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Rencontre. Charles Dumont : l'homme qui a fait qu'Edith Piaf ne regrette rien

Charles Dumont aura 90 ans en 2019. Une année qui, entre spectacles et CD s'annonce dores et déjà très chargée. Rencontre avec celui dont Edith Piaf disait qu’il avait donné à sa carrière un souffle nouveau.
Article rédigé par franceinfo - Rouzane Avanissian
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Charles Dumont chez lui
 (France 3 / Culturebox)

En septembre dernier, Charles Dumont chantait sur scène avec l'orchestre philharmonique de Besançon. Lui qui aura 90 ans dans quelques semaines a toujours des projets à foison. En janvier, il sortira un double CD, conseils aux apprentis chanteurs sur un concept innovant qu’il a fait breveter. Puis un disque avec une reprise de titres peu connus du grand public. En mars, enfin, il donnera un concert dans le Lot pour son anniversaire. 

"Je n’ai jamais cotisé au club du show-biz"

Il habite à deux pas du théâtre de l’Odéon, à Paris. Depuis soixante-dix ans, c’est là qu’il compose. Sur son piano Pleyel, il a écrit la musique de quelques-uns des plus grands titres d’Edith Piaf : "Non je ne regrette rien", "Mon dieu", "Les Amants".

Piaf, rendez-vous compte ! Combien sont-ils encore à l'avoir côtoyée, approchée, fréquentée ? Charles Dumont, on avait envie de le rencontrer depuis longtemps : des artistes comme lui, qui ont frôlé les plus grands noms de la chanson française, à une époque où il fallait bien du talent pour percer, on n’en trouve plus tellement. Rendez-vous pris, nous voilà dans son appartement du quartier latin. Et le voilà, lui. 89 ans, droit comme un i, souriant, philosophe, aimable, posé. Une autre époque.

A ses pieds, Shanti, la chienne rescapée de La Réunion où elle était destinée à servir d'appât aux requins. Pendant une heure, Charles Dumont nous livre ses souvenirs. Edith Piaf bien-sûr, pour qui il va composer une quarantaine de titres, mais aussi Tino Rossi, Jacques Tati, Cora Vaucaire, Barbra Streisand, Jacques Brel, Dalida. 

Ma vie, c’est la cour des miracles. J’ai connu beaucoup de jeunes musiciens qui n’ont pas eu la chance que j’ai eue et qui avaient pourtant du talent. La chance, si vous voulez qu’elle vous fasse un sourire, qu’elle vous prenne dans ses bras, il faut lui faire la cour. J’ai toujours été libre, je n’ai jamais cotisé au club du show-biz.

"Le club du show-biz, ça fait parfois des êtres exceptionnels, et puis ça en tue d’autres. Et il faut bien reconnaître que dans des métiers artistiques, souvent, être courtisan c’est un moyen de se faire connaître plus facilement. Savoir flatter où il faut, comme il faut, au moment où il faut, c’est une autre prison. Elle est beaucoup moins grave que celle qui consiste à se lever le matin à l’aurore et avoir toute la journée un travail qui vous tue pour arriver très tard à une retraite où vous êtes complètement épuisé. Moi je n’ai jamais voulu cotiser là-dedans. Vous savez, courir les cocktails, courir les personnalités…. Je n’ai jamais été un courtisan».

L’enfant de Cahors

Charles Dumont est né à Cahors le 26 mars 1929. Ses premières années, il les passe chez son oncle et sa tante, boulangers rue Nationale. En face, un café. C’est là qu’il donne son premier récital. Il a cinq ans. On le pose debout sur une table. Il chante Les bateliers de la Volga, sous de généreux applaudissements. Son premier cachet : un grand verre de limonade.

"C’était une période paradisiaque. Je m’en souviens comme si c’était hier. On est toujours un peu enfant dans la tête, et les premières années de notre vie nous suivent toute la vie.

  (Luc Tazelmati)

Après un passage à Toulouse, Charles Dumont monte à Paris. Il a dix-huit ans. Il veut être musicien. Son père, chaudronnier, ne le décourage pas. Bien au contraire. A ceux qui s’inquiètent  de la carrière artistique que veut épouser son fils, cet homme philosophe, cadet d'une famille de seize enfants, répond :

Un métier, c’est la pire des choses qui puisse arriver à un homme. Quand on tombe dedans, on y retombe toujours puis on referme la porte. Un métier, c’est une prison et on ne doit vivre prisonnier que lorsqu’on ne peut pas faire autrement 

Grâce à ce père hors-norme, Charles Dumont va conduire sa vie comme il l’entend : trompettiste, puis pianiste. Il commence à composer. Il met en musique des poèmes de Francis Carco puis écrit avec Michel Vaucaire, le mari de la chanteuse Cora Vaucaire, quelques succès. Vers la fin des années cinquante, il commence à se faire un nom et écrit pour Dalida, Gloria Lasso, Luis Mariano, Tino Rossi, Lucienne Delyle. Après trois rendez-vous manqués avec Edith Piaf, l’immense chanteuse le reçoit enfin, chez elle. "Puisqu’ils sont là, qu’ils entrent" dit-elle à sa femme de chambre. Cette rencontre va changer sa vie.

Edith Piaf : LA rencontre

Car à trois reprises, la grande Edith a refusé de rencontrer Charles Dumont. La quatrième rencontre sera la bonne, Elle a lieu en octobre 1960. "Edith Piaf, c’était la plus grande star française de la chanson et en tant que jeune compositeur, je rêvais comme tous les autres d’être chanté par elle. Mais j’avais eu trois rendez-vous et aux trois rendez-vous, elle m’avait viré. Quand elle n’aimait pas, elle n’aimait pas.

Le 5 octobre 1960, je lui ai amené "Non je ne regrette rien". Et ce jour-là, ça a été comme si on avait ouvert le rideau. Tout d’un coup, elle s’est rendue compte que j’étais là. Elle m’a tout de suite dit : ne vous inquiétez pas, cette chanson-là va faire le tour du monde, elle ne vous quittera plus, elle va vous suivre toute votre vie. Comme ça…Et elle a eu raison.

Charles Dumont compose pour la môme Piaf une quarantaine de titres. Des tubes planétaires : "Mon Dieu", "Les Amants", "Les flonflons du bal". Leur collaboration va durer deux ans, jusqu’à la mort de la chanteuse.


Du piano à la scène

Après la disparition d’Edith Piaf, Charles Dumont connaît des années difficiles. Il écrit un peu, pour Brel ("Je m’en remets à toi", 1964), pour Jacques Tati (la musique du film "Trafic", en 1971, c’est lui). Mais il se sent désorienté : "J’étais un peu cassé, je n’avais plus envie de faire de chansons. Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie. Et là je rencontre la deuxième femme qui m’a construit dans ma carrière, après Edith Piaf ".

Cette deuxième femme, c’est  Sophie Makhno. L’ancienne secrétaire de Barbara est directrice artistique dans une maison de disques. Elle propose à Charles Dumont de lui écrire quelques textes. Il les met en musique et le voilà chanteur. Un gros tube, "Ta cigarette après l’amour", va signer sa renaissance.

Ca a été un succès énorme et ça m’a ressuscité.


Avec ce timbre si particulier qui sonde les profondeurs de la mélancolie, Charles Dumont enchaîne les succès et les disques d’or : "Une chanson" (cent mille exemplaires), "L’or du temps" (avec le comédien François Périer), "Une femme". Parallèlement à sa carrière de chanteur, il compose pour Barbra Streisand ("I’ve been here", en 1972). Se produit sur scène en France et à l’étranger. Il n’a jamais cessé depuis. Même ces au revoirs à la scène, en mars dernier, à Bobino, il a refusé d’en faire des adieux. La preuve : en septembre dernier, il chantait encore au grand Kursaal avec l’Orchestre Philharmonique de Besançon, sous la direction du chef Pascal Vuillemin.

Charles Dumont ne regrette rien

Les souvenirs de ces soixante-dix ans de carrière, Charles Dumont les a rassemblés dans un livre paru en 2012 chez Calman-Lévy, "Non, je ne regrette toujours rien". Et de fait il ne regrette rien. Ni le bien, ni le mal.

Regretter, c’est du temps perdu. Les regrets, ce n’est que se faire de la peine. Quand on se met à regretter, c’est toujours trop tard. La nostalgie, c’est moins grave, on est nostalgique des petites choses qui ne sont pas vitales. Les regrets, c’est toujours un reproche. Alors, j’ai de la nostalgie, pas mal, mais pas de regrets.


Bien loin des nouvelles générations

Et les autres ? Les nouvelles générations ? Les jeunes chanteurs ? Les tablettes, les téléphones portables, le rap, le métal, l’électro ? "Il y a longtemps que la pièce qu’ils jouent n’est pas la mienne, que ce qu’ils font n’est pas mon goût, que ce qu’ils mangent n’est pas mon goût, que ce qu’ils boivent n’est pas mon goût. C’est comme un livre : vous tournez les pages, et un jour vous êtes à la dernière page et on publie un autre livre. Et ce livre, vous n’avez même pas envie de le lire. Parce que quand vous avez lu les dix premières lignes, vous comprenez que ce n’est pas du tout ce que vous avez envie de lire. Je n’ai pas envie de lire leur livre".

Rendez-vous en mars

Son livre à lui, on l'a feuilleté pendant une heure dans une discussion qu'on aurait bien prolongé encore. Mais il est tard. La chienne Shanti s'est endormie. Charles Dumont se lève, joue quelques notes au piano, parce qu'on a envie de l'entendre encore tant sa parole est rare. Puis il nous raccompagne à la porte. Il tend la joue. Un baiser rapide et on part, à regrets. Promis, le 24 mars, au Vigan, près de Gourdon, dans son Lot natal qui pour une fois lui rendra hommage, on viendra au concert unique qu’il donnera pour son anniversaire. Et on fêtera, avec lui, ses 90 ans.

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