Cet article date de plus de cinq ans.

"Funambule" de Paul Personne, regard acerbe et mélancolique sur le monde

Le bluesman français est de retour le 31 mai avec un nouvel album, "Funambule (ou tentative de survie en mileu hostile)". Regard sur le monde d'aujourd'hui, ses travers et ses lueurs d'espoir. Rencontre.

Article rédigé par Jean-François Convert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Paul Personne et sa guitare fétiche : Une Gibson Les Paul (ERIC MARTIN)

A bientôt 70 ans, Paul Personne affiche une carrière qui force le respect : une discographie solo dense et intense, et des collaborations multiples avec les plus grands, aussi bien en France qu'avec des musiciens d'outre-Atlantique. Ce nouvel album nous offre des ambiances chaudes, au blues-rock acéré, mais aussi des atmosphères laid-back nocturne.

La guitare, majestueuse et tranchante, évoque parfois Santana ou les Stones période Mick Taylor, et la voix rocailleuse nous conte les maux de notre monde actuel : l'incommunicabilité et un constat quelque peu désabusé dans Les dégâts, les faux-semblants de politiciens plus proches du show-bizz dans Comedia, et les réactions hostiles à nos semblables dans le sartrien Les autres.

On croirait presque entendre Jim Morrsion, accompagné par Carlos Santana dans le crépusculaire Les mêmes qui évoque justement les déshérités que la société laisse sur le bord de la route.


Mais malgré cette vision désenchantée, des bulles échappatoires apparaissent possibles, et la sérénité peut se retrouver Chez moi ou dans le bien nommé Bonheur avec son superbe solo aérien et jazzy. Des parenthèses apaisantes. Et toujours une petit dose de nonchalance et de détachement, comme l'exprime le titre Décalé.


Ce sentiment d'avoir toujours été un funambule, ce côté un peu déphasé et équilibriste dans la vie, il nous l'a raconté en toute simplicité, avec bienveillance, humour, et cette passion évidente de la musique.

L’album s’appelle Funambule, un des morceaux Décalé, est-ce comme ça que vous vous voyez ?
En tout cas c’est toujours comme ça que j’ai perçu une forme de vie sur cette terre. Essayer de traverser la vie comme on peut. On est sur une sorte de fil, on essaie d’y rester le plus dignement possible. Et par rapport à la métaphore du dessin de la pochette, il y a pas mal de personnes mal intentionnées qui essaient de nous faire tomber. Ce n’est pas tous les jours facile de tenir debout. Cet album parle juste de la difficulté du vivre ensemble : cette diversité de personnalités sur terre, parfois contradictoires, qui font que ce n’est pas tous les jours facile. D’où le sous-titre parce qu’il faut arriver à se préserver de pas mal de choses, et tout dépend de l’épaisseur de sa cuirasse.

On se bouche les yeux et les oreilles, sans se préoccuper des conséquences

Ce monde, vous le décrivez en déroute
C’est une sensation qu’on perçoit par certains de ses côtés. Même depuis mon adolescence dans les années soixante où on était dans cette révolution culturelle à essayer de changer quelque chose, il y avait déjà des signaux d’alarme annonciateurs écologiques, mais tout le monde s’en foutait complètement, et tous les gouvernements qui se sont succédé n’ont absolument pas écouté ces appels, même de la part des scientifiques. L’être humain est toujours à la recherche de plus, et peu importe les dégâts que ça occasionne. Je ne dis pas que c’était mieux avant, mais le progrès entraîne tout son marasme de désastres, quand il est mal utilisé. Il y a les bons côtés, je pense par exemple à la médecine, et parallèlement à ça, il y a des tas de choses qui nous conditionnent. On nous crée des besoins quasi-indispensables, alors qu’on peut très bien vivre sans, mais on nous fait croire le contraire. Et c’est très compliqué cette avancée de technologie, et d’aveuglement des responsables qui normalement devraient être des garde-fous et mettre quelques barrières, mais on a l’impression que tout le monde s’en fout, tout le monde avance tête baissée. C’est assez effrayant. Il y a comme ça des boules de colère qui remontent à la surface avec une sorte de misanthropie sous-jacente, en pensant que l’être humain est quand même un sacré enfoiré ! (rires)

Entre Comedia qui parle des gens au pouvoir et font tout pour le garder et Danse, on sent que vous avez voulu signifier l’urgence de la situation
J’ai voulu faire des textes assez simples et explicites, pas utilisé trop de métaphores. Que ça soit absorbable rapidement, pour que le discours soit compréhensible. Tous ces textes ont été écrits vers la fin de l’été et l’automne 2017, après les élections américaines et françaises, tous ces gens qui parlaient juste pour séduire. Au départ je m’étais dit que j’essaierais de sortir de toutes ces ornières et faire un album un peu plus inversé, qui respire un peu mieux, pour aller contre ce monde un peu noir, et puis le naturel revient toujours au galop, et j’e n’ai pas pu m’empêcher de griffonner des phrases en rapport avec cette colère, cette désespérance. L’homme est un loup pour l’homme, à part que je trouve que le loup est mieux élevé que l’homme ! (rires)

Heureusement il y a quelques échappatoires possibles avec des titres comme Bonheur et Chez moi
Oui bien sûr. Ce sont des petits moments furtifs. Il m’arrive de ressentir des vibrations, une bouffée qui irradie de l’intérieur, et de prendre conscience de se sentir vivant. On l’oublie souvent, mais rien que se réveiller chaque matin en bonne santé, c’est déjà important. Et puis le retour chez moi où je sens des racines, même si ce sont des racines provisoires, qui amènent à l’apaisement. Mais je ne vois pas tout en noir, je ne suis pas l’indien de Lucky Luke ! (rires) Il y a des choses qui m’exaspèrent et me mettent hors de moi, surtout le laxisme des gens qui sont au pouvoir qui devraient faire des choses et qui ne font rien. Mais parallèlement à ça, je vois aussi des tas de gens qui font des choses en faveur des autres, et qui nous poussent à nous réconcilier avec le monde

Paul Personne : un "funambule décalé" (ERIC MARTIN)

Comment écrivez-vous et composez-vous ?
C’est juste des sentiments. Je ne me force pas à écrire ou composer. Il y a des idées qui viennent à un moment ou un autre, je note dans un calepin ; et une envie qui arrive en me disant tiens ça pourrait faire des chansons. Pareil pour la musique, j’enregistre des bribes de mélodies, des suites d’accords, des riffs sur un dictaphone, même si sur le moment je n’y trouve pas un intérêt flagrant. Et puis des fois je le ressors des mois plus tard, et j’assemble plusieurs idées. Parfois ça reste à l’état de dictaphone. Ensuite j’aime aller en studio et enregistrer live avec d’autres musiciens, avoir cette interaction avec eux. J’aime confronter les personnalités des gens, les idées.

On entend des influences multiples de Santana aux Doors, en passant par les Stones. Ça vient naturellement ?
Ça vient comme ça vient. J’ai digéré ces influences sixties quand j’étais ado, en plein révolution culturelle. J’ai eu la chance de vivre dans cette période, c’était très riche artistiquement dans tous les domaines. Quand j’ai entendu la première fois Llight my fire dans un club en 67, je me suis dit "mais qu’est-ce que c’est que ça ?" et après j’ai composé tous mes morceaux en La mineur ! (rires) Et puis bien sûr les Allman Brothers, Santana, Hendrix, Albert King…il y a plein d’artistes qui sont dans les tiroirs de mon computer interne, et je ne cherche pas consciemment à imiter bien entendu, mais il y a des choses qui sont là et contre lesquelles je ne peux pas lutter (rires).

Etre un deuxième Jimi Hendrix, ça ne sert à rien, il vaut mieux être le premier soi-même

Quel sera le groupe pour la tournée ?
Après m'être fait plaisir en "twin guitars" (duo de de guitares - NDLR) avec le groupe A l'Ouest, j'ai eu envie de revenir à mes premièrs amours d'orgue Hammond, de piano Wurlitzer et Fender Rhodes. Mes influences Doorsiennes sans doute. Je vais donc jouer en quatuor avec clavier, et moi tout seul à la gratte.

Paul Personne et sa guitare fétiche : Une Gibson Les Paul (ERIC MARTIN)

Toujours fidèle aux Gibson ?
Oui. Depuis que je suis tombé sur cette Les Paul Goldtop, j'ai trouvé une guitare qui correspondait un peu au son de ma voix, un peu voilée, un peu cassée. Une sorte de complice qui faisait le parallèle. Quand ma voix ne disait plus rien, la guitare reprenait le dialogue. Et rester sur un même type de guitare évite de se disperser, et permet d’imprimer vraiment une couleur de ta personnalité. Ce qui m’a toujours plu c’est la signature des guitaristes, pouvoir reconnaître quelqu’un dès les premières notes. Imprimer une patte, avoir mon son et savoir pourquoi je suis là. Quand tu es à l’école de la musique, c’est marrant d’essayer de jouer comme tes idoles, mais au bout du compte on ne sera jamais le mec qu’on admire, à moins d’essayer d’être un clone, ce qui n’est pas très intéressant dans la vie. Tenter d’être un deuxième Jimi Hendrix, ça ne sert à rien, il vaut mieux être le premier soi-même avec tous les défauts qu’on a, mais on aura peut-être plus de chances de faire quelque chose.

La pochette de l'album (Verycords)

Paul Personne : Funambule (ou tentative de survie en mileu hostile), sortie le 31 mai chez Verycords

Le chanteur-guitariste sera en tournée à l'automne et au printemps prochain, dont le 27 mars 2020 à l'Olympia.

Paul Personne nous en dit un peu plus sur sa relation aux guitares ICI

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.