"Ce sera un concert de Noël ludique et bigarré" : Olivier Latry, organiste de Notre-Dame joue ce soir à l'Auditorium de Radio France
Alors que vient d'être réédité en vinyle son disque "Bach to the Future" (La Dolce Vollta) enregistré en la cathédrale Notre-Dame peu avant l'incendie, l'organiste Olivier Latry se produit ce mercredi avec un beau programme de Noël à l'Auditorium de Radio France. Rencontre.
Depuis l'incendie de Notre-Dame à la mi-avril, Olivier Latry, l'un des trois organistes titulaires de Notre-Dame, a perdu provisoirement l'un de ses instruments de travail. Mais pas son énergie à sillonner le monde pour défendre un répertoire pour orgue dont il est passé maître, de Bach, qu'il a enregistré à Notre-Dame, à la musique contemporaine. Il nous a reçus, en plein milieu de ses répétitions, à l'Auditorium de Radio France où il présente ce soir un concert de Noël des plus variés et alléchants.
Franceinfo Culture : Avez-vous des nouvelles récentes de votre orgue de Notre-Dame ?
Olivier Latry : On ne sait toujours pas grand-chose. L'expertise réalisée peu après l’incendie a montré que l’instrument était intact, il n’a souffert ni du feu, ni de la chaleur, ni de l’eau des pompiers, ce qui est vraiment miraculeux. En revanche, il est plein de poussière, et notamment de la poussière de plomb qu’il va falloir enlever en respectant un protocole contraignant. Tout cela prendra au moins trois ou quatre ans. Mais, encore une fois, ce ne sont que des supputations : tant que l’échafaudage n’est pas démonté, on ne sait pas. Et on ne pourra démonter l’instrument avant que la cathédrale ne soit totalement sécurisée, c’est-à-dire pas avant l’automne prochain…
L'incendie de Notre-Dame, au-delà de l'émotion personnelle, a bouleversé votre vie de tous les jours, on peut présumer…
Oui et non. D’abord parce que je n’étais pas à Notre-Dame tant que ça : comme on est trois organistes, on y jouait toutes les trois semaines par roulement. Les déplacements pour les concerts ou les cours constituent la majeure partie de ma vie... Et aujourd'hui, quand je suis à Paris, j'ai le contact avec la liturgie de la Cathédrale par le biais de Saint-Germain-l’Auxerrois, parce que c’est là que ça se passe. Ensuite, quand on perd un être cher, on a deux réactions : soit le regret - "on aurait dû se dire, on aurait dû faire…" -, soit le réalisme - on se dit qu'a eu des moments fabuleux, une relation très intense. En fait, pour moi, Notre-Dame et son orgue, ça a été le deuxième cas de figure. Et ce jusqu’au bout, parce qu’avec le disque Bach to the future enregistré quelque temps avant l'incendie, avec la vidéo, j’ai vraiment "profité" (même si je n'aime pas le terme), j’ai vécu avec Notre-Dame et l’orgue de manière intense. Et ça m’aide à ne pas trop me morfondre maintenant.
Revenons à ce disque, Bach to the future, qui vient d’être réédité en vinyle. C’est d’ailleurs amusant que sa pochette ait changé : dans la version CD, elle rendait hommage à la pierre de Notre-Dame (et vous y posiez en position allongée et en lévitation...), à son histoire en quelque sorte. Dans la version vinyle, elle est résolument tournée vers l’avenir avec une couleur bleue saturée, des lumières flash...
Ça c’est le choix éditorial de la maison de disques, mais je trouve que le choix est approprié, c’est évident !
Ce disque est réédité parce qu’il a bien marché...
Oui, très bien. La maison espère les 30 000 ventes à la fin de l’année, ce qui est beaucoup en classique et surtout dans la musique d’orgue.
L’effet Notre-Dame a-t-il joué ?
Je pense qu’il y a eu l’effet Notre-Dame évidemment. Mais c’était déjà très bien parti, parce que deux jours avant l’incendie on était en rupture de stock suite à mon passage à un journal télévisé...
Comment expliquer ce succès, est-ce par la "modernité" de votre propos ? Votre démarche a consisté à enregistrer des œuvres de Bach, maître baroque, sur l'orgue symphonique et 19e siècle de Notre-Dame de Paris, ce qui a pu choquer les puristes…
En tout cas j’aimerais qu’il y ait une piste de réflexion pour l’avenir. A défaut de modernité. Je ne veux pas créer une tendance, je ne veux pas servir de modèle, mais je veux que les gens se posent la question. Ma démarche n'est pas de faire absolument quelque chose d’iconoclaste, mais de prouver que la musique de Bach peut être entendue de manière différente de ce qu’on fait actuellement, de ce qu’on appellerait "historiquement informée". Mais informée de quoi ? Le problème de la recherche musicologique, c’est qu’elle évolue tellement qu'on finit par suivre une mode et non une recherche. Il faut replacer la musique au centre. Quand on entend la musique de Bach jouée "parfaitement" sur un plan musicologique, mais de manière froide et vide, il ne se passe rien : on perd l’esprit en respectant la lettre. C’est vrai qu’on imagine la musique de Bach, à juste titre, sur un instrument comme un Silbermann (réalisé par un facteur d'Alsace du 18e siècle, venu de Saxe, NDLR). Mais l’héritage de la musique de Bach c’est aussi tout ce qu’on a connu, ici, après la redécouverte de Bach au 19e siècle : on ne peut pas faire abstraction de ça, ça fait aussi partie de l’histoire.
Vous êtes ce mercredi 18 décembre à l'Auditorium de Radio France pour un concert de Noël. Le programme est très alléchant, beau et très riche, allant du baroque à la musique contemporaine. Faut-il le rappeler, on est loin des musiques de Noël façon "Il est né le divin enfant" ou les Christmas Charols. Quelle tonalité voulez-vous donner à votre concert de Noël ?
Une tonalité ludique : ça reste Noël, donc c'est festif. Il s'agit de couvrir tout le répertoire composé pour Noël à différentes époques. On ne peut pas faire abstraction des noëls français du 18e siècle et notamment Balbastre qui a été mon prédécesseur à Notre-Dame à la fin du 18e, mais aussi à l'église Saint-Roch. Il était tellement apprécié que par trois fois l'archevêque de Paris a dû interdire l'orgue à la messe de Noël, car les gens venaient pour entendre ses noëls et oubliaient l'aspect sacré de la messe de minuit. Dans le programme, il y a aussi des pièces qui se rattachent à Noël, comme la Pastorale de César Franck. Dans la deuxième partie du concert on est complètement dans Noël. D'abord avec les Variations pour un Noël de Dupré…
Qui sont étonnantes !
Oui, ça commence comme un Noël à l'atmosphère tamisée, et puis ça explose avec le finale : je ne sais pas si c'est la joie de Noël, mais c'est en tout cas la gloire du Christ, c'est incroyable ! Après Dupré il y a trois de ses élèves : Langlais, Litaize et Messiaen. Ce qui m'a intéressé dans ces trois compositeurs, ce sont les personnages qui interviennent comme dans un conte autour du message spirituel de Noël : on parle des bergers, des Mages, des anges, c'est fantastique d'avoir toutes ces figures autour de l'enfant Jésus.
Sur le plan musical, il y a comme une enveloppe de mystère, aux accents parfois cinématographiques, je pense à Messiaen, presque jazz..
Oui, aussi. C'est la joie. Messiaen se qualifiait de musicien de la joie et cela s'entend dans une pièce comme celle-ci. Il a indiqué en exergue de la pièce : gloire à dieu. C'est une espèce d'alléluia. Chez Messiaen il y a les anges, dans la pièce de Langlais une mélodie en principe jouée par les bergers. Et enfin chez Litaize son Reges Tharsis est dans la fête de l'épiphanie, donc les Rois Mages. Moi qui ai bien connu Litaize, car c'était mon professeur, puis assurer qu'une pièce comme celle-ci lui ressemble : c'est à la fois expressif, joyeux, cabotin.
Un mot sur Florentz pour terminer…
Florentz voyait toujours la musique à plusieurs degrés de lecture. Le premier texte est un poème touareg qui est un message d'attente : une femme dont le mari est parti parle de lui et de son espoir de le revoir. Florentz relie ça à un texte de la Bible, Moïse rencontrant Dieu. Le rapport entre l'idée de l'Avant et ce texte-là préfigure une idée plus globale du retour du Christ.
Le poème touareg offre une tonalité musicale propre…
Oui, le thème principal est celui qu'on entend par le muezzin dans les minarets. Pour Florentz c'était important, il a fait une trentaine de voyages d'étude en Afrique, il s'intéressait beaucoup à cette idée de la polyrythmie, de la polyphonie africaine. Et c'est ce qu'on entend là-dedans. On est dans un noël mystique. Mais reste abordable, ludique.
Concert de Noël, Olivier Latry, à l'Auditorium de Radio France
Mercredi 18 décembre, 20h00
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