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Adrien et Christian-Pierre La Marca : "Le son, c'est notre deuxième peau"

Les Capuçon. Mais aussi les Nemtanu, Buniatishvili et autres Moreau : dans le classique, les fratries sont tendance. Connaissez-vous les La Marca ? L'altiste, Adrien, fait une entrée fracassante avec "English Delight" (La Dolce volta). Et son aîné, Christian-Pierre, remarqué violoncelliste, livre un merveilleux "Cantus" (Sony), dans lequel il l'a invité sur trois duos. Magiques. Rencontre.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Adrien et Christian-Pierre La Marca dans un café parisien, en mars 2016.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Le premier, le violoncelliste Christian-Pierre La Marca, a déjà largement creusé son sillon, soutenu par une critique dithyrambique qui loue la subtilité du son, sa profondeur et la justesse des équilibres. Il publie aujourd'hui "Cantus" (Sony), hommage, avec son instrument, à la vocalité des musiques sacrées d'Allegri à Escaich, en passant par l'incontournable "Magnificat" de Bach, le "Funeral Ikos" de Tavener, ou "l'Ave Maria" de Piazzolla. Le second, Adrien, est altiste. Au terme de deux ans de travail, il livre un premier disque délicat et fort, et très original : "English Delight" (La Dolce Volta), un voyage dans les mélodies anglaises, qui part de la très lyrique "Sonate pour alto et piano" de Rebecca Clarke (une compositrice et altiste de la première moitié du 20e siècle), et rejoint son contemporain Benjamin Britten ou les baroques John Dowland et Henry Purcell.

Grâce à une heureuse coïncidence du calendrier des sorties de disques, nous pouvons facilement réunir les deux frères La Marca, d'ordinaire séparés par toutes sortes d'engagements. Conversation à bâtons rompus autour de leurs parcours respectifs, de leur vision de la musique, plaisir d'une discussion sincère et animée, entre sérieux et éclats de rires.

Sur la pochette de chacun de vos disques, vos instruments – violoncelle et alto - sont particulièrement mis en valeur. Photographié en clair-obscur chez l'un, brandi au bout du bras levé comme un trophée chez l'autre… L'instrument est-il chez vous comme une revendication ?
Christian-Pierre La Marca : Pas vraiment… L'instrument est un outil : pour façonner une matière, pour donner du son. Ce qui nous fait vibrer, c'est le son. Je suis très attiré par le fait de malaxer le son. Et le guide, dans mon travail, c'est la voix. Dans tout ce que je joue, j'essaie de me laisser guider par la voix : la gestion du souffle, de l'air, j'applique tout cela à ma façon de jouer de l'instrument, donc à l'archet, à sa continuité, qui est notre voix.

  (Sony Classical)

Adrien La Marca : Oui, voilà, tout cela pour trouver sa voie. Peu importe l'instrument qu'on joue, ce n'est qu'un moyen d'expression. On me questionne beaucoup sur l'alto, mais l'essentiel est ce que j'ai à dire. Avec le même instrument, vous avez des identités sonores extrêmement différentes en fonction de qui le joue parce qu'on joue comme on est. On retrouve dans le son une intériorité humaine : ce qu'on a vécu, ce qu'on est…
  (La Dolce Volta)

Christian-Pierre : Le son c'est comme… notre deuxième peau.

Christian-Pierre, la voix ou plutôt la vocalité de votre instrument, c'est un peu le thème de votre dernier disque qui s'appelle justement "Cantus"…
Christian-Pierre : Non, le sacré est le thème du disque…

C'est vrai, mais alors la voix en est le prisme…
Christian-Pierre : Oui.

Adrien : C'est fou, sans s'être concertés, on a tous les deux mis des pièces vocales dans nos disques ! La voix humaine est toujours une référence, j'ai longtemps cherché les justes démanchés, ou une qualité de vibrato qui soit proche des cordes vocales.

Christian-Pierre : Comme la voix, c'est le plus naturel, peut-être que tous les deux sommes un peu en quête de naturel (rires) !

Votre disque de musique sacrée, est composé de transcriptions ou adaptations pour violoncelle de pièces écrites pour la voix. Ce qui est amusant, donc c'est que vous rendez hommage à la voix, en enlevant la voix. La prière, le recueillement, finalement, n'ont pas besoin de texte ?
Christian-Pierre : D'abord, relativisons l'importance des paroles. C'est du texte qui est préconçu, qui est très biblique… Ensuite, je n'enlève pas la voix, j'enlève les paroles. Et comment exprimer quelque chose sans les paroles ? Au théâtre, c'est le mime : toute l'émotion doit passer par le corps. Chez nous, toute l'émotion doit passer uniquement par la musique.


Adrien : J'abonde dans ce sens : l'intériorité du message qu'ont ces musiques n'a pas forcément besoin de paroles.

Votre disque, Adrien La Marca, "English Delight", s'articule lui autour d'une sonate écrite pour alto (et piano), et par une altiste, Rebecca Clarke…
Adrien : Oui, mais Rebecca Clarke a aussi écrit pour différentes formations. C'est vrai, elle avait un talent particulier pour faire chanter l'instrument de la meilleure façon parce qu'elle maîtrisait si bien l'instrument. C'était une grande interprète, l'une des premières altistes à jouer avec les plus grands solistes de l'époque. De là à dire que le fait d'être altiste ait joué sur la beauté de sa musique, je ne sais pas. L'atout de cette pièce est d'être extrêmement bien écrite.

Le premier disque est une étape importante dans une carrière de soliste. Le choix du répertoire – des pièces anglaises – s'est-il imposé facilement ?
Adrien : Je me suis vraiment posé la question, j'aurais pu enregistrer beaucoup de choses : Brahms, Schumann, ou Schubert… Ça a été beaucoup fait et très bien fait. Et puis c'est bien aussi de se laisser ces répertoires pour un peu plus tard ! Finalement, ce choix de disque est venu du public. J'avais joué notamment la pièce de Clarke en concert, en la confrontant au grand répertoire (La sonate "Arpeggione" de Schubert et les "Märchenbilder" de Schumann pour le répertoire d'alto). Après le concert, les gens venaient me voir : mais c'est quoi, c'est génial, allez-vous l'enregistrer bientôt, me demandait-on. Ça a fait son chemin et s'est constitué ainsi, avec Britten, par exemple, ce programme anglais. Le mot qui dit le mieux cet enregistrement, c'est aboutissement, parce que j'ai mis du temps à le faire, deux ans, mais j'en suis content.

Dans vos choix de répertoire, vous ne reculez jamais devant la musique contemporaine, comme le prouvent encore vos derniers disques respectifs…
Christian-Pierre : C'est la continuité ! Pour ce disque "Cantus", il fallait boucler la boucle : partant du 16e siècle avec Allegri, je ne pouvais pas concevoir un disque thématique - ici sur le sacré - sans une commande. Je me suis dit que c'était très fort d'avoir une pièce de Thierry Escaich spécifiquement écrite pour le disque. D'une certaine manière, ça rendait d'autant plus crédible mon projet, ça le clôturait.

Adrien : Moi je n'ai pas eu la chance de passer commande à Jonathan Harvey parce qu'il est mort en 2012. Mais le choc de ma découverte de sa musique symphonique était tel que je m'étais promis de l'inclure un jour dans un disque. J'ai trouvé cette pièce qui est géniale. Là aussi, ça boucle la boucle, on part de très loin pour arriver à Harvey !

Christian Pierre, vous avez invité votre frère à participer à votre disque de musique sacrée, "Cantus" sur trois pièces : le "Et Misericordia" du Magnificat de Bach, le "Stabat Mater dolorosa" de Pergolesi et le "De torrente in via bibet" de Haendel.  Pourquoi ? Ça allait de soi ?
Christian-Pierre : On peut se poser la question (rires) ! Quelques pièces du disque demandaient deux voix principales. J'aurais pu effectivement imaginer par exemple un duo de violoncelles, mais c'est venu comme une évidence de faire appel à mon frère. Parce qu'on n'a pas besoin de se parler quand on joue : on se regarde et ça marche.

Adrien : N'oubliez pas qu'on a la même éducation, la même culture du phrasé… Et une texture de son qui se rapproche, et ça fonctionne. Certes, chacun a son identité propre, quand tu as commencé à prononcer tes premiers sons de violoncelle, ton "ADN du son" était déjà là.

Christian-Pierre : C'est vrai, comme ce l'est également pour toi. Tu peux essayer 15 altos, tu auras toujours le même son. Mais on se rejoint, et la vision du phrasé fait le reste : on aime les longues phrases, on n'aime pas morceler.

Adrien : Evidemment, tout cela n'exclut pas les différences, qui tiennent à certaines visions personnelles ou à des influences qu'on reçoit d'autres musiciens…

A ce propos, qu'est-ce qui vous construit : y a-t-il des influences, des rencontres ou des parrainages que vous revendiquez ?
Christian-Pierre : C'est toujours difficile de répondre. L'impulsion du père est certaine, il nous a tellement légué sur le plan musical qu'on y pense tous les jours : pianiste, chef d'orchestre, professeur, il avait été lui-même marqué par de grands chefs comme Carlo Maria Giulini qui lui avaient donné le goût de la transmission.

Adrien : C'est vrai qu'on a vite baigné dans cet univers là, mais notre éducation a été par la suite assez libre. Le bac pour le cas où, et toutes les activités des jeunes de notre âge : sport, expos, sorties… Il y a un moment cependant où il faut faire des choix, la musique demande des sacrifices….

Quelles autres figures vous ont donné les clefs ?
Christian-Pierre : Beaucoup de musiciens nous ont influencé. L'ensemble avec lequel j'ai fait le disque, "Les Ambassadeurs", m'a beaucoup aidé, par exemple !  Ou le compositeur Thierry Escaich, qui est un peu mentor et un peu conseiller ! Puis il y a tous les chanteurs, pour lesquels j'ai une véritable attirance et qui m'influencent. Au-delà de ça, c'est la vie : je ne peux dissocier la musique de la vie. On apprend de toutes les étapes qu'on traverse…
Les frères La Marca en mars 2016.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Pour terminer, un mot du Festival que vous animez ensemble, au mois d'août, les "Musicales de Pommiers" : est-ce pour avoir l'occasion de jouer ensemble ?
Christian-Pierre et Adrien ensemble : on a perdu notre père il y a trois ans. C'est lui qui avait trouvé l'endroit et imaginé le festival, mais il est parti trop tôt pour le voir aboutir. On a décidé de le mener à bien comme hommage. On a pris du plaisir à se retrouver en famille, à jouer ensemble. On s'est dit : voilà, ce sera quelque chose pour nous, à faire vivre avec trois bouts de ficelle. Il y a les artistes, nos amis, mais aussi les œuvres qu'on aime. De les voir se réaliser, c'est toujours un moment émouvant. Et il se passe des choses : l'année dernière par exemple, on a fait se rencontrer sur scène Yaron Herman et Thierry Escaich en improvisation, jazz et classique en même temps, c'était démentiel ! 
Adrien La Marca en concert 
"Hector Berlioz, retour aux Invalides"
Cathédrale Saint Louis des Invalides
Le 12 avril à 20h 

 
Christian-Pierre La Marca et Adrien La Marca en concert avec
David Kadouch et Amaury Coeytaux 

Festival de Sully
Programme : quatuors de Gustav Mahler, Robert Schumann et Johannes Brahms 
Le 19 mai à 20h30

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