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Ce que l'on sait de l'annulation du concert de Bilal Hassani dans une ancienne église de Metz

Des appels à manifester, lancés par des mouvances catholiques traditionalistes et identitaires, ont fait craindre des débordements et des agressions. Le parquet de Metz a ouvert une enquête et l'artiste a porté plainte.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le chanteur Bilal Hassani à Cannes (Alpes-Maritimes), le 6 avril 2022. (JOEL SAGET / AFP)

"On avait ce concert complet… Et ça a été gâché encore une fois ! Parfois, on a l'impression de voir des belles choses arriver et d'un seul coup, on recule et ça fait peur." Bilal Hassani accuse le coup. L'artiste, ex-candidat de la France à l'Eurovision, a déploré l'annulation de son concert prévu dans une église désacralisée de Metz (Moselle), mercredi 5 avril, sur le plateau de l'émission "C à vous" sur France 5.

Bilal Hassani, qui devait commencer sa tournée dans cette ville, a préféré, en concertation avec son producteur et l'organisateur du concert Live Nation, annuler sa représentation "à la vue des menaces formulées à [son] encontre et [celle] de son public". "Nous ne pouvons laisser un rendez-vous qui devait être un moment de joie, de partage et de fête, devenir un lieu de tension et de malveillance accrues", a déclaré Live Nation. Franceinfo revient sur cette polémique.

La mouvance catholique traditionaliste et identitaire dénonce la tenue du concert

Le chanteur de 23 ans devait commencer sa tournée française, le Théorème Tour, par un concert à Metz. Avec son producteur, il avait choisi un lieu "atypique", comme il l'a décrit dans "C à vous" pour se produire : l'ancienne église Saint-Pierre-aux-Nonnains. Un lieu désacralisé depuis 1556, rapporte France Bleu Lorraine Nord, où la messe n'est plus célébrée et qui sert d'espace pour des concerts de rock comme de chant grégorien, ou des expositions. Il peut compter jusqu'à 280 spectateurs assis. Mais la présence de l'artiste, icône de la communauté LGBT+ et dont les tenues de scène s'affranchissent des codes du genre, gêne certains groupes d'extrême droite. Le 28 mars, un message posté sur le blog du collectif "Lorraine catholique", crie à la "profanation" et appelle les "chrétiens fidèles" à une prière collective devant la salle. Les productions du chanteur ne sont "rien d'autre que pornographiques", selon eux.

Sur Instagram, le collectif identitaire Aurora dénonce également le concert, parle de "menace" dont il faut "protéger" l'édifice, et qualifie les personnes LGBT+ de "cancer sociétal". Sur Facebook, l'organisation catholique intégriste Civitas s'en prend à la venue d'un artiste qu'elle qualifie de "transsexuel", et dénonce une "profanation". Le RN local s'en mêle par la voix de la conseillère régionale du Grand-Est, Françoise Grolet, qui écrit sur son compte Facebook : "L'un des plus vieux édifices religieux de France, maintenant destiné aux concerts acoustiques, doit-il subir cet outrage en pleine semaine sainte avant Pâques ? Revenez au bon sens !".

Le parquet de Metz ouvre une enquête contre X après des menaces visant l'artiste et son public

Ce n'est pas la première fois que le chanteur doit faire face à des démonstrations de haine. "Je me suis toujours voulu le plus courageux possible", assure Bilal Hassani sur le plateau de "C à vous". Le jeune homme souhaitait dans un premier temps se produire malgré les messages de haine, mais la teneur des menaces l'a fait changer d'avis. "Cela commençait à être inquiétant, surtout pour mon public, estime-t-il. Un rassemblement allait avoir lieu devant la salle, il allait cibler peut-être mes fans, mon public, et c'est la chose qui me terrifie le plus."

Dans un article mis en ligne vendredi, le site Streetpress annonce par ailleurs avoir averti le chanteur des menaces d'attentat le visant, ainsi que son public. Le site d'investigation a eu connaissance d'échanges inquiétants via "une source militante infiltrée dans différents canaux d'extrême droite qui a transmis des dizaines de captures". Dans les messages, il y est notamment question de "fabriquer des bombes", des "cocktails Molotovs", "des grenades", et "d'attaquer" Bilal Hassani "à l'acide". En se basant sur ces conversations, Streetpress relève que des militants d'extrême droite provenant d'autres départements devaient se rendre sur place, ce qu'avancent également les renseignements territoriaux, cités par l'AFP.

Dans la foulée de cette annulation, le parquet de Metz a ouvert une enquête contre X pour "menace de délit contre les personnes en raison de leur orientation sexuelle, de provocation à la haine ou à la violence contre une personne en raison de l'orientation sexuelle et de provocation publique et directe non suivie d'effet à commettre un crime ou un délit", a précisé le procureur de la République adjoint, Thomas Bernard. La Sûreté départementale a été saisie de ces faits.

Les soutiens de l'artiste se mobilisent

Interpellé par la conseillère régionale RN Françoise Grolet, le maire de Metz, François Grosdidier (ex-LR), avait d'abord répondu que l'église était parfaitement apte à accueillir l'artiste. "Elle est désacralisée depuis plus de 500 ans et est devenue aujourd'hui une salle de spectacles fort appréciée des Messins et des artistes en tous genres". "Je suis un édile qui s'opposera toujours à l'obscurantisme et l'extrémisme quels qu'ils soient", avait-il ajouté. Après l'annulation, il s'est désolé que le producteur de Bilal Hassani ait cédé "à une forme de terrorisme intellectuel, au détriment de la culture". "On peut aimer ou ne pas aimer Bilal Hassani. Ce qui est inadmissible, c'est qu'au nom d'une idéologie, on annule un concert. C'est un recul de la liberté d'expression et une concession faite à des extrémistes homophobes", a-t-il ajouté.

La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle, s'est dite "choquée" par cette annulation. "Face aux extrémismes, aux appels à la haine, à la violence, la culture doit rester un espace de liberté et d'émancipation", écrit-elle sur Twitter.

Malgré l'annulation, quelque 150 personnes se sont rassemblées à Metz le soir où devait avoir lieu le concert pour soutenir l'artiste. "Pas de fachos dans nos quartiers, pas de quartier pour les fachos !", ont-elles scandé. Parmi elles, des membres des associations locales Couleurs Gaies, Les Effrontées 57 ainsi que les sections locales du NPA et de Révolution permanente. Deux associations, Mousse et Stop homophobie, ont porté plainte contre X pour discrimination transphobe en pointant des "groupes catholiques intégristes".

Aurélie Hannedouche, directrice du Syndicat des musiques actuelles, a de son côté fait part à franceinfo de sa "grande préoccupation" et de sa "colère". Elle a demandé à Emmanuel Macron et au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, d'"intervenir" pour rappeler "ce qu'est la liberté d'expression aujourd'hui en France". De son côté, l'artiste a repris le chemin de la tournée, direction Toulouse.

Bilal Hassani dépose plusieurs plaintes

Une semaine après l'annulation de l'événement, Bilal Hassani a annoncé dans l'émission "Quotidien" avoir déposé plusieurs plaintes pour incitation à la haine, à la violence et pour discrimination. Ces plaintes visent les mouvements d'extrême droite Aurora, Civitas et un groupement baptisé "discussion natio Metz". Celui-ci a tenu "des propos menaçants et a voulu mener des actions violentes le jour du concert", selon Amina Frühauf, la mère de Bilal Hassani. Des utilisateurs de Twitter ayant posté des messages haineux sont également visés.

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