'est aussi pour cette raison que j'ai créé "Les Nouveaux Créateurs", car je distingue les marques émergentes qui ont entre 5 et 10 ans, et celles qui ont souvent moins de 3 ans. Un écosystème s'est mis en place petit à petit pour les jeunes créateurs qui créent déjà depuis plusieurs années, car ils ont encore beaucoup besoin d'aide mais on en oublie souvent les "vrais" jeunes, les "nouveaux", qui sortent tout juste d'école ou qui souhaitent lancer leur marque. C'est encore plus compliqué pour eux.
Le stand de Julia Belot à Dinan, avril 2018
 (Corinne Jeammet)
La grande différence entre les jeunes créateurs d'il y a 10 ans et ceux d'aujourd'hui, celle qui me saute aux yeux, c'est surtout l'évolution de la mode éthique (que je préfère appeler "mode engagée"). La prise de conscience éthique dans la mode a commencé à peu près à cette époque, ce qui est relativement récent. Malheureusement, les créateurs engagés n'étaient pas au niveau concernant l'esthétique, et parfois même la maîtrise technique. C'est un peu le même phénomène que pour l'alimentation bio, au début, on pensait qu'il fallait du bon et pas forcément du beau. Mais la société dans laquelle nous vivons est très attentive à l'apparence, au marketing, et surtout dans la mode, à l'esthétique du produit et au look qu'il va nous donner. La mode est faite pour être belle, ça fait partie de son essence. Aujourd'hui, une nouvelle tendance/prise de conscience est en train de voir le jour, notamment grâce à ces nouveaux créateurs, qui créent des marques éthiques mais très pointues, très tendances, voire même avant-gardistes ! La grande différence est là. Comme dit souvent Sakina M'Sa, il est indispensable de créer une mode "durable et désirable", c'est la clé de la slowfashion et de l'avenir de cette industrie. 

Quels conseils donneriez-vous à un jeune créateur ?

Mon principal conseil est de créer en étant conscient de l'époque dans laquelle nous vivons. L'industrie de la mode se doit, aujourd'hui, d'être de plus en plus consciente, il faut donc créer, concevoir, en se posant déjà la question de la production. Il est impossible de nos jours de créer une marque sans être éco-responsable et engagé socialement. Il faut maintenant que les écoles suivent le mouvement et apprennent cela aux jeunes stylistes (les questions de production ne sont malheureusement presque jamais traitées dans les formations mode, tout est centré soit sur la création, soit sur le management). Les jeunes créateurs doivent également anticiper, car ce sont des questions auxquelles nous n'avons pas toujours de réponses, aujourd'hui. Tout évolue très vite, c'est pourquoi la recherche et l'innovation textile sont primordiales.
Le stand d'Armine Ohanyan à Dinan, avril 2018
 (Corinne Jeammet)

Les prix du Festival de Dinan 2018

Prix femme : Dario Briegmann (Allemagne)
Prix homme : Hosik Yoo & Soohyun Park (Corée),
Prix lingerie : Agathe Du Pressoir (France)
Prix Upcycling Eco-TLC : Agathe Du Pressoir (France)
Prix Gavottes : Julia Mercedes Sota Mayorca de Belot (Pérou) 
Prix Avantex : Grégoire Willerval (France)
Prix coup de coeur : Armine Ohanyan (Arménie)

Les créateurs-gagnants au Festival international des jeunes créateurs de mode de Dinan 2018
 (Olesya Okuneva Stylin'CO)

Les parisiens pourront voir le travail des lauréats du Festival 2018 lors d'une exposition qui se tiendra à la Joyce Gallery à Paris du 24 au 26 avril 2018 (168-173 Galerie de Valois. Jardin du Palais Royal. 75001).

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