Beats, fumette et règlements de comptes : Dr. Dre ou le rêve américain version gangsta rap
Seize ans après la sortie de son dernier album, Dr. Dre opère de nouveau avec "Compton : A Soundtrack". Pour l'occasion, francetv info retrace la carrière du rappeur le plus riche du monde.
"Dr. Dre be the name, still running the game" ("Dr Dre, c'est mon nom, je suis toujours le patron"). Ces mots, chantés par le rappeur californien en 1999, n'ont jamais sonné aussi juste. Depuis la sortie de son deuxième album intitulé 2001, il y a seize ans, Dr. Dre a tenu ses fans en haleine en laissant miroiter régulièrement la sortie d'un troisième opus. C'est chose faite, vendredi 7 août, avec l'arrivée dans les bacs de Compton : A Soundtrack by Dr. Dre.
Le 2 août, il avait annoncé sur Twitter que Compton : A Soundtrack serait son "grand final". Dans la galaxie du hip-hop, l'album est attendu comme une supernova censée rayonner à jamais. Snoop Dogg, Eminem, Xzibit, Kendrick Lamar... Dr. Dre a tenu sa promesse en invitant au micro la fine fleur du rap américain.
Dre au cinéma avec "N.W.A - Straight Outta Compton"
La sortie de l'album précède d'une semaine celle de son film, N.W.A - Straight Outta Compton. Le biopic raconte les débuts, en 1986, de son ancien groupe Niggaz Wit Attitudes (N.W.A) à Compton, un quartier chaud de la banlieue de Los Angeles. "Je me suis senti tellement inspiré par le film que j'ai commencé à enregistrer l'album", a-t-il expliqué lors son émission sur Apple Music, le service de streaming et de radio.
A 50 ans, le père de cinq enfants multiplie les casquettes. Entrepreneur, producteur, cinéaste... Dre joue avec succès sur tous les tableaux. Mais la route fut longue depuis ses débuts dans les ghettos de la banlieue angeline.
"Le groupe le plus dangereux du monde"
Retour au début des années 1980. Pour éloigner le jeune Andre Romelle Young (son vrai nom) des gangs de rue, sa mère, qui l'a eu à 16 ans, le change d'établissement scolaire. Mais le jeune Andre est passionné de musique et traîne dans les clubs locaux pour admirer les DJ. On est alors loin du hip-hop tel qu'on le connaît aujourd'hui, et lorsque pour la première fois le docteur se met aux platines, c'est dans le groupe d'électrofunk World Class Wreckin' Cru. A l'époque, Dre préfère les costumes orange à paillettes aux casquettes et chaînes en or.
Changement de ton en 1986, quand Dre rejoint Ruthless Records, un label cofondé par un dealer de crack du coin, nommé Eazy-E. Avec lui, DJ Yella, MC Ren et Ice Cube, Dre se lance dans l'aventure N.W.A. Aux platines, il distille des breakbeats musclés qui sentent la poudre. Sur l'album Straight Outta Compton, il prend aussi le micro pour cracher des vers acérés, balançant le quotidien de son quartier rythmé par la drogue, la violence et le racisme.
N.W.A s'autoproclame "groupe le plus dangereux du monde". Bien que snobé par les radios, le titre Fuck Tha Police fait un carton. Ses paroles valent à Ruthless Records une lettre d'avertissement du FBI, indique le site All Music (en anglais).
"Smoke weed every day"
Le gangsta rap est né, et Dre règne en roi. Finis les clubs des ghettos de Compton, le "doctor" côtoie la crème hollywoodienne dans les fêtes branchées. En janvier 1991, Dr. Dre, mécontent des informations sur des dissensions dans le groupe données par la présentatrice d'une émission de hip-hop, Dee Barnes, se rue sur elle lors d'une soirée privée. Il l'attrape par les cheveux et lui cogne, à plusieurs reprises, la tête dans un mur, rappelle le Guardian. Le rappeur est condamné à 4 500 dollars d'amende et 240 heures de travaux d'intérêt général.
C'est aussi lors d'une de ces soirées que Dre rencontre son fidèle acolyte, Snoop Dogg. Dre est épaté par le débit de "l'homme chien" et le fait signer. Depuis, les businessmen du rap ne sont jamais bien loin l'un de l'autre.
Peut-être parce que les deux hommes partagent un goût prononcé pour la marijuana. Dans une interview donnée à Society en avril, Snoop Dogg se souvient de ses sessions en studio avec le "docteur" : "Je fumais beaucoup à l'époque, mais une nuit, dans le studio de Dre, on a fait un jeu : à celui qui tiendrait le plus longtemps. J'ai fini par terre, sous la table de mixage, pendant qu'il s'en roulait un nouveau pour lui tout seul. Il a dû fumer 25 joints cette nuit-là. Il devait y avoir 200 grammes de beuh et il a tout descendu."
Pourtant, celui qui a popularisé le précepte "Smoke weed every day" ("Fume de l'herbe tous les jours") n'a pas toujours fait l'apologie de la fumette. En 1988, sur le morceau Express Yourself, Dr. Dre avertissait : "I don't smoke weed or sess cause it's known to give a brother brain damage. And brain damage on the mic don't manage nothing (Je ne fume pas d'herbe parce que ça cause des dommages cérébraux. Et les dommages cérébraux au micro empêchent de réussir").
Le pygmallion du hip-hop
Dr. Dre a prouvé le contraire, car s'il fume beaucoup, il a surtout le flair pour dénicher les talents. Pendant son absence des bacs, l'artiste a révélé un grand nombre de stars du hip-hop du 21e siècle naissant, comme Eminem, qu'il signe en 1999 sur son label Aftermath Entertainment. Dre a le culot qui manque à d'autres pour lancer le jeune rappeur blanc de Detroit, dans une scène hip-hop où les musiciens sont presque tous afro-américains. En quelques mois, Eminem séduit le public international. L'album The Slim Shady LP se vend à 10 millions d'exemplaires, bien plus que la plupart des stars du hip-hop de l'époque.
En 2003, le Californien récidive en prenant sous son aile un certain Curtis James Jackson, 50 Cent de son nom de scène. Dre produit l'album Get Rich or Die Tryin', dont le clip du tube planétaire In Da Club met en scène la fabrication du rappeur par Dre et Eminem dans un laboratoire. La légende s'écrit : Dr. Dre fait de cet ancien dealer, qui se vante d'avoir reçu neuf balles au cours de règlements de comptes, une star.
Un manager de gangster
Car Dre, pionnier du gangsta rap, sait comment transformer les balles en or. Quand la guerre entre rappeurs de la côte Est et de la côte Ouest éclate, au début des années 1990, faisant plusieurs morts parmi les artistes et leur entourage, c'est en réalité deux labels qui s'affrontent. D'un côté : Death Row Records, cofondé par Dr. Dre. De l'autre, Bad Boy Records de Puff Daddy.
Avec Death Row, le producteur lance les plus grandes légendes du rap des années 1990, dont Nate Dogg et Tupac Shakur, alias 2Pac. En featuring avec Dre sur le tube California Love, 2Pac arrache la première place des charts américains. Les dollars inondent les caisses de Death Row Records. Depuis sa fondation, le label a vendu plus de 50 millions de disques pour environ 750 millions de dollars, indique le site Hip Hop DX (en anglais).
Lorsque Tupac Shakur est assassiné, à Las Vegas, le 13 septembre 1996, Dre tente d'éteindre le feu, qui a déjà laissé plusieurs cadavres des deux côtés du continent. Il prend l'avion pour New York et participe à plusieurs albums de rappeurs locaux, comme Nas ou Jay-Z. Il calme le jeu et capitalise. Toujours.
Le chanteur le plus riche du monde
En 1999, il revient sur le devant de la scène avec son deuxième album 2001. Le morceau Still D.R.E, qu'il interprète avec Snoop Dogg, fait exploser les charts, comme il fait sauter les châssis des Cadillac lowrider dans ce clip devenu mythique.
.Le temps passe et internet transforme la façon de consommer de la musique. Dre le comprend et diversifie ses activités en fondant l'entreprise Beats Electronics en 2008 avec Jimmy Iovine, un ponte de l'industrie discographique.
Ils développent Beats Music, un service de streaming musical basé sur un catalogue de 20 millions de titres. Surtout, ils commercialisent ensemble les casques Beats by Dr. Dre, qui font un carton. Près d'un casque haut de gamme vendu sur deux est un Beats, note GQ. Serena Williams, Nicki Minaj ou Neymar en font la pub.
En novembre 2014, Dre et son associé vendent la marque Beats à Apple pour la somme de 3 milliards de dollars. Selon Forbes (en anglais), Dr. Dre est devenu le musicien le plus riche du monde. Dre, qui apparaît désormais plus souvent en costume trois pièces qu'en casquette-baskets, pèse 620 millions de dollars.
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