: Interview Alain Chamfort de retour avec le magistral "Désordre des choses"
La maturité réussit à Alain Chamfort. Là où certains artistes de sa génération peinent à trouver un nouveau souffle d'inspiration, le chanteur de 69 ans (il les a fêtés le 2 mars) sort vendredi un nouveau bijou discographique, "Le désordre des choses" (Pias), qui succède avec éclat à ses précédents recueils de compositions originales, le sobrement intitulé "Alain Chamfort" (2012) et le somptueux "Une vie Saint Laurent" (2012).
"Le désordre des choses" est une merveille d'introspection, souvent sombre, parfois plus légère et distancée, sur l'âge et le temps qui passe. Très fin mélodiste, Alain Chamfort a composé toutes les musiques et a confié l'écriture des textes à Pierre-Dominique Burgaud qui était déjà son partenaire dans l'aventure "Une vie Saint Laurent".
Pour découvrir ses nouvelles chansons en concert, il faudra s'armer de patience. Pour les Parisiens : Alain Chamfort présente son disque ce vendredi après-midi (18H) à la Fnac Montparnasse. Le chanteur fera son retour sur scène cet automne : le 19 octobre à Saint-Malo (Nouvelle Vague), le 15 novembre à Paris (Trianon), le 29 novembre à Nantes (Cité des Congrès). D'autres dates devraient suivre.
- Alain Chamfort : Pour commencer, ce disque, je devais le faire : j'avais un contrat qui m'engageait à livrer un nouvel album dans ces délais ! C'est important, parce que s'il n'y a pas d'échéance, ce n'est pas évident... Ça peut aussi se faire si on me propose des projets, comme c'était le cas il y a quelques années quand Pierre-Dominique Burgaud, avec qui je viens de faire "Le désordre des choses", m'avait invité à réaliser avec lui un album sur la vie d'Yves Saint Laurent. C'était hors contexte, je n'avais plus de contrat, c'était une espèce d'album alternatif qui n'était pas attendu. De mon côté, je n'avais pas envie de proposer un nouveau disque sous mon nom, dans la continuité des autres, hors contrat, d'une manière totalement indépendante, je trouvais que c'était le signe d'une situation de fragilité. Alors, faire un album sur la vie de Saint Laurent m'a paru tout à fait possible. Concernant le dernier disque, je le devais au label. C'était déjà plus facile de trouver la motivation ! C'est le dernier que je leur dois contractuellement. Je ne sais pas comment ça va se passer pour la suite, s'il y aura une suite, c'est trop tôt pour le dire.
- Vous avez intitulé votre album "Le désordre des choses", reprenant le titre d'une superbe chanson de l'album...
- Ça correspond bien à ce qu'on entend dans le reste du disque. Il y a des thèmes existentiels, le temps qui passe, des chansons sur la confusion, un petit bilan sur le devenir de notre société. Il y a aussi des espaces de respiration comme "Les salamandres" où on se dit qu'après tout, il y a peut-être manière de s'extraire de la folie ambiante et de prendre du temps pour soi, et l'on essaye de redonner du sens à sa propre vie. Et en attendant, aller aussi près de la mer : dans "En regardant la mer", on imagine toujours qu'on va faire des choses, on prend des grandes décisions, et au moment de les appliquer, on n'est plus tellement sûr, parce que ça remet en question trop de choses en nous. Dans la chanson "En attendant", on projette des espoirs, on se fixe des objectifs, et tant qu'on ne les a pas atteints, on est obnubilé et on voit notre vie passer plutôt que de profiter des choses qui nous arrivent. C'est des questions que tout le monde se pose. C'était agréable de les traiter dans des chansons d'une manière assez digeste, pas pesante.
- Comment cette thématique globale s'est-elle forgée avec Pierre-Dominique Burgaud, l'auteur des textes ?
- Ces thèmes émanent de discussions régulières entre nous. Quand on connaît bien quelqu'un et qu'on se sent bien avec lui, on essaie d'échanger sur des questionnements qui nous traversent, commenter des événements auxquels on est confronté ou ceux auxquels on assiste, dans l'actualité. On échange beaucoup. L'intérêt d'avoir des amis, c'est de pouvoir parler avec eux, écouter leurs points de vue, et même si on n'est pas d'accord, essayer d'argumenter. Le jour où Pierre-Dominique est revenu vers moi avec des thèmes de chansons, il savait très bien les chances qu'il avait de m'intéresser en me proposant ces thèmes.
Reportage : E. Cornet / W. Kamli / F. Ménin / N. Pagnotta
- Que devient Jacques Duvall, votre parolier historique ?
- Jacques a décidé d'arrêter d'écrire - j'espère et je pense - momentanément. Il avait besoin de vivre autre chose, de s'ancrer davantage dans la vie. L'écriture l'a amené à se couper de plein de choses de la vie simple, qu'il n'avait pas du tout l'habitude de pratiquer. Depuis qu'il arrêté d'écrire, il a passé son permis de conduite, il met du papier peint dans sa maison, il fait un tas de trucs auxquels il n'aurait jamais pu songer avant. Il découvre tout ça et ça le remplit de joie, et je pense que ça l'amènera à écrire plus tard autre chose, différemment.
- Dans une récente interview, vous avez confié que vous trouveriez dommage de faire le disque de trop...
- Ce serait dur d'imaginer qu'en guise de retour, les gens disent : "C'est dommage, il a essayé de faire un beau parcours et là, il n'a plus rien à dire..." C'est plus agréable d'arrêter dans un moment où on a encore un album conséquent, et de pouvoir se rendre compte si on est capable de faire autre chose de différent, de mieux. Si ce n'est pas le cas, il vaut mieux arrêter, puis attendre le moment on aura quelque chose de nouveau à raconter. Je connais des artistes, que j'apprécie par ailleurs, pour lesquels je me rends compte à un moment qu'ils sont dans une espèce de train-train, leurs albums sortent les uns à la suite des autres et on a l'impression d'avoir déjà entendu ce qu'ils chantent.
- C'est vrai que vous vous êtes souvent aventuré là où on ne vous attendait pas forcément...
- Oui, je le faisais pour moi. Ça m'excitait plus que de revenir sur des choses qui avaient déjà été faites. Le plaisir, aussi, c'est d'avancer et se surprendre soi-même. Mais je ne porte pas de jugement sur ceux qui ne font pas comme moi !
- Votre nouvel album sort l'année de vos cinquante ans de carrière. Une période marquée par les disparitions prématurées de trois grandes personnalités de la chanson, des artistes de votre génération. Comment avez-vous vécu ces moments ?
- Je les ai vécus comme tout le monde. Quand le paysage nous fait l'affront de nous supprimer un élément, on n'a pas le temps de se préparer. C'est la fragilité de nos vies, il faut toujours en avoir conscience. Le plus difficile, c'est que les trois artistes concernés - Johnny, France Gall, Jacques Higelin - sont tous partis à cause d'une maladie, en souffrant, en se voyant se dégrader. Je pense que c'est ce qu'on peut imaginer de pire comme fin. Quand quelqu'un part brutalement, après un arrêt cardiaque, on n'a pas l'impression qu'il voit cette échéance arriver. Ces événements nous mettent face à notre propre réalité. On a tendance à le vivre avec nos interrogations sur nous-mêmes et la façon dont ça risque de se passer pour nous.
- Revenons à vos cinquante ans de carrière. En quelques mots-clés, quel bilan tireriez-vous de ce demi-siècle ?
- D'abord, je suis surpris. Surpris d'être encore là. Ce n'était pas du tout inscrit, écrit, je ne me sentais pas du tout armé pour ça, puis ça s'est passé malgré tout. Je pourrais aussi vous dire la vitesse à laquelle ça s'est déroulé. Quand on fait des bilans de vie, on a toujours l'impression que ça a été extrêmement rapide. Et puis, la satisfaction, malgré tout, de pouvoir encore continuer à proposer des choses et d'avoir quelques retours de gens à qui ça plaît. C'est très agréable de pouvoir continuer à vivre de cette activité sans avoir l'obligation de se remettre vraiment en question, sans devoir, d'un seul coup, se réadapter à une autre vie parce qu'on est bien obligé d'avoir des revenus. Donc il y a cette satisfaction et cette reconnaissance, à dire merci, merci !
- Si vous deviez retenir un seul album ?
- Il y en a un que j'adore, c'est le dernier que j'ai fait avec Gainsbourg [ndlr : "Amour, année zéro", 1981]. C'était plus pour des raisons sonores, d'instrumentation, de couleur générale. C'est un album que j'avais coproduit avec Wally Badarou, un garçon avec lequel je m'étais bien entendu et qui a fait que cet album passe à travers le temps, qu'il est à la fois très marqué, très identifiable et très intemporel. J'aimais beaucoup les chansons de ce disque comme "Chasseur d'ivoire", "Malaise en Malaisie", "Rendez-vous au paradis", "Bambou". C'est un album assez conséquent et que je continue à chanter sur scène.
- Y a-t-il, parmi vos chansons, quelques-unes qui, selon vous, n'ont pas été reconnues à leur juste valeur ?
- Il y en a pas mal ! Par exemple, "Si tu t'en allais", "Qu'est-ce que t'as fait d'mes idées noires ?", "Je laisse couler", "Les paroles dans le vide" et "L'homme qui te veut du bien".
Reportage D. Wolfromm, E.Cornet, W. Kamli, O. Bernholc
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