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André Minvielle, le « vocalchimiste »

Il est chanteur, improvisateur, percussionniste, (ra)conteur, poète, voyageant entre chanson française, racines gasconnes, jazz et musiques du monde. André Minvielle, qui se définit lui-même comme « vocalchimiste », vient de sortir un double album live, « Suivez Minvielle if you can ». Il se produit dimanche après-midi à Pantin, dans le cadre du festival Banlieues Bleues. Nous l’avons rencontré.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
André Minvielle
 (Caroline Pottier)
Natif de Pau, André Minvielle, 56 ans, parle avec l’accent mélodieux du Sud-Ouest. Cet accent, ainsi que la langue et la culture de sa région, constituent et nourrissent l’artiste et son travail. Un travail sans frontières ni œillères. Depuis des années, André Minvielle, qui chante majoritairement en français et en occitan, évolue au confluent de plusieurs musiques. « Je suis les bordures ! », aime-t-il à plaisanter.

Après des études visant à devenir horloger, André Minvielle s’est tourné vers la musique et s’est inscrit en 1980 à des cours de percussions et de chant lyrique. En 1985, il a rejoint la Compagnie du jazzman Bernard Lubat, à Uzeste, au sein de laquelle il s’est frotté au jazz durant de nombreuses années. Il a lancé son premier disque solo, « Canto ! » (Uz / Harmonia Mundi) en 1998.
En 2004, André Minvielle sortait son deuxième opus personnel, l’inventif et facétieux « ABCD’erre de la Vocalchimie » (Le Chant du Monde) et lançait le projet « Suivez l’accent », consistant à recueillir tout accent régional capté au gré de ses déplacements musicaux. C’est cet anniversaire qu’il tient à célébrer dans son double live, qui contient des captations de performances en solo pour le projet « ABCD’erre » et en duo – « Tandem » - avec l’accordéoniste Lionel Suarez.
La rencontre
Paris, jeudi 13 mars 2014. Fin de matinée pétillante avec André Minvielle dans un café de la République, quelques heures avant son concert au Studio de l’Ermitage. Simple, chaleureux, souriant, serein, volubile à souhait. La langue française et les mots constituent pour lui un terrain de jeu dans lequel il s’épanouit avec une éternelle délectation.

- Culturebox : Imaginez que vous deviez vous présenter à des gens qui ne vous connaissent pas – car il y en a encore quelques uns !
- André Minvielle : Mon domaine, c’est le chant. Ma spécificité, c’est la vocalchimie, ce qui veut dire que je vais dans les coins avec ma voix, et que je ne suis pas du tout fixé sur un genre. La vocalchimie, c’est l’art de traduire : comment faire si on veut chanter dans la suite des vocalistes noirs américains du jazz, si on veut improviser quand on ne parle pas anglais ? Il faut essayer de trouver sa façon. Traduire, mixer les langues, mixer le texte et l’improvisation. Je suis à cheval entre la chanson et la musique improvisée au sens global, parce que ce n’est pas forcément du jazz.
 
- Vous avez évolué longtemps au cœur du jazz...
- Le jazz, c’est le genre qui m’a accueilli, justement parce que j’étais proche de sa façon de travailler les choses. Mais c’est vrai que je suis un peu un sans-papier par rapport aux genres ! D’où l’invention de la « vocalchimie ». Parce que je ne suis pas non plus vocaliste dans le sens où on l’entend en France, parce que « vocaliste », c’est une exigence. C’est plutôt Cathy Berberian (illustre soprano américaine, ndlr), la musique contemporaine. C’est beaucoup écrit. Alors que moi, je suis beaucoup dans l’oralité. Ce qui m’intéresse, c’est l’expérimental et le populaire associés. Je ne veux pas couper l’un de l’autre. Les musiques populaires, ça veut souvent dire « oralité », il n’y a pas de partition, ça passe de bouche à oreille, du coup, c’est la mémoire qui marche autrement qu’à lire une partition.


- Si vous deviez donner une définition du jazz, l’un de vos terrains de jeu, quelle serait-elle ?
- Je prendrais celles des deux jazzmen à qui j’ai posé la question. Elles vont très bien ensemble. Archie Shepp m’a dit : « Tu prends une chanson populaire, connue, et tu la tors, tu "l’extens", tu la fais tienne, tu y ajoutes de l’improvisation, tu en fais quelque chose d’autre. » Pour moi, le jazz, c’est l’altérité. C’est l’autre, la façon d’aller le chercher, de le rencontrer, de s’adresser à lui, d’avoir des notions autres que ses propres notions traditionnelles ou d’éducation. L’autre définition est celle de Jon Hendricks. Il m’a dit : « À 6 ans, j’étais à l’église, tout le monde chantait autour de moi, je tapais des mains sur les deuxième et quatrième temps. » Je pense que la source est là. En France, on tape toujours sur le premier temps… J’ai répondu à Jon Hendricks : « Ben si j’avais eu ça à côté de chez moi, j’y serais tous les jours ! »

- Ça ne swingue pas autant dans nos églises...
- En effet. Et je rajouterais à ces deux notions quelque chose que j’ai découvert au Mexique. Le syncrétisme au sens où l’on mélange des apports culturels, religieux. Le jazz, pour moi, c’est du syncrétisme - laïque - où l’on associe des choses que l’on prend par-ci, par là... par-ci, par l’art ! Je travaille sur Boby Lapointe avec Jean-Marie Machado (pianiste, ndlr) et son orchestre. Il a fait un arrangement avec des musiciens de jazz. Un disque existe (« La Fête à Boby », sorti en 2012 chez Bee Jazz, ndlr). Je suis sûr et certain que Boby Lapointe aurait adoré qu’on fasse du jazz avec sa musique !

- Vous complétez votre travail de vocalchimiste avec tout un attirail d’effets sonores…
- Quand je suis en solo, j’aime bien me « dédédoubler » ! Ces appareils permettent en effet de cumuler les voix. J’utilise aussi beaucoup de moyens de percussions, qui vont des instruments traditionnels à des récupérations : bouteilles en plastique, tables, pochons, des petits sacs en plastique pour faire la pluie… et le beau temps aussi ! C’est bien pour faire travailler les enfants, ils aiment beaucoup. Pour moi, tout est son. Dans la vocalchimie, il y a une part que je n’ai pas expliquée : je me sers toujours de mes mains.
 


- Comment écrivez-vous vos textes entre français et occitan ?
- Au départ, c'est souvent une musique qui m'inspire des mots. Ces mots ont souvent à voir avec l'étranger. Je mélange les langues. Ma syntaxe est très « créolisée ». Je suis complètement d'accord avec ce que disait Édouard Glissant (écrivain natif de Martinique, ndlr) sur le phénomène de créolisation qui consiste en une confrontation des cultures, pas en un métissage. Cette confrontation donne de l'inattendu, du neuf. Si Marc Perrone (accordéoniste et ami, ndlr) me ramène une musique d'Amérique du Sud, je me dis tout de suite que l'occitan va se greffer dessus, pas le français. Idem pour un thème lent de jazz. Pour moi, l'occitan, c'est la langue du jazz. Une langue que je dois retrouver. Je la chante mais je la parle très peu. Mes parents ne me l'ont pas transmise, ils pensaient que ça n'en valait pas la peine. Pour revenir à l'écriture, je pense être un jeune auteur malgré mon âge légèrement avancé ! J'espère, de plus en plus, écrire et trouver ensuite la musique qui va avec, à l'inverse de ce que j'ai l'habitude de faire.

- Parlez-nous des deux projets réunis dans le double live « Suivez Minvielle if you can » (Suivez Minvielle si vous pouvez). Cette parution marque un anniversaire précis…
- C’est le dixième anniversaire du projet « Suivez l’accent », quand j’ai commencé à faire du collectage par moi-même, avant de proposer de continuer d’en faire à l’occasion de mes résidences musicales. Je collecte les accents, le parler, des histoires. Chaque accent est un chant. Pendant dix ans, pour chacune des résidences que j’ai faites, soit je travaillais l’ABCD’erre, soit je présentais le Tandem avec Lionel Suarez, avec mon projet en fil conducteur. Si l’ABCD’erre continue, le Tandem s’arrête, Lionel Suarez étant trop pris par ailleurs. J’avais décidé de lancer mon ABCD’erre après avoir vu « L’Abécédaire de Gilles Deleuze » (célèbre film d’entretiens avec le philosophe, ndlr).
 


- Tous ces projets ont démarré à la même époque…
- J’ai passé 17 ans de ma vie à Uzeste Musical avec la Compagnie Lubat. Le jour où je suis parti, je me suis dit : « Je ne pars pas, je continue quelque chose. Qu’est-ce que je continue ? » J’ai réfléchi. Ce qui m’avait vraiment marqué à Uzeste, c’était de travailler avec des gens dans une petite commune, organiser un festival tous les ans, puis par la suite toute l’année. Je voulais continuer de mener ce type de travail communal. J’ai pensé acheter une péniche et faire le Canal du Midi, de Sète à Bordeaux, pour glaner des accents et créer un lieu expérimental pour les gosses, pour qu’ils viennent écouter les Pygmées, la Callas, les voix du monde ! Quelque chose d’autre que les quatre radios qu’ils écoutent d’habitude, où tout est formaté. Avec les VNF et les canaux, c’est très compliqué au niveau desserte et conditions de sécurité. J’ai donc réalisé ce projet à pied. J’ai proposé aux gens qui m’invitaient de rester un jour de plus après les concerts pour travailler sur mon projet. Et peu à peu, on m’a proposé de faire des résidences.

- Espérez-vous exporter « Suivez l'accent » en dehors de France ?
- Mon rêve serait d’aller en Louisiane ! Pour collecter les accents, chanter avec les gens... Pour l’instant, j’ai beaucoup de travail et je n’ai pas les moyens, mais je ne désespère pas. J’aimerais réaliser ce rêve avec l’appui de subventions publiques. « Suivez l’accent », c’est un travail en direction du public. Je suis intermittent du spectacle, j’ai toujours pensé que je touchais de l’argent public et que je devais faire un travail pour donner quelque chose en retour au public. Ce projet me permet de rendre ce que j’ai reçu.
(Propos recueillis par A.Y.)

En concert : Dimanche 23 mars 2014 à Pantin, 16H
« L'ABCD'erre de la Vocalchimie »
Dans le cadre du festival Banlieues Bleues

Samedi 29 mars, dimanche 30 mars 2014 à Langon, 15H
Au Centre culturel des Carmes
Hommage à Claude Nougaro
L'album "Suivez Minvielle if you can" est sorti le 3 mars 2014
 (L'Autre Distribution)
> L'agenda d'André Minvielle ici

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