Valoriser les stocks, utiliser les déchets de l'océan : l'engagement éco-responsable de neuf marques de mode
Deuxième industrie la plus polluante, la mode crée plus de 200 tonnes de déchets textiles chaque année en France. Neuf marques ont choisi de redonner de la valeur à ces déchets grâce, entre autres, au recyclage et à l’upcycling. Voici leur parcours.
Pourquoi continuer à produire de la matière quand il y a déjà tant de ressources à disposition et qu'une approche plus écologique et durable, en redonnant de la valeur aux déchets textiles, permet d'économiser les ressources existantes.
Neuf marques expliquent les motivations qui les ont poussées à choisir la valorisation de ces déchets via, entre autres, le recyclage et l’upcycling. Le recyclage transforme un objet en matière première utilisée pour produire de nouveaux produits : il s’agit de collecter de vieux vêtements, de les broyer pour les ramener à l’état de fibres, qui sont alors tissées en un nouveau fil, à partir duquel sont confectionné de nouveaux vêtements. L’upcycling, en français surcyclage, transforme des déchets en produits de qualité supérieure : il s’agit de prendre un vêtement, de le déconstruire, de le découper pour en reconstruire un nouveau.
A chacun sa méthode : certaines marques ont valorisé leurs stocks dormants, d'autres ont choisi de donner une seconde vie à des stocks inexploités, en passant par celles qui ont utilisé les déchets de l’océan ou d'autres qui ont créé des séries limitées. Rencontres.
Louis Gabriel Nouchi, Pinko : réinventer des collections anciennes
Optimiser les stocks, ce n'est pas seulement choisir un modèle de gestion qui garantit un taux de rotation élevé, c'est réduire au minimum les stocks dormants, condamnés à dépérir dans un entrepôt et entraînant des coûts de gestion élevés. Le tissu qui pollue le moins étant celui qui est déjà produit, la matière première la plus écologique reste donc celle à qui on offre une deuxième vie. Les marques de prêt-à-porter Louis-Gabriel Nouchi et Pinko l’ont bien compris.
Préférant transformer plutôt que détruire, Louis Gabriel Nouchi a créé la ligne Re-lecture, une réinvention responsable de ses pièces d’archive. L’objectif est d’apporter un nouveau regard à des pièces d’anciennes collections grâce à un traitement novateur. "Nous voulons proposer à nouveau ces pièces à la vente en instaurant un principe systématique de transformation. Nous sommes fers d’utiliser des matières naturelles et nos pièces sont de suffisamment bonne qualité pour pouvoir supporter des traitements supplémentaires" explique le créateur. "Les pièces sélectionnées ont d’abord été teintes en noir puis, grâce à une technique spéciale à la main, décolorées soit sur le bas soit sur le haut de la pièce". Le créateur considère que la fabrication en France et le travail à la main sont compatibles avec un prix accessible. Son circuit de production court incarne sa volonté d’inscrire les collections dans une logique durable : seulement quelques kilomètres séparent l’atelier maison Simone à Paris où les pièces sont teintes, délavées, surteintes, et l’atelier de Pantin où elles sont finies. La ligne Re-lecture sera reconduite chaque saison.
Pinko a nommé Patrick McDowell, connu pour son engagement envers la mode durable, afin de travailler sur Reimagine, une collection capsule 100% upcyclée. La marque et l’ancien élève de la Central Saint Martins sont passionnés par la recherche de moyens innovants pour réduire l'impact de l'industrie de la mode et pour créer une approche plus durable du consumérisme. En explorant les archives, le designer britannique a sélectionné des pièces invendues de collections précédentes qu'il a réinterprétées pour leur donner une seconde vie. Il a fallu entre 6 et 12 heures pour déconstruire et reconstruire chaque vêtement. Ainsi 1 000 mètres de tissu ont été réutilisés et sauvés.
Les Récupérables, Ecclo, 2 Mai : valoriser des stocks inexploités de l'industrie textile
Utiliser une matière déjà existante, comme les tissus inexploités, pour confectionner des vêtements a séduit les marques de prêt-à-porter Les Récupérables, Ecclo et 2 Mai.
Après avoir travaillé dans des ressourcerie, la créatrice Anais Dautais Warmel se rend compte qu’il y a trop de matières inexploitées pour en créer de nouvelles. Elle créé alors Les Récupérables, entreprise qui travaille - via un atelier d’insertion - les linges de maison vintage, les fins de rouleaux et les matières non-conformes. La créatrice propose aussi aux griffes de leur acheter leurs fins de rouleaux. Cette saison, la marque de prêt-à-porter Caroll lui a donné des tissus à partir desquels Anais Dautais Warmel a réalisé des patrons. Résultat de ce partenariat (c'est le 2e avec Caroll), une capsule en édition limitée inspirée du design japonais composée de sept pièces dans différents tissus et différents coloris.
"C’est sur les routes de France qu’est né le projet", déclare Rémy Renard, le fondateur d'Ecclo. "En rendant visite aux différents acteurs de l’industrie textile, je me suis aperçu de la quantité importante de tissu qui dormait chez de nombreux fabricants. Pour éviter ce gaspillage et proposer des vêtements à l’impact des plus faibles, nous avons lancé des gammes upcyclées à partir de ces tissus de qualité surproduits, non conformes ou légèrement abîmés". Depuis, la marque s’intéresse aux fibres recyclées pour fabriquer des sweats et T-shirts durables. Et depuis 2 ans, Rémy Renard parcourt l’Hexagone à la recherche de tissus inexploités : il a découvert chez un tisseur historique de l’Est de la France, 1908 mètres de coton bio, dont l’intégralité des étapes, mis à part la culture, a été réalisée entre les Vosges et le nord de la France. Ces 38 rouleaux ne trouvaient pas preneur car ce denim comportait un défaut de tissage tous les 7 mètres. Après avoir discuté de son projet avec son atelier de confection partenaire situé à quelques dizaines de kilomètres du tisseur, Ecclo a racheté les rouleaux sachant qu’il était facile de contourner le défaut lors de la découpe. Ainsi est née la gamme de jeans L’imprévu. Un bel exemple de circularité : le fabricant de tissu a écoulé l’intégralité de son stock sans le brader, la matière a parcouru moins de 80 kilomètres pour rejoindre l’atelier de confection et 1 000 jeans sont confectionnés à la demande.
Alice Rio-Derrey, directrice artistique de la marque mixte made in France 2 Mai Paris, utilise des stocks dormants, des textiles oubliés : fins de stocks, tissus vintage et canevas brodés acquis au fil de brocantes. La griffe vient de lancer une gamme de T-shirt, polo, jogging en jersey de coton 100% upcyclés, fabriqués dans un rayon de 150 km de Paris ou la marque est établie. Son credo : glorifier l’imprimé et réinterprèter le kitsch en le mêlant à l’univers du sportswear. La Varsity Jacket, un intemporel du dressing, fût la première pièce présentée par la marque et reste l’iconique du vestiaire, tout en ouvrant la voie à une collection qui s’étoffe au fil du temps.
Tranzat, Carel : créer des séries limitées
La création de séries limitées à partir de stocks restreints est aussi un excellent moyen de proposer une fabrication plus juste sans surproduction comme le prouve la marque de prêt-à-porter Tranzat et celle de chaussures Carel.
Maylis Arnould propose avec Tranzat des pièces slow fashion. "We are eco fashion dreamers" déclare la créatrice pour qui l'acte d’achat n’est plus simplement un acte financier ou compulsif mais un engagement envers l’avenir, un choix éthique, une prise de position. Pour éviter le gaspillage, la marque fonctionne sur le principe de l’économie circulaire, la co-création avec sa communauté et des pièces fabriquées en éditions limitées ou en précommandes. Sourcing des matières, recours à l’upcycling, circuits courts et travail avec des ateliers français ou européens sont son leitmotiv. Une fabrication sans surproduction : pour redonner du sens à l’acte d’achat et produire la juste quantité, le système de précommandes est privilégié quand des micro-séries ne sont pas produites. La maison fait aussi travailler des personnes en réinsertion sociale ou en situation de handicap. Partenaire de la Fondation de la mer, Tranzat reverse une partie de ses bénéfices (eux-mêmes reversés à plusieurs associations via la plateforme Un geste pour la mer) et organise une fois par mois des collectes de déchets, en collaboration avec une association locale.
Souhaitant des collections plus responsables, en collaboration avec ses ateliers, Carel veille à limiter le gaspillage en chinant des peausseries oubliées, des restes de productions et en leur offrant une nouvelle vie en produisant des séries très limitées, des capsules exclusives, fabriquées à partir de peausseries de qualité premium. La marque s’associe à la société Adapta, qui déniche des stocks dormants des marques de luxe et leur donne accès avec toutes les informations de traçabilité.
Me.Land, Impétus : utiliser les déchets de l’océan
Saviez-vous qu’une majorité de nos vêtements sont en matière d’origine plastique ? Quand on lit polyester, acrylique, élasthanne ou Lycra sur l’étiquette, cela désigne des matières synthétiques obtenues par synthèse de composés chimiques issus du pétrole. Saviez-vous que nous déversions 8 millions de tonnes de plastiques chaque année dans nos océans ? A chaque machine à laver, des milliers de microparticules de plastique passent à travers les systèmes d’épuration et se retrouvent dans l’océan. Les marques de baskets Me.Land et de prêt-à-porter Impétus, elles, exploitent cette matière.
"En travaillant avec de nombreux artistes lors de collaborations, nous nous sommes interrogés sur la surproduction de la mode et le zéro déchet. Nous pensons qu'il est temps de prendre soin de notre biodiversité. Pourquoi sur-produire de nouveaux matériaux puisque tout existe déjà ?" se demande Frédéric Robert le fondateur de Me.Land. Il a donc imaginé la gamme Vivace, des baskets urbaines, véganes et recyclées. "C'est avec nos artisans portugais, les organisations ©Seaqual Initiative et ©Peta Vegan Approuved, qui labellisent et soutiennent notre projet, que nous avons imaginé une basket fabriquée à partir de déchets plastiques repêchés dans les océans et de chutes de caoutchouc, sans aucune trace de matière animale même dans la colle".
La marque prêt-à-porter Impétus est une adepte des processus de production conçus de manière à réduire son empreinte environnementale et sa consommation d'énergie. Un engagement certifié par le système international Bluesign qui se manifeste notamment par le choix de fibres éco-durables et la démarche écologique d'utiliser des matières traditionnelles comme le coton biologique certifié. Sa gamme Voyager en est un exemple : les caleçons sont réalisés avec des déchets plastiques provenant de filets de pêche récupérés dans les océans Ces derniers sont nettoyés et envoyés dans un centre de recyclage pour être traités puis transformés en fibres et en fils, utilisés ensuite pour la confection de la maille nécessaire aux caleçons.
Pour les marques qui n'ont pas encore trouvé de solution, il existe des entreprises spécialisées.
C’est le cas de Weturn qui accompagne maisons et fabricants dans la valorisation de leurs invendus en leur proposant de les recycler en nouveaux fils, 100% traçable et européen qui seront revendus à d’autres. Sed Nove Studio. accompagne les entreprises mode et luxe dans la valorisation de leurs stocks dormants de cuir : "Je guide les marques en leur expliquant comment valoriser leur cuir. Je propose des solutions en examinant leur besoin et je les accompagne dans la mise en oeuvre du projet lors d'ateliers de fabrication" explique la fondatrice Léopolda Contaux-Bellina. Enfin, UPCYBOM met en relation acheteurs et vendeurs pour inciter les marques à utiliser les stocks disponibles. Pour Anne-Laure Pedegert, un des co-fondateurs : "Nous donnons une seconde vie à tous les textiles qui auraient fini par être jetés. Tout simplement parce qu’il est inutile de produire ce qui existe déjà… Il faut savoir qu’actuellement, sur 100 milliards de dollars de matières premières stockées dans les usines chaque année, une partie sera dévalorisée et au moins 10% finiront à la décharge".
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