Catherine Ribeiro, chanteuse libre et indomptable, est morte à 82 ans

Considérée comme l'héritière de Léo Ferré, la chanteuse engagée s'est éteinte à Martigues.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
Catherine Ribeiro, le 9 octobre 1996, en concert au palais de Chaillot, à Paris. (SIMON ISABELLE / SIPA)

Figure française de la musique expérimentale des années 1970, la chanteuse Catherine Ribeiro est décédée dans la nuit de jeudi 22 à vendredi 23 août 2024 à l'âge de 82 ans, dans une maison de retraite à Martigues, a annoncé vendredi son entourage à l'AFP.

Après des débuts comme actrice, cette artiste engagée, esprit libre, rebelle et sans compromission, a
navigué durant sa carrière entre rock progressif et chanson française, connaissant un grand succès sans jamais lorgner du côté du show-business.

Née le 22 septembre 1941 à Lyon, fille d'immigrés portugais, Catherine Ribeiro débute sa carrière comme actrice. Elle joue notamment aux côtés du cinéaste Jean-Luc Godard dans le film Les Carabiniers (1963).

Puis, elle enregistre quelques chansons chez Barclay, ce qui lui vaut de figurer sur la légendaire photo des stars yéyés prise en avril 1966 par Jean-Marie Périer pour le journal Salut les Copains. Mais elle choisira une autre voie que celle d'idole des jeunes.

De chanteuse yéyé à "prêtresse de la chanson française"

Car entre-temps, en décembre 1962, sur le tournage des Carabiniers de Godard, elle a rencontré le compositeur et musicien expérimental Patrice Moullet. Pas suffisant pour la sauver de ses démons au moment de traverser une phase de doute, marquée par une mère violente, rongée par un sentiment d'échec. Après une tentative de suicide en avril 1968, Catherine Ribeiro passe de nombreuses semaines à l'hôpital et doit "réapprendre à parler, à marcher, à écrire", confiera-t-elle à Libération en février 2013. En 1969, avec Patrice Moullet, elle fonde et anime le groupe qui s'appellera bientôt Alpes. Son compagnon compose et joue des instruments dont il est l'inventeur, le cosmophone (un instrument électroacoustique) et le percuphone. Ribeiro écrit les textes.

Leur premier album ne porte pas encore le nom d'Alpes, mais s'intitule Catherine Ribeiro + 2 bis, du nom de l'adresse du studio où ils répètent, au 2 bis quai du Port, à Nogent-sur-Marne où le couple fréquente par ailleurs la première communauté hippie de France. "Il faut savoir qu'aucune maison de disques ne voulait d'un nom de groupe à l'époque", expliquait Catherine Ribeiro à Libération pour justifier la mise en avant de son seul nom. Ils devront se résoudre à se rebaptiser après des passages de la police dans la communauté où circule de la drogue. "Alpes s'est imposé : pour admirer le sommet d'une montagne, il faut lever le regard, c'est solaire."

Leur formation inclassable aurait pu rester confidentielle, mais sa participation au festival pop d'Aix-en-Provence en 1970 leur apporte un coup de projecteur inattendu et une toute nouvelle notoriété.

"Nous avons éclairé nos spectacles exclusivement à la bougie jusqu'en 1974, contait Catherine Ribeiro à Libération. Ça donnait une lumière fragile et apaisante. Sans courant d'air, les bougies tenaient une heure et demie. Sinon, on finissait dans l'ombre." Plus d'une fois, la chanteuse craint de voir sa longue chevelure noire s'embraser sur scène...

Les grands médias la snobent, la scène est son refuge

Alpes est boudé par les grands médias qui se méfient des textes subversifs et libertaires de Ribeiro. Même leur maison de disques Philips n'assume pas, imposant au groupe la mention "Les textes de ces chansons n'engagent que leur auteur" sur les pochettes des albums Paix et Âme debout, se souvenait la chanteuse, amère. "C'est terrible de m'avoir fait ce coup-là."

Alors la scène sera leur terrain d'expression, sans entraves. Alpes remplit les salles. De sa voix grave, profonde, poignante, Catherine Ribeiro assène ses indignations et ses revendications, comme dans la chanson Tous les droits sont dans la nature, dont une performance a été immortalisée à l'occasion d'un de leurs rares passages à la télévision.

Jusqu'en 1982, le groupe Alpes enregistre une dizaine d'albums, dont Paix (1972), considéré comme leur disque le plus abouti et le plus accessible, et donne des centaines de concerts. Entre-temps, Ribeiro et Moullet se séparent, mais ils continuent de faire de la musique ensemble. Dans les années 1980, la chanteuse s'installe dans les Ardennes.

Parallèlement à sa carrière musicale, Catherine Ribeiro, artiste humaniste, s'engage avec ferveur pour de multiples causes : la Palestine, les réfugiés qui fuient la dictature militaire au Chili, ceux qui échappent au franquisme en Espagne...

La "pasionaria rouge"

La "prêtresse de la chanson française" soutient le mouvement anarchiste, ce qui lui vaut un autre surnom, celui de "pasionaria rouge". Mais elle n'adhère à aucun parti, préférant le bouddhisme au militantisme politique.

En 1977, Catherine Ribeiro participe à la première édition du Printemps de Bourges. Cinq ans plus tard, en mai 1982, elle se produit durant trois semaines à Bobino. Parmi ses admirateurs dans le public, se faufile le président François Mitterrand. Ribeiro décline en revanche une série de quinze dates à l'Olympia pour préserver ses cordes vocales d'un gros volume sonore qu'elle ne pense pas pouvoir assumer sur la durée. Parallèlement à son parcours avec Alpes, Ribeiro sort en 1977 un album hommage à Édith Piaf, Le Blues de Piaf, distingué par le Grand Prix de l'Académie Charles-Cros, puis un disque consacré à Jacques Prévert, Jacqueries, en 1978.

En 1992, la chanteuse célèbre à nouveau des grands noms de la chanson française à l'auditorium du Châtelet, un concert immortalisé par un album live, L'Amour aux nus. L'année suivante, après un passage aux Francofolies, elle enregistre son dernier album studio, Fenêtre ardente. Quelques années plus tard, Ribeiro et Moullet reforment Alpes avec un nouvel effectif, mais le projet de sortir un album n'aboutit pas. En janvier 2008, Catherine Ribeiro chante dans un Bataclan plein à craquer. Auparavant, un concert à Palaiseau, en région parisienne, a donné lieu à un ultime album live.

Retirée du monde, mais toujours engagée

Dans les années 2010, Catherine Ribeiro a quitté Sedan et posé ses valises du côté de l'Allemagne. En octobre 2017, s'associant au mouvement #metoo de libération de la parole face aux violences sexuelles, elle s'exprimait sur Facebook et accusait un homme de radio et de télévision de l'avoir agressée, rappelait France Inter. "J'ai été violée en 1962 et je me suis tue. Si j'avais parlé, cet homme était capable de m'attaquer en justice (...). Je n'ai mis le mot VIOL qu'à 60 ans. Pour moi, jusqu'à sa mort et après : le dégoût, la honte, la répulsion et plus tard, la colère sont toujours présents."

Ces dernières années, Catherine Ribeiro avait pris ses distances avec toute vie publique, devenant insaisissable, ne répondant aux médias que par téléphone. En mai 2013, interrogée par Le Point sur son éclipse, elle avait répondu : "Je sais, c'est hallucinant pour quelqu'un qui a fait six fois la Fête de l'Humanité devant 120 000 personnes, mais marcher en ville me fait peur." Elle travaillait alors sur l'écriture d'une autobiographie. Elle s'était déjà racontée au travers d'un livre, L'Enfance, paru en 1999 aux éditions de L'Archipel, épuisé à ce jour.

Au milieu des années 2000, neuf albums du groupe Alpes ont fait l'objet d'une réédition en coffret. Une belle occasion de (re)découvrir une artiste ardente et insoumise.

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