Cet article date de plus de dix ans.
A Nantes, la musique américaine dans tous ses Etats (Unis)
Cette année pour les 20 ans de la Folle Journée, le concepteur René Martin choisit de parler du 20e siècle en mettant les Etats-Unis à l'honneur et en suivant deux axes : les compositeurs américains bien entendu mais aussi ceux pour qui les USA ont été une terre d'accueil. Bertrand Renard nous dresse un petit tableaux historique à lire avant les concerts (du 29 janvier au 2 février 2014) !
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La musique américaine a grandi de ses racines populaires
La musique américaine, à l’inverse des musiques européennes, a grandi de ses racines populaires. Ce qui est logique vue la manière dont la nation elle-même s’est développée, par vagues successives d’émigrants pauvres qui ont créé sur ce territoire une culture et un mode de vie tout en conservant des réminiscences des pays qu’ils avaient quittés.
Negro spirituals
La première bourgeoisie américaine, dans les salons du XIXe siècle, regardait vers l’Europe. Au même moment, comme l’acte de naissance d’une nation musicale, naissaient des pratiques chorales chez les esclaves et leurs descendants : les fameux negro spirituals, chants de douleur et de religion (ils seront chantés à Nantes par Barbara Hendricks). Le blues en découle, chant des blancs pauvres, puis le jazz, qui marquait pour nous, encore à une date récente, l’identité de la musique américaine jusqu’à occulter ses autres courants. Par exemple les (peu connus en Europe) « barbershop musics », quand les hommes se retrouvaient pour se faire tailler la barbe, échanger des informations et… improviser des chants. Charles Ives (1874-1954)
Il faudra attendre plus de 100 ans après l’indépendance pour voir apparaître dans la musique dite « classique » un authentique américain, Charles Ives (1874-1954). Ives, autodidacte, la vie tranquille d’un fonctionnaire, dont on découvrira génie et démesure après sa mort. Meilleur exemple, sa sonate pour piano «Concord », gigantesque, touchant à tous les courants, toutes les écritures de son temps (certains parleront de « bric-à-brac »)
La « Symphonie du Nouveau Monde » créée à New-York
On peut donc dire que pour ce pays né en 1776 la musique commence au début du XXe siècle. Un peu avant, en 1892, le Tchèque Dvorak, dans sa fameuse (composée là-bas, créée à New-York), fait entendre le premier thème purement américain de l’histoire de la musique, une mélodie indienne jouée au cor anglais pendant le magnifique mouvement lent. Gershwin, Bernstein,Samuel Barber, John Cage, Philip Glass...
Quant aux compositeurs purement américains, ils seront souvent, évidemment, de racines émigrées, le plus fameux, George Gershwin, d’ancêtres juifs russes. Citons aussi Leonard Bernstein, chef d’orchestre prestigieux et merveilleux auteur («Candide », « West Side Story ») Ou Samuel Barber, Elliott Carter, Aaron Copland, chacun suivant un itinéraire assez semblable partant de la musique tonale (avec couleurs locales comme dans les ballets « Billy the Kid » ou « Appalachian spring » de Copland) pour aller vers le sérialisme ou la polyrythmie. Un John Cage (œuvres pour « piano préparé », divers objets posés entre les cordes), un Conlon Nancarrow (études pour piano mécanique) mais aussi les, plus contemporains, représentants de la musique répétitive (Philip Glass, Steve Reich, John Adams) ou minimaliste (George Crumb) montreront que la musique américaine, en grandissant au même rythme que la nation, va explorer toutes les voies proposées par le XXe siècle avec un appétit et une curiosité qui expliquent sa diversité. Les grands exilés
L’apport des grands exilés se limite à « U.S.A. terre d’accueil » -et c’est déjà l’essentiel. Le premier, Rachmaninov, demeurera profondément russe en terre d’Amérique (même si René Martin nous confiait ces jours-ci que Rachmaninov admirait Gershwin et surtout sa « Rhapsody in blue » qui influencera le «4e concerto pour piano ». Les deux œuvres seront réunis sous les doigts de l’inévitable Boris Berezovsky, moyen d’en juger par soi-même !)
Puis le nazisme et ses alliés (bien plus que le communisme) précipiteront au Nouveau Monde le Hongrois Bartok, le Tchèque Martinu, l’Allemand Hindemith, les Autrichiens Schönberg et Korngold (car juifs), le Suisse Bloch (car juif), le Français Milhaud (car juif). La plupart d’entre eux ne changeront pas de style, à moins d’épouser un genre purement américain comme Korngold, emblème de la musique de film (« Les aventures de Robin des Bois » avec Errol Flynn) ou Kurt Weill, le compositeur de Brecht (« L’Opéra de quat’ sous », c’est lui), reconverti en auteur de comédies musicales! Je mettrai à part Stravinsky car sa (longue) carrière américaine épouse les évolutions de son temps au gré d’une liberté personnelle peut-être stimulée par le contexte bouillonnant qui l’entoure.
Dans les années 50, l'Amérique triomphe : "Les Big Five"
Dans les années 50, en musique comme ailleurs, l’Amérique triomphe. Les grandes institutions américaines, faisant office de mécènes, commandent des œuvres. Les orchestres surtout, alors les meilleurs du monde autour des « Big Five » (Boston, New-York, Philadelphie, Chicago, Los Angeles), vont solliciter les plus grands compositeurs, européens comme américains. Les deux chefs de l’Orchestre de Boston, l’exilé russe Serge Koussevitzky (entre 1924 et 1949) puis le Français Charles Münch (entre 1949 et 1962) sont ainsi à l’origine d’une multitude de chefs-d’œuvre. Les « nés hongrois » Eugene Ormandy et George Szell, chefs respectifs à Philadelphie et Cleveland, font de même.
Il est vrai que les baguettes des orchestres américains sont souvent des exilés, et d’origine européenne : le Français Paul Paray à Detroit, l’Allemand William Steinberg à Pittsburgh, le Grec Dimitri Mitropoulos à New-York, plus tard les Hongrois Fritz Reiner et George Solti à Chicago. On estime à 300 les œuvres qui n’existeraient pas sans ces commandes et ces créations. Dont « Des Canyons aux étoiles », commande du gouvernement américain à Olivier Messiaen pour le bicentenaire de la nation. Elle donne son titre à ces « Folle Journées » car pour René Martin elle résume l’Amérique : les canyons des cow-boys, des Indiens et des grands westerns, les étoiles des premiers pas sur la lune.
Des créations
Un mot encore : certains compositeurs d’aujourd’hui, jamais ou quasi jamais joués en France, verront certaines de leurs œuvres créées à Nantes (le 4e quatuor à cordes de Daniel Kessner le 29 janvier). C’est une des fiertés de l’incroyable René Martin d’obtenir cela, et un effet de son inépuisable curiosité. Au vu du programme, tout ce qu’on croyait (déjà) connaître de la musique américaine se trouve largement dépassé. C’est dire si j’ai hâte d’y être (et de vous en parler).
Le programme de la Folle Journée de Nantes
Du 29 janvier au 2 février 2014
La musique américaine, à l’inverse des musiques européennes, a grandi de ses racines populaires. Ce qui est logique vue la manière dont la nation elle-même s’est développée, par vagues successives d’émigrants pauvres qui ont créé sur ce territoire une culture et un mode de vie tout en conservant des réminiscences des pays qu’ils avaient quittés.
Negro spirituals
La première bourgeoisie américaine, dans les salons du XIXe siècle, regardait vers l’Europe. Au même moment, comme l’acte de naissance d’une nation musicale, naissaient des pratiques chorales chez les esclaves et leurs descendants : les fameux negro spirituals, chants de douleur et de religion (ils seront chantés à Nantes par Barbara Hendricks). Le blues en découle, chant des blancs pauvres, puis le jazz, qui marquait pour nous, encore à une date récente, l’identité de la musique américaine jusqu’à occulter ses autres courants. Par exemple les (peu connus en Europe) « barbershop musics », quand les hommes se retrouvaient pour se faire tailler la barbe, échanger des informations et… improviser des chants. Charles Ives (1874-1954)
Il faudra attendre plus de 100 ans après l’indépendance pour voir apparaître dans la musique dite « classique » un authentique américain, Charles Ives (1874-1954). Ives, autodidacte, la vie tranquille d’un fonctionnaire, dont on découvrira génie et démesure après sa mort. Meilleur exemple, sa sonate pour piano «Concord », gigantesque, touchant à tous les courants, toutes les écritures de son temps (certains parleront de « bric-à-brac »)
La « Symphonie du Nouveau Monde » créée à New-York
On peut donc dire que pour ce pays né en 1776 la musique commence au début du XXe siècle. Un peu avant, en 1892, le Tchèque Dvorak, dans sa fameuse (composée là-bas, créée à New-York), fait entendre le premier thème purement américain de l’histoire de la musique, une mélodie indienne jouée au cor anglais pendant le magnifique mouvement lent. Gershwin, Bernstein,Samuel Barber, John Cage, Philip Glass...
Quant aux compositeurs purement américains, ils seront souvent, évidemment, de racines émigrées, le plus fameux, George Gershwin, d’ancêtres juifs russes. Citons aussi Leonard Bernstein, chef d’orchestre prestigieux et merveilleux auteur («Candide », « West Side Story ») Ou Samuel Barber, Elliott Carter, Aaron Copland, chacun suivant un itinéraire assez semblable partant de la musique tonale (avec couleurs locales comme dans les ballets « Billy the Kid » ou « Appalachian spring » de Copland) pour aller vers le sérialisme ou la polyrythmie. Un John Cage (œuvres pour « piano préparé », divers objets posés entre les cordes), un Conlon Nancarrow (études pour piano mécanique) mais aussi les, plus contemporains, représentants de la musique répétitive (Philip Glass, Steve Reich, John Adams) ou minimaliste (George Crumb) montreront que la musique américaine, en grandissant au même rythme que la nation, va explorer toutes les voies proposées par le XXe siècle avec un appétit et une curiosité qui expliquent sa diversité. Les grands exilés
L’apport des grands exilés se limite à « U.S.A. terre d’accueil » -et c’est déjà l’essentiel. Le premier, Rachmaninov, demeurera profondément russe en terre d’Amérique (même si René Martin nous confiait ces jours-ci que Rachmaninov admirait Gershwin et surtout sa « Rhapsody in blue » qui influencera le «4e concerto pour piano ». Les deux œuvres seront réunis sous les doigts de l’inévitable Boris Berezovsky, moyen d’en juger par soi-même !)
Puis le nazisme et ses alliés (bien plus que le communisme) précipiteront au Nouveau Monde le Hongrois Bartok, le Tchèque Martinu, l’Allemand Hindemith, les Autrichiens Schönberg et Korngold (car juifs), le Suisse Bloch (car juif), le Français Milhaud (car juif). La plupart d’entre eux ne changeront pas de style, à moins d’épouser un genre purement américain comme Korngold, emblème de la musique de film (« Les aventures de Robin des Bois » avec Errol Flynn) ou Kurt Weill, le compositeur de Brecht (« L’Opéra de quat’ sous », c’est lui), reconverti en auteur de comédies musicales! Je mettrai à part Stravinsky car sa (longue) carrière américaine épouse les évolutions de son temps au gré d’une liberté personnelle peut-être stimulée par le contexte bouillonnant qui l’entoure.
Dans les années 50, l'Amérique triomphe : "Les Big Five"
Dans les années 50, en musique comme ailleurs, l’Amérique triomphe. Les grandes institutions américaines, faisant office de mécènes, commandent des œuvres. Les orchestres surtout, alors les meilleurs du monde autour des « Big Five » (Boston, New-York, Philadelphie, Chicago, Los Angeles), vont solliciter les plus grands compositeurs, européens comme américains. Les deux chefs de l’Orchestre de Boston, l’exilé russe Serge Koussevitzky (entre 1924 et 1949) puis le Français Charles Münch (entre 1949 et 1962) sont ainsi à l’origine d’une multitude de chefs-d’œuvre. Les « nés hongrois » Eugene Ormandy et George Szell, chefs respectifs à Philadelphie et Cleveland, font de même.
Il est vrai que les baguettes des orchestres américains sont souvent des exilés, et d’origine européenne : le Français Paul Paray à Detroit, l’Allemand William Steinberg à Pittsburgh, le Grec Dimitri Mitropoulos à New-York, plus tard les Hongrois Fritz Reiner et George Solti à Chicago. On estime à 300 les œuvres qui n’existeraient pas sans ces commandes et ces créations. Dont « Des Canyons aux étoiles », commande du gouvernement américain à Olivier Messiaen pour le bicentenaire de la nation. Elle donne son titre à ces « Folle Journées » car pour René Martin elle résume l’Amérique : les canyons des cow-boys, des Indiens et des grands westerns, les étoiles des premiers pas sur la lune.
Des créations
Un mot encore : certains compositeurs d’aujourd’hui, jamais ou quasi jamais joués en France, verront certaines de leurs œuvres créées à Nantes (le 4e quatuor à cordes de Daniel Kessner le 29 janvier). C’est une des fiertés de l’incroyable René Martin d’obtenir cela, et un effet de son inépuisable curiosité. Au vu du programme, tout ce qu’on croyait (déjà) connaître de la musique américaine se trouve largement dépassé. C’est dire si j’ai hâte d’y être (et de vous en parler).
Le programme de la Folle Journée de Nantes
Du 29 janvier au 2 février 2014
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