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Cinq musiciennes passent le bac
Deux pianistes, une violoniste, deux sopranos : elles sortent un nouveau CD, le premier pour certaines. Mais l’épreuve du bac à disques n’a rien à voir avec l’épreuve du concert ! Revue de détail.
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La naïveté délicieuse de Valentina Lisitsa...
A commencer par celle qui crée le buzz : Valentina Lisitsa. Elle s’est fait connaître en « postant » sur le Net ses enregistrements de Chopin ou Beethoven. Record de connexions ! Il était donc évident qu’une grande maison de disques allait s’intéresser à elle.
Mais voilà : était-il intelligent de lui confier l’intégrale des concertos pour piano de Rachmaninov? La discographie de ces œuvres est super-encombrée, leur difficultés, technique et musicale, considérables, les deux meilleurs Russes d’aujourd’hui (Luganski et Berezovski) s’y sont partiellement cassé le nez. Et avec une naïveté délicieuse Lisitsa nous prévient : « Avec l’orchestre nous nous sommes lancés tête la première sans échauffement, sans répétition ». Cela s’entend. Ecoutez se dérouler la si belle mélodie qui ouvre le 3e concerto, l’un des plus difficiles du répertoire (celui où il y a le plus de notes !) sans aucune émotion, sans aucune tension. Mais que survienne un passage plus virtuose, les doigts courent, s’emballent, comme un cheval au galop qui ne saurait pas faire autre chose. Lisitsa, il est vrai, n’est jamais aidée ni par l’orchestre (le pourtant prestigieux London Symphony) ni par le chef qui ne savent pas jouer cette musique ou plutôt la jouent avec des gros sabots, surlignant les effets.
Dans le 1er concerto la balance piano-orchestre n’est pas respectée de sorte que la pianiste est souvent couverte. Dans le 4e, si fantasque (et qui peut virer au décousu), aucune construction, des instruments laids (trompette, flûte ou hautbois au tout début). La « Rhapsodie sur un thème de Paganini » commence comme un défilé militaire puis sombre dans l’ennui. Lisitsa ignore la nuance « piano », se fiche de la dynamique (sans doute une mauvaise utilisation du poignet ou de l’épaule) et, dans les forte, a tendance à « taper » avec le côté « bûcheron » du Berezovski des mauvais jours. Dans le célébrissime 2e concerto, le 1er mouvement a -enfin- de la poésie. Mais cela se gâte vite, le dernier mouvement sombre dans le bruit et le tapage.
HJ Lim, comparée déjà à Lang Lang, ce qui n'est pas forcèment la servir
On se demande du coup où sont passés les directeurs artistiques de la grande époque, qui étaient les premières oreilles et souvent les plus sévères. Prenez la Coréenne HJ Lim. On la compare déjà à Lang Lang, ce qui n’est pas forcément la servir. EMI vient de lui confier… l’intégrale des sonates de Beethoven. Lim se vante sur son site d’être la plus jeune pianiste (24 ans) à l’avoir enregistrée, comme si c’était un argument de vente ! J’ai écouté la 25e sonate, une des moins connues : Lim a des doigts, de l’imagination, le sens de l’architecture. J’ai tendu l’oreille. Mais quid dans les plus célèbres, dans ce monument qu’est la « Hammerklavier » ou les sonates de la fin qui demandent un sacré vécu? Et EMI, au lieu de jouer le disque unique «carte de visite », vous imposera la totalité des sonates au prix fort ! Les plans marketing sont parfois déroutants…
Anna Prohaska se plonge dans la musique baroque
Anna Prohaska, pour son deuxième album, se plonge dans la musique baroque en incarnant différentes nymphes : le problème, c’est qu’elle les incarne un peu toutes de la même manière, sans parler de l’orchestre qui l’accompagne. Or, de Monteverdi à Haendel il s’est passé autant de temps qu’entre, mettons Mozart et Rachmaninov! Si Haendel lui va plutôt bien à la jeune Allemande, la douleur et l’étrangeté d’un Purcell lui échappe, sans parler de Vivaldi où l’ombre de Bartoli l’écrase (vocalises périlleuses, justesse incertaine). Aleksandra Kursak nous régale avec des airs de Rossini
Au moins Aleksandra Kurzak sait-elle ce qui lui va. La colorature polonaise nous régale avec des airs de Rossini magnifiquement choisis (y compris d’ ouvrages rares comme « Mathilde de Sabran » ou « Le siège de Corinthe ») : aigus superbes, belle ligne de chant, jolies couleurs, émotion dans l’élégie, avec un Sinfonia Varsovia inspiré et un excellent chef, Pier Giorgio Morandi. Petits bémols : une tendance à durcir la voix à partir du mezzo forte, outre que l’on sent Kurzak moins à l’aise dans les œuvres plus légères (« Le Turc en Italie » ou même « Le Barbier de Séville » avec, il est vrai, un très médiocre Artur Rucinski en Figaro) Julia Fischer et ses concertos de Bruch et de Dvorak
Julia Fischer n’est pas exactement une débutante mais elle a à peine trente ans. Elle nous rappelle que l’école de violon allemande (avec auprès d’elle Isabelle Faust, Franck-Peter Zimmermann, Christian Tetzlaff ou Arabella Steinbacher) est aujourd’hui la meilleure du monde. Son disque des concertos de Bruch et de Dvorak ravira tous les amateurs de violon : beauté du son, poésie et subtilité, sens de la grandeur. Les amateurs de Dvorak, eux, regretteront que, comme trop souvent, Fischer en fasse un peu un héritier de Brahms, ce qu’il n’est pas (où sont les couleurs tendres, le mélange de bonheur et d’amertume si typiques du Tchèque?). Quant au Bruch, on s’y ennuie parfois (le 2e mouvement, alors que le 1er est superbe !), un peu aussi à cause du chef David Zinman et de ses musiciens zurichois, remarquables dans la puissance mais au risque d’en être pompeux. Un CD à classer à …Fischer Mes recommandations !
Pour le concerto de Dvorak, le disque de Josef Suk (arrière-petit-fils du compositeur) demeure inégalé. Pour Rachmaninov, les 2e et 3e par l’Américain Byron Janis, magistral (avec un London Symphony cette fois excellent, dirigé par Antal Dorati), et les quatre concertos par l’espagnol (méconnu et trop tôt disparu) Rafael Orozco (qui avait à l’époque 26 ou 27 ans)
Concertos de Rachmaninov par Valentina Lisitsa, Orch. Symph. De Londres, dir. Michael Francis (DECCA)
Sonates de Beethoven par HJ Lim (EMI)
« Enchanted forest », airs baroques par Anna Prohaska (ARCHIV)
Rossini Arias par Aleksandra Kurzak (DECCA)
Concertos pour violon de Dvorak et Bruch (n° 1) par Julia Fischer, orch. de la Tonhalle de Zurich, dir. David Zinman
A commencer par celle qui crée le buzz : Valentina Lisitsa. Elle s’est fait connaître en « postant » sur le Net ses enregistrements de Chopin ou Beethoven. Record de connexions ! Il était donc évident qu’une grande maison de disques allait s’intéresser à elle.
Mais voilà : était-il intelligent de lui confier l’intégrale des concertos pour piano de Rachmaninov? La discographie de ces œuvres est super-encombrée, leur difficultés, technique et musicale, considérables, les deux meilleurs Russes d’aujourd’hui (Luganski et Berezovski) s’y sont partiellement cassé le nez. Et avec une naïveté délicieuse Lisitsa nous prévient : « Avec l’orchestre nous nous sommes lancés tête la première sans échauffement, sans répétition ». Cela s’entend. Ecoutez se dérouler la si belle mélodie qui ouvre le 3e concerto, l’un des plus difficiles du répertoire (celui où il y a le plus de notes !) sans aucune émotion, sans aucune tension. Mais que survienne un passage plus virtuose, les doigts courent, s’emballent, comme un cheval au galop qui ne saurait pas faire autre chose. Lisitsa, il est vrai, n’est jamais aidée ni par l’orchestre (le pourtant prestigieux London Symphony) ni par le chef qui ne savent pas jouer cette musique ou plutôt la jouent avec des gros sabots, surlignant les effets.
Dans le 1er concerto la balance piano-orchestre n’est pas respectée de sorte que la pianiste est souvent couverte. Dans le 4e, si fantasque (et qui peut virer au décousu), aucune construction, des instruments laids (trompette, flûte ou hautbois au tout début). La « Rhapsodie sur un thème de Paganini » commence comme un défilé militaire puis sombre dans l’ennui. Lisitsa ignore la nuance « piano », se fiche de la dynamique (sans doute une mauvaise utilisation du poignet ou de l’épaule) et, dans les forte, a tendance à « taper » avec le côté « bûcheron » du Berezovski des mauvais jours. Dans le célébrissime 2e concerto, le 1er mouvement a -enfin- de la poésie. Mais cela se gâte vite, le dernier mouvement sombre dans le bruit et le tapage.
HJ Lim, comparée déjà à Lang Lang, ce qui n'est pas forcèment la servir
On se demande du coup où sont passés les directeurs artistiques de la grande époque, qui étaient les premières oreilles et souvent les plus sévères. Prenez la Coréenne HJ Lim. On la compare déjà à Lang Lang, ce qui n’est pas forcément la servir. EMI vient de lui confier… l’intégrale des sonates de Beethoven. Lim se vante sur son site d’être la plus jeune pianiste (24 ans) à l’avoir enregistrée, comme si c’était un argument de vente ! J’ai écouté la 25e sonate, une des moins connues : Lim a des doigts, de l’imagination, le sens de l’architecture. J’ai tendu l’oreille. Mais quid dans les plus célèbres, dans ce monument qu’est la « Hammerklavier » ou les sonates de la fin qui demandent un sacré vécu? Et EMI, au lieu de jouer le disque unique «carte de visite », vous imposera la totalité des sonates au prix fort ! Les plans marketing sont parfois déroutants…
Anna Prohaska se plonge dans la musique baroque
Anna Prohaska, pour son deuxième album, se plonge dans la musique baroque en incarnant différentes nymphes : le problème, c’est qu’elle les incarne un peu toutes de la même manière, sans parler de l’orchestre qui l’accompagne. Or, de Monteverdi à Haendel il s’est passé autant de temps qu’entre, mettons Mozart et Rachmaninov! Si Haendel lui va plutôt bien à la jeune Allemande, la douleur et l’étrangeté d’un Purcell lui échappe, sans parler de Vivaldi où l’ombre de Bartoli l’écrase (vocalises périlleuses, justesse incertaine). Aleksandra Kursak nous régale avec des airs de Rossini
Au moins Aleksandra Kurzak sait-elle ce qui lui va. La colorature polonaise nous régale avec des airs de Rossini magnifiquement choisis (y compris d’ ouvrages rares comme « Mathilde de Sabran » ou « Le siège de Corinthe ») : aigus superbes, belle ligne de chant, jolies couleurs, émotion dans l’élégie, avec un Sinfonia Varsovia inspiré et un excellent chef, Pier Giorgio Morandi. Petits bémols : une tendance à durcir la voix à partir du mezzo forte, outre que l’on sent Kurzak moins à l’aise dans les œuvres plus légères (« Le Turc en Italie » ou même « Le Barbier de Séville » avec, il est vrai, un très médiocre Artur Rucinski en Figaro) Julia Fischer et ses concertos de Bruch et de Dvorak
Julia Fischer n’est pas exactement une débutante mais elle a à peine trente ans. Elle nous rappelle que l’école de violon allemande (avec auprès d’elle Isabelle Faust, Franck-Peter Zimmermann, Christian Tetzlaff ou Arabella Steinbacher) est aujourd’hui la meilleure du monde. Son disque des concertos de Bruch et de Dvorak ravira tous les amateurs de violon : beauté du son, poésie et subtilité, sens de la grandeur. Les amateurs de Dvorak, eux, regretteront que, comme trop souvent, Fischer en fasse un peu un héritier de Brahms, ce qu’il n’est pas (où sont les couleurs tendres, le mélange de bonheur et d’amertume si typiques du Tchèque?). Quant au Bruch, on s’y ennuie parfois (le 2e mouvement, alors que le 1er est superbe !), un peu aussi à cause du chef David Zinman et de ses musiciens zurichois, remarquables dans la puissance mais au risque d’en être pompeux. Un CD à classer à …Fischer Mes recommandations !
Pour le concerto de Dvorak, le disque de Josef Suk (arrière-petit-fils du compositeur) demeure inégalé. Pour Rachmaninov, les 2e et 3e par l’Américain Byron Janis, magistral (avec un London Symphony cette fois excellent, dirigé par Antal Dorati), et les quatre concertos par l’espagnol (méconnu et trop tôt disparu) Rafael Orozco (qui avait à l’époque 26 ou 27 ans)
Concertos de Rachmaninov par Valentina Lisitsa, Orch. Symph. De Londres, dir. Michael Francis (DECCA)
Sonates de Beethoven par HJ Lim (EMI)
« Enchanted forest », airs baroques par Anna Prohaska (ARCHIV)
Rossini Arias par Aleksandra Kurzak (DECCA)
Concertos pour violon de Dvorak et Bruch (n° 1) par Julia Fischer, orch. de la Tonhalle de Zurich, dir. David Zinman
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