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Affaire Orelsan : quatre précisions pour ceux qui détestent les rappeurs

Francetv info plonge les néophytes dans l'univers du rap actuel, et met à mal quelques idées reçues.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Le rappeur Orelsan, le 28 septembre 2013, au Stade de France à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). (PIERRE ANDRIEU / AFP)

"Mais pourquoi sont-ils si méchants ?" Les rappeurs font régulièrement la une de la presse pour leurs déboires ou pour leurs propos peu élégants. Dernier fait en date : le rappeur Orelsan a été relaxé, jeudi 18 février, après avoir été poursuivi en justice par plusieurs associations féministes l'accusant de "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence" contre les femmes dans les textes de ses chansons. 

Les rappeurs sont-ils misogynes ? Violents ? Leur influence est-elle négative sur les jeunes qui les adulent ? Francetv info prend sa clé de douze et tente de déboulonner chacun des clichés qui règnent sur la scène rap actuelle. 

"Les rappeurs sont des gros beaufs misogynes”

Dans leurs textes, un grand nombre de rappeurs ont il est vrai tendance à considérer les femmes comme des objets. "J'te quitt'rai dès qu'j'trouve une chienne avec un meilleur pedigree" ou "Ferme ta gueule ou tu vas te faire marie-trintignercomptent parmi les punchlines les plus célèbres d'Orelsan.

"Il y a effectivement des gros beaufs dans le rap, mais il est clair qu'Orelsan n'est pas à prendre au sérieux quand il tient ce genre de propos. Il raconte des personnages, explique Mehdi Maizi, auteur de Rap français, une exploration en 100 albums (Le Mot et le Reste, 2015). Les rappeurs les plus violents sont souvent à prendre au second degré." Booba a beau se montrer très inélégant avec sa compagne dans le morceau "Killer" (“Ferme un peu ta gueule, va me faire un steak frites”), il évoque aussi "des textes à prendre à 1 degré 5" dans "Ma définition". L'important dans le "rap game" est de laisser planer le doute. 

Dans leur clip "Gangsta", les frères toulousains de Bigflo & Oli expriment avec humour cette nécessité de ne pas prendre le rap trop au sérieux. Alors que l'un des deux parade au volant d'une voiture de sport, suivi par une femme peu vêtue, il est tout de suite interrompu par son aîné. “Mais t’es malade ? Flo, c’est pas ta voiture et elle, c’est notre cousine.”

Faut-il aussi rappeler que la misogynie n'est malheureusement pas l'apanage du hip-hop, mais existe bel et bien dans la chanson française ? Comme le rappelle Libération, c'est Michel Sardou qui chantait son "envie de violer des femmes, de les forcer à [l]’admirer". Pas Orelsan. 

“Ce n'est pas de la vraie musique”

A ceux qui affirment que la “vraie” musique, c’est une guitare, une batterie et une basse, il est essentiel de rappeler que l’industrie du disque a évolué avec la technologie. Les Daft Punk sont les artistes français les plus connus sur la planète et leur musique est plutôt éloignée de celle d'un quatuor à cordes. Rappelons aussi que l'électro a eu son lot de critiques dans les années 1980. Tout comme le rock, qualifié de "musique du diable" par les plus conservateurs dans les années 1950, comme le rappelle Jota Martinez Galiana dans Satanisme et sorcellerie dans le rock : histoire d'un mythe (Camion noir). 

En France, le hip-hop existe depuis trente ans. Et depuis, les producteurs (ceux qui composent la trame musicale sur laquelle vont déblatérer les rappeurs) ont eu le temps de peaufiner leur technique. Les “instrus” (instrumentales) sont désormais moins faites de samples que de pistes de synthétiseurs.

Certains d’entre eux ont même composé des tubes qui passent en boucle sur les radios généralistes. Exemple avec DJ Kore, qui travaille aussi bien sur de très gros projets de rap que sur des albums de variété française, comme ceux de Leslie ou de Matt Pokora. “Il n’a pas appris le solfège, mais ça ne l’a pas empêché de faire danser la France entière”, rappelle Mehdi Maizi. 

Le rap fait assurément partie intégrante du paysage musical français. Jul cumule plus de vues sur YouTube que Christine and the Queens. Les pré-adolescents sont scotchés à Black M (un ancien membre du groupe Sexion d’Assaut), alors que les collégiens préfèrent les rimes "testostéronées" et vulgaires de Gradur.

“Le rap fait l’apologie de la violence et de la drogue”

Vous venez de regarder le clip ? Vous êtes donc très certainement choqué par le nombre de pectoraux huilés que vous venez de voir. Et surtout par les armes à feu qui y sont fièrement exhibées. On ne va pas se mentir : les armes, la drogue, la prison, les gangs, sont en effet des thèmes très prégnants dans le rap. Les choses dégénèrent parfois, comme lors du très médiatique clash entre Booba et Rohff. Le second a fini par atterrir à la case prison après avoir attaqué un vendeur de la boutique du premier.

Mais la plupart du temps, la violence se cantonne uniquement aux clips des rappeurs, que les amateurs savourent comme des films de gangsters. Il faut dire que certains sont dignes de véritables productions hollywoodiennes. Exemple avec ce clip où Booba parcourt la forêt amazonienne en moto.

Les rappeurs aiment bien jouer les chefs de cartels sud-américains, mais seulement dans leurs clips. En 2006, lorsque la mère et le petit frère de Booba ont été pris en otage par des maîtres chanteurs, celui-ci n’a pas sorti les fusils à pompe qu'il exhibe dans ses vidéos. Il a simplement fait appel à la police, comme n'importe quel citoyen. Pour se la jouer bling-bling, la plupart des rappeurs cassent en réalité leur tirelire. “Je me suis acheté une Porsche, j’ai mis tout mon argent dedans, expliquait par exemple Kaaris, dans l'émission Clique. C’est pas interdit de se faire plaisir, tu vois ce que je veux dire. Je travaille dur pour ça.”

Le rap s’est donné pour mission de raconter la vie des quartiers, où la drogue et la violence sont des problèmes réels. Ainsi, le panthéonesque Demain, c’est loin de Iam a été cité par de nombreux sociologues pour illustrer l’errance de la jeunesse face à un ascenseur social en panne.

Beaucoup plus récemment, le duo PNL, constitué de deux frères originaires de Corbeil-Essonnes (Essonne), raconte avec un réalisme glacial le quotidien des petits trafiquants de drogue, fait d'ennui et de désenchantement. "C'est sale quand j'vends la came, Mais bon croyez pas que j'kiff (que j'aime) des remords quand j'suis à table. Baba, j'bibi (je vends de la drogue, du dialecte romani "bicrave") en bas, l'temps passe, J'vois l'soleil, s'lever, s'coucher, j'mens quand j'dis 'ça va'".

“C’est tout le temps la même chose”

Comme pour le rock avant lui, il existe une multitude de sous-genres dans la constellation du hip-hop. En tendant un peu l’oreille, vous comprendrez sans mal qu’il n’y a plus grand-chose à voir entre le rap old-school d’IAM et la trap (une scène née aux Etats-Unis, qui tient son nom des Trap Houses, les squats où l’on vend de la drogue) actuelle de Niska. Démonstration avec trois énormes tubes de l'année 2015.

PNL, évoqué plus haut, s’illustre par ses morceaux qualifiés par les critiques de “cloud rap”, un genre né aux Etats-Unis et caractérisé par ses rythmes lents et aériens. Ce clip, filmé à Scampia (le fief de la mafia napolitaine), a été visionné 25 millions de fois

À l’inverse, la “trap” est rapide, saccadée et plus festive. Ce monsieur à l’air très énervé, c'est Niska. Il a fait un véritable carton avec ce titre, dont la danse a été reprise par le footballeur du PSG Blaise Matuidi pour célébrer ses buts.

Entraînants sans être violents, les morceaux de Nekfeu rappellent un style plus classique, appelé “boom bap” (une onomatopée du son des percussions, centrales dans le hip-hop). Adulé par les critiques, Nekfeu vient de remporter une Victoire de la musique. La preuve que vous n’avez pas fini d’entendre parler du rap. Que vous le vouliez ou non.

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