Grand entretien Cali : 20 ans de chansons et d’amour presque parfait pour célébrer l'anniversaire de son premier album

En 2003, Cali sortait son premier album "L'Amour parfait". Pour fêter les 20 ans de ses chansons (avec un an de retard), il a enregistré "20 ans d'Amour parfait" en duo avec Cabrel, Calogero, Charlélie Couture, Olivia Ruiz, Dominique A, Benabar, entre autres. Rencontre et retour sur ces tubes qui "ont changé sa vie".
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 14min
Cali en concert, le mercredi 6 mars 2023, au Café de la danse, 20 ans après son premier concert. (CHRISTOPHE AIRAUD)

Le 18 août 2003, en plein été, sortait l'album L'amour parfait. Nous sommes à l'époque où les CD s'entassent dans les bacs et où les passages radio font la pluie et le beau temps sur l'univers de la musique. Dans les embouteillages de la route du retour des vacances, les autoradios font résonner le single C'est quand le bonheur. Succès immédiat : 500 000 exemplaires vendus, le prix Constantin couronne le disque et les critiques intègrent le chanteur dans ce qui va s'appeler "la nouvelle chanson française" aux côtés de Matthieu Chedid, Benabar, Benjamin Biolay ou Vincent Delerm. Nous n'avons pas toujours 20 ans alors place à 20 ans d'Amour parfait, album de reprise des chansons en duo.

C'est l'occasion d'une rencontre pour revenir sur ces années passées avec ces très hauts, ces parfois bas, sa passion pour l'écriture et pour la scène, ainsi que ses engagements politiques. Un patio d'hôtel calme au matin dans le 18e arrondissement. Cali arrive à l'heure au rendez-vous. La nuit fut courte car la veille, pour fêter ce nouvel album, le concert au Café de la danse, complet rapidement, avait des allures de fête. Un peu fripé mais heureux de revenir sur ces 20 ans de vie et de chansons. Entretien.

Franceinfo Culture : Lors du premier concert dédié à ce nouvel album au Café de la Danse où vous aviez fait votre première scène, vous avez déclaré : "Cet album m'a ouvert les bras de la vie." En quoi "L'Amour parfait" a-t-il tant bouleversé votre existence ?

Cali : Ma vie a changé grâce à cet album. Ma vie a changé le jour où cette chanson passe sur RTL 2 entre Sting et Les Cranberries que j’admire. Quand j'ai entendu ça, j'ai reçu des tas de SMS et des coups de fil, et à partir de là, c'est parti, ma vie a complètement été bouleversée. Avant l'album, je faisais des bals de village chez moi et après, j'ai vu le monde grâce à ce disque-là et donc, c'est pour ça que je lui devais tout ça.

Quand le succès arrive en 2003, vous n'êtes pas un jeunot, vous avez déjà 35 ans et un début de carrière, très punk, et d'orchestre de balloche ?

En effet, mon premier groupe s'appelle "Penetration Anale", un nom pourri pour un groupe pourri mais la musique, c'était déjà ma vie. Ce groupe, c’était dans un village où tu n'as rien à faire, à part répéter et faire la fête. Les bals de village, c’est ma vie, et j’aurais adoré continuer à faire des bals. Mais ensuite, le cours de ma vie a changé et je dois tout aux chansons. C'est pour cela que je ne refuse jamais de chanter ces tubes que les gens connaissent par cœur. Certains chanteurs refusent leurs premiers tubes, pas moi !

C'est aussi une chanson au titre prémonitoire qui a marqué le public. "C'est quand le bonheur". Elle a une jolie histoire cette chanson. Comment est-elle née ?

Je me souviens exactement de la période. Je me sépare, je ne vois pas beaucoup mon fils et je suis complètement triste. J'écris des chansons pour moi-même, pas pour les montrer mais pour me sauver la vie et je me souviens parfaitement de C'est quand de bonheur. J'écris les couplets et le facteur frappe à ma porte. Caroline, qui est la mère de mes filles et que je ne vois jamais car elle habite très loin, à Besançon, m'envoie une carte postale. Elle m'écrit... "mais c'est quand le bonheur". Alors, tu vois, j'ai collé la carte postale dans ma chanson.

C'est donc une chanson qui vous sauve deux fois la vie ?

C'est effectivement une chanson qui me sauve deux fois la vie. C’est le trèfle à 4 feuilles de ma vie, j'ai eu la chance de la chanter avec des grands. Je me souviens quand on le chante avec Bashung et Daniel Darc pendant la tournée des Aventuriers [2005]. Daniel chantait "c'est con le bonheur" et je me disais, c'est cela que j'aurais dû écrire. [rires]

Pour l'album-anniversaire, comment avez-vous choisi les invités, votre choix de chansons ?

Je voulais faire honneur à ce disque-là. Au départ, il y a Steve Nieve au piano, en maître de cérémonie, Steve Wickham, et ma fille Coco. À partir de là, j'ai dressé ma liste d'invités, de ceux qui ont fait mon histoire. Dans ma liste, il y avait Jacques Higelin, y avait Bashung, eux, ce n’était pas possible. Il y avait Christophe Miossec, mais en ce moment, il ne peut pas chanter.

Lavilliers, Dominique A, Charlélie Couture, Cabrel, Olivia Ruiz et Benabar sont venus. Autour d'eux, il y a des rencontres hasardeuses. David Linx, [chanteur belge de jazz] ou Elliot Murphy, [rockeur américain, ami de Springsteen]. Car la quête de ma vie, c'est de casser les chapelles, moi, je peux jouer avec Obispo et chanter avec Patti Smith, chanter avec Benabar et les Simple Minds.

Quand j'écoute les deux albums successivement, celui de 2003 résonne colère et rythmique d'enfer, celui de 2024 est plus mélancolique, plus les voix en avant. 

En effet, car en 2003, je ne sais pas vraiment chanter, je chantais, j'étais chanteur de bal mais c'était un peu foufou. Depuis, ma voix n'est pas la même, elle a mûri, et surtout cette colère que j'avais après une séparation comme on peut tous avoir, elle s'entend, sur le premier album, je sens cette colère. Et aujourd'hui, sur ce nouvel album, ma volonté était de mettre en avant leurs voix, avec très peu de rythmiques, car ces chanteurs, quand tu écoutes une mesure de leur voix, tu les reconnais tout de suite, les Cabrel, Benabar, Olivia Ruiz, Adamo... Mais je suis d'accord, c'est plus mélancolique qu'il y a 20 ans.

Le chanteur Cali en mars 2024, pour la sortie de son album "20 ans d'Amour parfait". (CHRISTOPHE AIRAUD)

Vous les avez dirigés comment ces chanteurs ? Comment on se dépossède de sa propre chanson ? Il n’y a pas eu de bataille d'ego chez des artistes qui en ont quand même un quelque peu surdimensionné ?

Moi aussi, j'ai un ego, sauf que j'aime l'idée de dire à mes invités, c’est ta chanson maintenant, je te suis. Ces chanteurs, je les avais en poster, tu ne vas pas diriger un artiste que tu as eu en poster dans ta chambre d'ado. [Rires] Moi, je dis par exemple aux guitaristes en studio, imagine que tu es seul au pôle Nord, tu as très froid, tu es loin de ta famille et maintenant, à toi de jouer.

Sur l'album "20 ans d'amour parfait", il y a aussi ces détours par l'Irlande.

On appartient au pays où on a décidé de mourir… Moi, c’est l’Irlande. J’ai beaucoup parcouru ce pays, ces paysages magiques, et partagé des moments inoubliables avec ce peuple tellement accueillant.
Et la musique ! Au-delà de U2 et Bono, que j’ai pu côtoyer dans le cadre de l’ONG One, il y a aussi Steve Wickham le violoniste des Waterboys, U2, Sinéad O'Connor entre autres, qui est un ami. Il m’a fait découvrir les us de la musique traditionnelle irlandaise, j’ai pu faire des duos avec Mike Scott chanteur des Waterboys. Cette île ne joue pas de la musique, elle est la musique… J’ai appris aussi à me soigner là-bas. J’étais malade et un docteur (violoniste) m’a prescrit : "tu vas au pub, Guinness+whisky, puis Guinness+whisky, puis Guinness+whisky et demain tu n’as plus rien". Le lendemain, je n’avais plus rien. J’ai pu voir combien leur musique avait joué un rôle essentiel pour combattre l’assaillant anglais Cromwell qui a affamé et persécuté le peuple irlandais. C’est une musique qui mélange la magie, la lutte, la fraternité, l’amour avec une poésie bouleversante. Ma vie.

20 ans, c’est douze albums, donc à la louche, 140, 150 chansons. Vous avez toujours envie d'écrire, comment écrivez-vous ?

Je n'écris pas sur ordinateur, j'écris sur des bouts de papier, j'en perds beaucoup. L'idée n’est pas de faire pour montrer mais pour écrire, pour me sentir mieux, c’est vraiment une thérapie. Quand je suis sur la route ou dans un train, j'écris, c'est une quête. Je n'écris pas beaucoup pour d'autres, j’ai écrit pour Birkin ou ma chérie Dani, mais c'est rare. Moi, j'écris des humeurs sur des petits bouts de papier, parfois cela devient des chansons, parfois non. Si je n'avais pas été chanteur, j'aurais été instituteur de cours préparatoire. Si j'aime l'écriture, je le dois à Madame Cazes, mon institutrice. Elle donnait aux enfants la lecture et l'écriture. Donner l'écriture, c'est donner la liberté.

Vingt ans, ce sont des milliers de concerts qui sont toujours des performances physiques. Vous n'avez pas abandonné le slam, le fait d'être porté par la foule sur le dos, le ventre ou debout. Mais en vingt ans, cela vous a causé combien de blessures ?

C'est ce qui me rapproche de Mathias Malzieu qui vient de se péter le tibia et le péroné à la première minute de son premier concert de sa nouvelle tournée. Je me suis cassé le tibia, j'ai le genou en vrac, la clavicule et les côtes, mais je prends ça comme des blessures de guerre et ça veut dire que quand tu reviens de la guerre, tu es toujours vivant et t'es fier de t'être bien battu. Mais ça fait peur aux musiciens et à ma famille.

Le chanteur Cali en mars 2024 pour la sortie de son album : "20 ans d'Amour parfait". (CHRISTOPHE AIRAUD)

Mais qu’est-ce qui vous pousse à vous jeter ainsi dans les bras des spectateurs ?

Ah j'aime bien l'idée de passer le 4e mur qui nous sépare du public, j'aime bien l'idée de faire l'amour avec les yeux et après, c'est la confiance, tu leur offres ta confiance, ils te tiennent bien en général, c'est très bienveillant et c'est super agréable. Je suis claustrophobe, j'ai le vertige et c'est dire que quand je fais des choses comme ça ou que je grimpe, je n'y pense pas, j'ai juste l'instinct, c'est un partage.

En 20 ans, vous n'avez pas abandonné vos engagements, en mémoire de vos grands-parents calabrais et militants antifascistes, exilés vers la France ? En 2023, vous regardez comment cette période où peut-être votre grand-père n'aurait pas été accueilli ?

Je suis écœuré, quand il y a eu la proposition des lois migratoires, cela me désole, me révolte. Je suis très admiratif d'un Cédric Herrou, je suis allé chanter chez lui, j'ai vu comment il accueille les gens qui fuient un pays en guerre, des enfants qui ont traversé en bateau la Méditerranée puis l'Italie à pied. Ces engagements ont bâti la vie de mon papa, ça bâtit toujours ma vie. Mais je suis écœuré de l'époque actuelle.

Mais parfois, vous avez payé cher ces engagements durant ces 20 ans ?

Je ne regrette rien, mais après, avec les politiques, j’ai plongé la tête la première par rapport à mon grand-père. J'ai un micro, je me dois de m'exprimer. J'ai été très maladroit, j’ai parlé avec le cœur, le ventre, on me disait tu as de belles chansons mais on te suit plus, mais je ne regrette pas. À la fin, je serai fier d’avoir respecté la parole de mon papa qui disait : "On marche, on n'est pas seul et quand on doit dire les choses, faisons-le". Ma famille, c'est Leo Ferré, ou Jacques Higelin qui ouvrait sa gueule. Mais maintenant, je préfère aller chanter en prison ou dans des lieux associatifs.

On tire un bilan des 20 ans ?

Moi, quand on me dit "passe par là", je prends l'autre chemin, je suis très rebelle et provocateur, j'aime pas les chemins tout tracés, si j’avais pris les chemins droits, peut-être que cela aurait été plus facile. Mais je crois quand même qu'il faut avoir un caillou dans la chaussure, se tirer une balle dans le pied pour avancer, pour réaliser de belles choses.

Avec ces très hauts et ces parfois bas, vous auriez pu être contraint d'arrêter votre carrière. Vous y avez songé parfois?

Je n’aime pas trop le mot carrière et j'aime bien le mot d'un groupe de Seatlle, les Posies, quand ils ont arrêté ils ont dit : "À la demande générale, on arrête". Et ils se sont séparés ! [rires] J'ai failli arrêter aussi, mais quand je ne joue pas, je fais une dépression, et je ne sais pas faire autre chose. Je suis troubadour, je suis musicien, et je sais écrire des chansons. Il y a des hauts, des bas, mais après 20 ans, le public est là, je fais 150 dates par an, nous allons reprendre le tour-bus, j'aime cette vie du cirque, il y aura des joies, des peurs, des tristesses, on est des enfants. Je suis là et j'aime bien repartir à zéro.

Pochette de l'album de Cali "20 ans d'Amour parfait". (DR)

Cali "20 ans d'Amour parfait"

Treize duos : Francis Cabrel, Calogero, Stephan Eicher, Charlélie Couture, Ibrahim Maalouf, Olivia Ruiz, Dominique A, Adamo, Benabar, David Linx, Bernard Lavilliers, Elliott Murphy et Peter Kingsbery. Et tournée prévue en 2024.

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