Workwear : quand le vêtement de travail, revisité par les créateurs, devient tendance
La veste bleue portée par les ouvriers, la combinaison du garagiste, le pantalon de charpentier… ces vêtements ont depuis longtemps franchi le pas de l’uniforme pour se retrouver dans la garde-robe d’aujourd’hui.
Autrefois nos grands-pères portaient fièrement des vêtements de travail robustes et résistants à toutes les épreuves. Ce bleu de travail, qui se développe pendant la révolution industrielle afin de protéger les travailleurs, se décline en combinaison, veste et pantalon. Il devient une étiquette sociale, l’uniforme de l’ouvrier. En 1968, ce vêtement à l’origine utilitaire sort des usines pour habiller les étudiants, puis les créateurs s’en emparent pour en livrer une version revisitée.
Aujourd'hui le workwear a de nouveau la cote tant au féminin qu'au masculin : ferventes adeptes, les créatrices Inès de la Fressange et Sakina M'sa expliquent pourquoi elles l'affectionne tant. D'autres marques emblématiques en ont fait leur fer de lance : la veste bleue d'ouvrier Le Mont St Michel, la salopette dite cotte à bretelles de Lafont, la combinaison de garagiste d'Ellozze. Deux autres marques Kiplay vintage et About A Worker avec La Redoute développent également du workwear.
Inès de la Fressange : "J'aime les vêtements qui vieillissent bien"
Aujourd'hui "59% des Français récupèrent, réutilisent, réparent les produits / matériaux" indique WedressFair, site de marques de mode éthique. Une tendance qui colle bien avec le workwear explique Inès de la Fressange : "On est dans une époque où les jeunes particulièrement cherchent des objets durables, veulent éviter le sur-consumérisme des générations précédentes et préfèrent peu mais bien. Personnellement, j’aime les vêtements qui vieillissent bien et acquièrent même une certaine beauté avec l’usure et le temps".
Icône du style et muse des plus grands noms, outre sa marque créée en 2013, Inès de la Fressange incarne le chic parisien contemporain. Depuis plusieurs saisons, elle collabore avec la marque japonaise Uniqlo pour une collection où elle revisite certaines pièces workwear, ce vêtement de travail si universel. "Il est aussi par définition fonctionnel et c’est Gabrielle Chanel elle-même qui expliquait qu’un bon vêtement ne devait pas avoir de fioritures et de choses inutiles pour être vraiment élégant". Pour la créatrice la veste de travail aux poches appliquées coche "toutes les cases" et offre de multiples ré-interpréations : "D’abord avec les tissus (en coton, en lin ou en velours, elle sera totalement différente), avec les couleurs (car une veste en velours côtelée marron n’a aucun rapport avec une en lin crème). La veste peut également s'offrir des proportions différentes. Ces dernières changent avec le temps et les envies des clientes qui évoluent avec les tendances : "Ces derniers mois, elles désirent plus d’ampleur (lassées sans doute des vestes étriquées et des jeans slims !))" explique-t-elle.
Sakina M’Sa : "cette veste parle de combats mais en gardant une esthétique cool"
Une tendance que prône aussi Sakina M’Sa dont sa ligne Blue Line, réalisée initialement avec des bleus de travail recyclés, se diversifie avec d'autres matières mais aussi avec des touches de couleurs (souvent du jaune) pour accrocher "l'oeil et le soleil". Cette veste mixte, qui dépasse les clichés du genre, la créatrice la considère comme la modernité même : "J'ai voulu rendre hommage aux ouvriers à ces gens de l’ombre qui font la lumière de la société. Mon père étant ouvrier, j’ai eu très vite ce sentiment que cette gabardine de coton pouvait faire œuvre de vie et faire société. J’admire beaucoup mon père ! je le considère comme un Oeuvrier". Sakina M'Sa expliquant avoir vu longtemps Jean Baudrillard, son père spirituel porter cette veste qui signifiait beaucoup pour lui et ses amis dans les années 70 : "J’aime cette veste car elle parle de combats certes mais en gardant une esthétique de la coolitude qui m’intéresse."
Le Mont St Michel et sa veste bleu de travail, emblème des ouvriers
"Depuis leur création au début du siècle dernier, nos vêtements de travail ont été portés par des générations entières. Des ouvriers aux fashion victimes, ils sont tous désireux de renouer avec les valeurs rassurantes du savoir-faire" explique la marque Le Mont Saint Michel. Spécialisée dans le vêtement de travail résistant depuis 1913, l’entreprise a été rachetée en 1998 par Alexandre Milan. Il l’a transformée en un label moderne et urbain mais fidèle à son héritage lié aux vêtements fonctionnels. Il a enrichi cet héritage en y ajoutant le sien : le savoir-faire familial ancien des Tricotages de l’Aa, une usine de tricot fondée en 1919 par son arrière-grand-mère en Bretagne.
Depuis plus d’un siècle, ces vêtements sont profondément liés aux gens et à l’endroit où ils ont été créés, puisant leur inspiration dans les paysages bretons et normands ainsi que dans un héritage riche lié aux vêtements traditionnels de ces régions. Le Mont St Michel s'inscrit dans la tendance où maintenant un bon vêtement se doit d’être intemporel et de grande qualité. "Des vêtements de travail aux mailles d’archives, ils partagent tous un lien avec l’histoire textile française. Nous faisons extrêmement attention à l’usage et au confort car nous sommes convaincus qu’un vêtement doit vivre en accord avec le style de vie de son propriétaire. Notre création s’inspire de nos fréquentes collaborations avec des artistes d’horizons divers : musiciens, architectes, designers". La marque s'inscrit dans le présent en croisant son héritage avec un vestiaire urbain.
Lafont et sa salopette dite "cotte à bretelle"
Maison de vêtements utilitaires nés avec l’essor industriel du XIXe siècle, Lafont fait partie de l’histoire du vêtement de métier depuis 1844. L’entreprise à la pointe des innovations technologiques a ainsi habillé des générations d’artisans du bâtiment avec des vêtements tout-terrain, indéformables, pratiques, solides. Son fondateur, Adolphe Lafont, a inventé le pantalon “largeot” pour son beau-père charpentier. La salopette appelée par les initiés la "cotte à bretelle 406" est, elle aussi, sortie des ateliers de Villefranche-sur-Saône. Détournée et revisitée, elle est toujours un basique. Elle a traversé les époques, a séduit les cinéastes, les comédiens, les designers du monde entier. On la retrouve sur scène avec Coluche, puis avec Sophie Marceau dans La boum. Lafont a aussi inventé la veste de charpentier bleue, appelée "la veste Coltin" arborée par Jean Gabin dans La Bête humaine et Pharrell Williams dans son clip Freedom.
Ce spécialiste du vêtement professionnel a fait un premier pas sur le marché du vêtement à destination du public avec une collection d'une quinzaine de modèles Lafont 1844 par Louis-Marie de Castelbajac qui reprend certains patronages d’époque. Cette rencontre coïncide avec un regain d’intérêt pour le vêtement de métier lié à un besoin de racines et d’authenticité. "L’idée étant vraiment de fédérer quelque chose entre l’intemporalité, l’authenticité et aussi la modernité", explique Louis-Marie de Castelbajac. "Ce fut un éblouissement pour moi de voir ces usines et cette main d’oeuvre artisanale, de voir que toute cette connaissance était toujours vive aujourd’hui et qu’elle se transmet dans les vêtements que l’on célèbre". "Pour la première fois, Lafont met un pied sur le marché du prêt-à-porter avec une collection qui juxtapose les univers de la marque et de la manufacture, mêlant héritage et savoir-faire", ajoute Alexandra Avram, directrice commerciale et marketing de Lafont.
Ellozze et sa combinaison de garagiste
La combinaison est la pièce signature de la marque Ellozze dont les collections sont imaginées par un collectif de designers. "La combinaison Ellozze reste pour moi une interprétation très juste de l’empowerment des femmes que nous aimons sublimer” explique Narjisse Temmim, CEO de Ellozze. La marque s’inspire du vestiaire masculin et du vêtement de travail en lui apportant de la sensualité avec une attention particulière portée aux détails et à la qualité de fabrication : la production est majoritairement parisienne. Cette combinaison s'adresse à toutes les morphologies, se porte oversized ou près du corps, de jour ou du soir et se décline à l’infini.
Ellozze donne la parole, chaque saison, à une personnalité de la mode engagée. Ces capsules en éditions limitées s’inscrivent dans une stratégie d’upcycling et sont distribuées en exclusivité sur son site internet et un partenaire sélectionné. Cette saison, la capsule est réalisée avec la journaliste de mode et influenceuse Peggy Frey. “Je suis ce que l’on pourrait appeler une combi convertie. Je me souviens encore de cette sensation lorsque je me suis glissée dans une combinaison pantalon pour la première fois. J’étais…différente. Plus femme. Plus fun. Plus audacieuse. Plus confiante aussi. En un mot : plus stylée. Pour elle, cette collection capsule "c’est le style banquier de Wall Street revisité façon Working Girl. Des pièces aux accents androgynes qui s’enfilent facilement et qui, d’un revers de manche, campe une allure".
Kiplay apporte une touche vintage aux vêtements de travail
Kiplay Vitage adapte les vêtements de travail produits dans ses usines depuis 1921 en vêtements de tous les jours. Déjà utilisées à l’époque, ils protégeaient les ouvriers des machines et des intempéries. Ce sont des vêtements inspirés des années 1930-1940 crées et conçu à Saint Pierre d'Entremont en Normandie.
Plus récente, la ligne de prêt-à-porter vintage est issue des patronages Kiplay de l’époque, certaines pièces ont été ravaudées à la main comme dans l’ancien temps et la griffe originale a été rééditée. Tissés en France la moleskine et le chevron sont deux tissus robustes et confortables.
About A Worker cosigne avec La Redoute un vestiaire inspiré du monde du travail
Autre démarche intéressante la collaboration entre La Redoute et la marque About a Worker, qui depuis sa création propose aux ouvriers du secteur industriel de devenir designers. Kim Hou et Paul Boulenger, le duo parisien derrière About A Worker, ont travaillé avec six ouvriers du centre logistique de La Redoute, pour créer leur propre collection prêt-à-porter - six pièces et deux accessoires inspirés de l’univers industriel avec des poches placées, des rubans réfléchissants, des tissus techniques… Des détails pensés de façon pratique et stylistique pour une capsule imaginée par ceux-là même qui vont la porter, les workers, ainsi que pour les clients du catalogue.
"Cette collection illustre notre souhait de pouvoir donner corps à de nouvelles formes de collaborations, laisser s’exprimer les workers par le vêtement. Ce vestiaire se veut simple et fonctionnel. C’était le souhait des workers" explique Sylvette Boutin-Lepers, responsable des partenariats créateurs prêt-à-porter et image à La Redoute. "Au-delà de la création du vêtement, on a surtout fait naître un projet qui a du sens, humain et valorisant pour ceux qui y ont été impliqués" explique Kim Hou. "Ce n’est pas une expérience ordinaire. Elle montre la volonté de penser autrement et surtout de tisser des liens dans un projet d’envergure. Cette initiative a permis aussi de créer des échanges là où ils n’existaient pas" ajoute, de son côté, Paul Boulenger.
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