"Ça fait du bien de se sentir inclus" : à la Philharmonie de Paris, un concert d'Oxmo Puccino accessible aux personnes sourdes et malentendantes

Le Collectif Integraal, qui interprète des concerts en langue des signes, a partagé dimanche la scène de la Cité de la musique avec le rappeur Oxmo Puccino. La preuve d'une accessibilité croissante, mais la route reste longue pour les publics sourds et malentendants.
Article rédigé par Neil Senot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
La chansigneuse Elodia Mottot, membre du Collectif Integraal, et le rappeur Oxmo Puccino à la Philharmonie de Paris. (JOACHIM BERTRAND)

Il y a les paumes qui s'entrechoquent, qui font du bruit, et il y a les mains qui s'élèvent, les poignets qui tournent en silence. Sur la scène de la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, le pianiste Yaron Herman joue quelques notes de célesta tandis qu'Oxmo Puccino apparaît discrètement. Vêtu d'un costume noir aux revers pailletés, le rappeur fait une révérence. Le public l'accueille avec un tonnerre d'applaudissements dont une petite partie lui est adressée en langue des signes.

Peu présent sur scène ses dernières années, Oxmo Puccino a rassemblé près de 3 000 personnes dimanche 18 février à l'occasion d'un concert rétrospectif entièrement chansigné par le Collectif Integraal. Le chansigne est une discipline artistique qui vise à interpréter des morceaux de musique en langue des signes. "Le but est de rendre les événements accessibles en langue des signes et de favoriser l'accueil du public signant", explique Erremsi, rappeur et co-fondateur du collectif.

"C'est une grosse émotion"

Sur la scène de la Philharmonie de Paris, trois personnes se relaient pour chansigner les 20 morceaux joués par Oxmo Puccino et ses musiciens. Tour à tour, ils investissent l'extrémité droite de la scène, les spectateurs sourds et malentendants ayant été placés dans la salle en fonction de cette position, et interprètent en rythme les paroles.

A l'extrémité droite de la scène, la chansigneuse Douboukan du Collectif Integraal interprète une chanson d'Oxmo Puccino. (JOACHIM BERTRAND)

Durant les moments purement instrumentaux, les chansigneurs ont parfois recours à la danse pour continuer à faire vivre la musique. "Ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de texte que la musique s'arrête", explique au terme du concert Douboukan, l'une des trois interprètes de la soirée. Encore un peu essoufflée par sa performance, elle reçoit quelques mercis de la part du public ciblé par le chansigne.

"C'est une grosse émotion", explique Élie, un spectateur malentendant de 22 ans. "Je ne m'étais jamais rendu à un concert chansigné auparavant, c'est une surprise incroyable. Je me suis senti plus inclus et j'ai mieux compris les rythmes", ajoute-t-il. De son côté, Nisrine a déjà assisté à plusieurs concerts de hip-hop chansignés par le Collectif Integraal. Âgée de 29 ans, la jeune femme a suivi la musique via l'interprétation et via un livret de paroles prévu pour le public malentendant. "J'aime beaucoup suivre en même temps les paroles écrites et le chansigne afin de comparer les métaphores", signe-t-elle, "mais ce que j'aime le plus, c'est me sentir incluse".

1 500 heures de travail

Le chansigne permet de proposer une expérience plus complète. "Les degrés d'audition varient. Il y a autant de perceptions musicales, auditives et sensorielles que d'individus", analyse Erremsi. Lors de concerts chansignés, les spectateurs sourds ou malentendants peuvent ainsi vivre la musique non seulement à travers les vibrations du son et la performance scénique des artistes, mais aussi à travers la compréhension des paroles et des subtilités langagières. Comme le reste du public le fait en chantant, le chansigne permet au public ciblé de reprendre les refrains et de vivre une expérience collective.

Ce moment précieux est le fruit d'une longue préparation. "On considère qu'un spectacle d'une vingtaine de titres nécessite environ 1 500 heures de travail", explique Erremsi. "On prépare le concert d'Oxmo Puccino depuis trois mois", précise Douboukan, "parfois, il nous faut une heure pour réussir à trouver la traduction juste". Ce travail en amont rend la mise en place d'un concert chansigné relativement coûteuse, ce qui explique notamment le fait que les spectacles accessibles soient essentiellement proposés par des institutions publiques.

Une accessibilité encore insuffisante

Si le chansigne s'est considérablement développé depuis quelques années et surtout depuis la crise du Covid-19, la discipline reste assez peu connue et peu présente lors d'événements musicaux. La Philharmonie de Paris propose entre trois et quatre concerts chansignés par saison, une offre rare. "On essaye de proposer une programmation variée allant de l'opéra aux musiques actuelles en passant par les concerts destinés aux jeunes publics", explique Helen Lamotte, responsable du pôle accessibilité de l'institution.

Le chansigneur Vinzslam lors du concert d'Oxmo Puccino le 18 février à la Philharmonie de Paris. (JOACHIM BERTRAND)

Si les lignes semblent bouger, le Collectif Integraal considère que "les propositions culturelles convaincantes pour le public sourd restent très limitées". Les interprètes déplorent entre autres le fait que certains artistes envisagent le chansigne comme "une manière d'apporter de l'originalité à leur projet" ou ne demandent que de traduire quelques morceaux d'un show, ce qui ne permet pas une véritable inclusion.

"Croire que la musique n’est pas pour le monde sourd est un préjugé erroné, explique Erremsi. Un dixième de la population naît ou devient sourd au cours de sa vie, c’est la raison pour laquelle ce travail est nécessaire. Nous espérons que les pratiques s’amélioreront et s’uniformiseront pour que n’importe qui puisse aller profiter d’un concert sans même se poser de question".

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