: Interview Dans son second album, Gauvain Sers continue de tisser un lien intime avec "Les oubliés"
Le deuxième album. Faut surtout pas faire la même chose que sur le premier sinon on te dit que tu tournes en rond. Et faut surtout pas faire complètement différent, sinon on te dit que tu t'es perdu. En gros quoiqu'il arrive, c'est casse-gueule le deuxième album
Gauvain SersBelle entrée en matière sur ce défi, dès la première page du livret. Gauvain Sers sait aussi avoir une plume ironique, toute en clins d'oeil et en tendresse. Défi relevé pour ce deuxième album "Les oubliés" qui parvient à rester proche du premier, mais pas trop. Une belle suite qui ne fait pas dans la pâle copie. Les chansons alternent l'intime et le social, le personnel et le collectif. Même s'il est écrit à la deuxième personne, le texte de "La langue de Prévert" ressemble bien à un aveu autobiographique. Les nostalgiques "Tu sais mon grand", "Petite piaule" ou "La boîte à chaussures" nous dévoilent un peu plus la jeunesse et la post-adolescence du chanteur. C'est aussi une partie de son quotidien qu'on découvre dans le festif "Changement de programme" ou le sensuel "Ton jean bleu". Il s'adresse d'ailleurs à plusieurs reprises à sa moitié, et à travers elle, à toutes les femmes, dans le vibrant et anti-machiste "Excuse-moi mon amour".
Tout l'art de parler d'un sujet actuel par le biais d'un dialogue intime. Et les préoccupations sociétales ne manquent pas : que ce soit avec la chanson-titre, ou "L'étudiante", découverte l'année dernière en tournée, ou encore "Au pays des Lumières" qui traite des migrants sans pathos sur une musique énergique.
Question musique, les arrangements sont plus travaillés, et portent la patte de Yarol Poupaud et Dominique Blanc-Francard qui ont co-réalisé l'album avec Gauvain Sers. Les mélodies sont simples mais pas simplistes, et aux rythmes enlevés des ballades folk-rock, succèdent des moments de grâce comme cette magnifique envolée lyrique "Le tiroir". Les guitares sont bien présentes, le piano majestueux, les cordes ornementent sans jamais être pesantes, l'accordéon intervient par petites touches et arrive même à donner une couleur celtique sur "La boîte à chaussures".
Et le morceau qui était destiné au départ à clore l'album, est un très beau duo avec Anne Sylvestre : "y'a pas de retraite pour les artistes". Une filiation évidente entre cette grande dame de la chanson française et ce jeune auteur-compositeur-interprète, qui a répondu à nos questions, en se disant très impatient à l'idée de la sortie de ce deuxième album. Dès le début de l'interview, le tutoiement s'est imposé tout naturellement
Le texte du livret ironise sur "le fameux deuxième album". Comment as-tu abordé cette soi-disant difficile étape ?
J’ai justement essayé de ne pas trop y penser et de ne pas trop écouter les gens. J’ai essayé de ne pas changer mes routines de travail, de ne pas me poser de questions, parce que je crois que ce serait la pire des erreurs de vouloir faire un album qui marche. J’ai voulu garder la sincérité et la fraîcheur des chansons et me laisser guider par ce que j’avais envie de raconter. Je ne me suis pas pris la tête là-dessus et j’ai essayé de continuer la suite logique du premier album, d’aborder des sujets nouveaux qui n’ont pas été forcément abordés par d’autres chanteurs, de continuer à tracer ma route sans obéir à une espèce de mode dans les sonorités, de faire un truc qui me ressemble, et pas quelque chose pour essayer de séduire le plus grand nombre.
"L’étudiante" était déjà jouée l’année pendant la tournée. Comment sont venues les chansons ?
Elles viennent un petit peu tout le temps. Je ne me suis pas arrêté d’écrire des chansons, et je ne me suis pas non plus mis à une table en me disant il faut en écrire dix en trois semaines. C’est un fil rouge, un truc de tous les jours, d’avoir des sujets en tête, de noter des petites choses dans mon carnet ou mon ordinateur, des tournures de phrases que j’aime bien. Et quand je passe à l’écriture, ça vient assez vite, j’essaie de garder l’énergie du moment. C’est quelque chose que je fais pendant toute l’année. Ça permet aussi d’avoir des manières d’écrire qui sont assez différentes, quand il y a six mois qui passent entre deux chansons, on n’a pas forcément les mêmes humeurs, les mêmes envies, on n’est pas dans la même période de notre vie, et je trouve que ça permet de ne pas trop tourner en rond dans un album.
Écrire sur la route, c'est différent qu’écrire pendant les périodes de pause ?
Oui parce qu’on est dans l’énergie du live, et on est en train de partager un truc fort avec les gens et avec l’équipe. Donc ce n’est pas un moment privilégié pour écrire des chansons, mais je me suis forcé à le faire quand je sentais que la chanson était là et qu’il fallait la capter quand l’étincelle arrivait. J’en ai écrit deux ou trois sur la route, mais la plupart c’était quand-même pendant les périodes de pause.
On sent que tu te livres un peu plus que dans le premier album. C’était conscient ?
Oui c’est vrai. C’est ce qui m’intéresse, ce relief entre le côté très intime et parfois autobiographique, et le côté plus social et ouvert sur les autres. C’est cette balance qui permet d’avoir un album pas trop linéaire. Les chansons les plus intimes sont souvent les plus touchantes, parce qu’on y met tout ce qu’on a, ça ne triche pas. Il y a cette forme de sincérité qui est importante dans les chansons.
Il y a bien sûr le morceau-titre et le feuilleton que tu as réalisé avec cette école de Ponthoile et son instituteur
Il y a une vraie histoire avec cette chanson-là, qui a commencé par sa lettre qu’il m’a adressée il y a un an. Cette bouteille à la mer où il me racontait sa lutte pour essayer de sauvegarder son école, menacée de fermeture. J’en ai fait une chanson, et j’ai voulu la mettre en avant, parce qu’elle me parait importante. Elle me ressemble parce qu’elle parle du milieu rural, là où j’ai grandi. En tant que fils de prof, l’école c’est quelque chose où j’ai baigné dedans. Sa lettre m’a bouleversé, y’a tellement de passion chez cet instit. Ça méritait plus qu’une chanson, c’est pour ça qu’on a fait le clip avec lui et les vrais enfants, et ce documentaire pour tout raconter depuis le début. Ça s’est fait naturellement, une belle aventure humaine. Et puis on a bouclé la boucle en jouant en concert à Ponthoile.
La mini- tournée actuelle, c’était important de jouer dans ces lieux emblématiques ?
Oui bien sûr, pour être en cohérence avec l’ensemble de l’album. Et puis aller au-delà de l’écriture d’une chanson, c’est la chanter dans un endroit symbolique. C’est aussi filer un coup de main à des associations pour lesquelles j’ai une affection particulière. Et puis amener la culture dans des endroits où elle est difficile d’accès. J’ai connu ça quand j’étais gamin : on devait faire 80 km pour aller voir un concert, et encore j’avais la chance d’avoir un père passionné par la musique. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. C’était aussi ce but-là : aller faire des concerts dans des salles intimistes de 200-400 places, de refaire des concerts en duo comme on a commencé, qu’il n’y ait pas la barrière entre le public et l’artiste. Et également d’avoir des concerts avec des tarifs abordables pour que chacun puisse venir à un concert s’il en a envie. On va faire ensuite une tournée plus classique, et c’est vrai que le prix des places n’est pas toujours donné dans les grandes salles. Ça permet à tout le monde d’être satisfait.
C’était vivre vraiment ce que tu écris dans "Les oubliés" ?
Exactement ! Être en cohérence avec les écrits
On ressent des arrangements plus fournis, plus riches, avec plus d’instrumentation
Oui il y a un peu plus de choses que sur le premier. C’était l’objectif, d’aller un peu plus loin dans les arrangements, dans les sonorités, de passer un cap. J’ai un peu plus d’expérience de studio que sur le premier album, et j’arrive mieux à savoir dans quelle direction musicale je veux aller. J’avais les musiciens de la tournée avec moi, forcément on se connait super bien. On avait l’expérience de Yarol et Dominique. Il y a pas mal de guitares, de cordes, la musique que j’aime écouter, le côté folk anglo-saxon, en enregistrant toujours à l’ancienne, en live ensemble à cinq, ce qui ne se fait plus trop. Ça donne ce côté vivant. Yarol a fait le chef d’orchestre, et Dominique a apporté son côté minutieux au niveau du son. On a enregistré au studio mythique Ferber, alors que tous les studios ferment les uns après les autres. Ensuite on a rajouté les cordes, l’accordéon…
Tu composes toujours à la guitare, où il t’arrive de toucher au piano ?
Non toujours à la guitare, j’essaie de me mettre au piano, mais je ne compose pas dessus. Mais j’aime bien une fois que j’ai composé la mélodie, de repartir sur le piano pour avoir d’autres idées. La seule chose que je m’impose c’est qu’il faut que la chanson fonctionne en guitare-voix tout de suite. Et si l’émotion est déjà là au départ, le but est d’arriver à la sublimer avec le reste, et de ne surtout pas gâcher l’émotion qu’il peut y avoir quand c’est très épuré. C’est pour ça que j’aime bien garder quelques titres avec très peu de choses, deux guitares ou juste un piano et quelques cordes.
Est-ce qu’il y a des chansons que tu ne gardes pas ?
Pour cet album on en a enregistré dix-huit, et on en a gardé quatorze. Certaines mélodies que j’ai laissées de côté, je trouve qu’elles étaient un petit peu en dessous, ou des fois c’est pour garder une cohérence avec l’album.
Il y a plein de belles histoires dans cet album, notamment celle avec Michel Bussi. C’est inédit ce concept de bande-son d’un roman
On s’est rencontrés il y a un peu plus d’un an pour une interview croisée, au sujet des rapprochements et différences entre écriture de chansons et littérature. J’aime beaucoup ses romans. Je suis un grand admirateur de sa plume, sa façon de gérer le suspense, de mettre de la poésie, beaucoup d’images dans ses histoires. Et justement il terminait son dernier roman où une chanson est au cœur de l’intrigue. Il a écrit le texte et m’a demandé de le mettre en musique. L’album était déjà terminé, mais on est retourné en studio, et on l’a enregistrée. Je crois que la bande originale d’un roman c’est quelque chose d’inédit. Et quand on écoute la chanson sans avoir lu le roman, l’interprétation est différente, et en ayant lu le roman, on redécouvre la chanson.
Une autre belle rencontre : Anne Sylvestre
Je la connaissais un peu parce qu’on fréquente les mêmes lieux. Cette chanson c’est sur la passion de la musique, des mots, de la langue française. Et aujourd’hui, à 83 ans, elle a encore tellement la flamme dans les yeux quand elle parle d'écriture. Je suis touché qu’elle ait accepté ce duo-là, car ça n'aurait pu être personne d’autre. Je suis fasciné par les gens qui n’ont plus rien à prouver et qui continuent d’avoir les étoiles dans les yeux, juste par passion. C’est une artiste que j’adore, que j’ai beaucoup écouté. J’admire aussi son engagement. Ça a été un moment suspendu en studio, on était tous les deux très émus.
C’est vrai que vu ton âge, ce n’était pas forcément naturel d’écrire une chanson "Y’a pas de retraite pour les artistes"
En même temps je trouvais important de rendre hommage à nos aînés, à ceux qui nous donnent envie de faire ce métier-là. C’est aussi une chanson sur la transmission, sur les passations qu’il peut y avoir entre les générations, ça m’a toujours touché. C’est vrai que je parle souvent de la famille dans les chansons, mais il y a aussi la famille des chanteurs, et ça continue, et j’espère que ça continuera encore longtemps.
Et on l'espère aussi ! En attendant le troisième album, ainsi que sa participation à l'album hommage à Brel prévu pour le 5 avril, rendez-vous sur la tournée, avec les mêmes musiciens, mais un nouveau spectacle, les nouvelles chansons, un nouveau décor. Une dizaine de festivals prévus pour cet été, puis la tournée débutera en novembre et continuera jusqu’aux deux Zéniths qui viennent d’être annoncés en avril 2020. Toutes les dates de la tournée sur le site officiel.
Gauvain Sers - "Les Oubliés" (Mercury) - Sortie le 29 mars
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