Dans la tête de Camille Pépin : les secrets de création de la compositrice lauréate de la Victoire de la musique classique pour "The Sound of Trees"
Camille Pépin n'a pas encore trente ans. Elle est pourtant déjà auréolée d'une Victoire de la musique classique en composition pour "The Sound of Trees" qui sort en disque ces jours-ci.
Comment naît une pièce musicale d'aujourd'hui ? La jeune et surdouée compositrice française Camille Pépin raconte la genèse de la pièce The Sound of Trees qui lui a valu la Victoire de la musique classique 2020 en composition et qui sort en disque ces jours-ci chez NoMadMusic.
The Sound of Trees est un double concerto pour clarinette et violoncelle. Il est suivi de quatre pièces également orchestrées par Camille Pépin : deux œuvres de Debussy (Hommage à Rameau et Mouvement) et deux œuvres de Lili Boulanger (D'un soir triste et D'un matin de printemps).
franceinfo Culture : Comment naît "The Sound of Trees" ?
Camille Pépin : L'Orchestre de Picardie m'a demandé un concerto pour violoncelle, clarinette et orchestre. Ces deux instruments, mêlés à l'orchestre, ça m'a fait penser à des sonorités boisées. Et à un poème de Robert Frost que je connaissais, The sound of Trees. Donc je lui ai juste piqué le titre (rires) et j'ai imaginé comme une forêt de sons… C'est vrai que la nature m'inspire souvent, c'est un thème assez récurrent dans ma musique. Et là j'avais envie d'explorer les sonorités du vent dans les feuilles, leur bruissement, les branches qui craquent sur le sol, enfin toutes les sensations qu'on peut avoir en forêt… Je ne démarre jamais une pièce avec des notes de musique ou des concepts, mais vraiment, tout de suite, de l'image que m'évoque une sensation…
Regardez le reportage de France 3 Hauts de France (C. Di Crescenzo, M. Roussel, M. Milluy et P.-O. Pappini) qui a suivi Camille Pépin à Amiens en janvier 2020 pendant les répétitions de "The Sound of Trees" avec l'Orchestre de Picardie.
Vous partez souvent d'une œuvre littéraire pour écrire votre musique. Mais celle-ci, un poème dans ce cas, est le point de départ d'une inspiration plus large qui est la nature…
Oui, c'est ça. En réalité ce sont toujours les autres arts qui me nourrissent et qui m'inspirent, ça peut être la poésie, ça peut être des tableaux, ça peut être de la photo aussi. Et parfois juste la nature en elle-même. Moi, quand je suis dehors et que je me balade… En fait, j'ai besoin d'avoir des images, pour avoir un déclic, une idée, qui se transforme après en musique.
Quelle est l'étape suivante ? Vous vous imposez une structure formelle ou alors vous composez en totale liberté ?
Je m'accorde une liberté. Parce que ces images me donnent des idées de notes ou de rythmes et, au début, j'essaie de prévoir ce qui va se passer dans la pièce : est-ce que ça va aller en montant, en ayant une tension, ou est-ce que ça va s'éteindre, est-ce que le son va s'effilocher ? Et en inscrivant ces idées musicales sur le papier, ça ne donne jamais ce que j'avais pensé à la base. Parce qu'on ne peut pas toujours faire ce que l'on veut avec les notes. Parfois on est obligés de s'adapter au matériau que l'on est en train de forger. J'ai souvent l'image d'un peintre, d'un sculpteur avec sa matière. On doit la façonner pour suivre les idées qu'on ressent.
Et on la façonne dans le cadre d'un schéma qui existe, comme celui du concerto…
Oui, c'est vrai que le concerto est un genre qui appelle forcément des choses, par exemple la mise en valeur d'un ou de plusieurs solistes, ici il y en a deux. On s'attend à un moment où les solistes ont des choses très virtuoses, ce qu'on appelle la cadence. J'en ai écrit une pour violoncelle et clarinette, elle est en plein milieu de la pièce, mais les solistes sont en permanence tous les deux. C'est un vrai duo en réalité ! Ce n'est pas d'abord le violoncelle puis la clarinette, comme ça aurait pu se faire, moi je voulais vraiment mêler les deux, parce que c'est ensemble qu'il y a cette sonorité boisée. Dans le reste de la pièce, idem, je n'ai pas voulu faire : d'abord je mets en valeur le violoncelle, ensuite la clarinette, enfin c'est l'orchestre qui reprend tout. Non. J'ai mélangé les trois pour essayer d'avoir des couleurs un peu nouvelles, un son nouveau : toujours ce bruissement de la forêt. Que rien ne soit vraiment très distinct, que tout soit un peu frémissant…
D'où les titres des mouvements, comme une suggestion poétique ? Exemple : 1. Paisible, boisé 2. Plus lumineux, irisé 3. Céleste, planant 4. Entêtant, tournoyant, hypnotique, etc.
Oui (rires) ! Un jour un musicien d'orchestre m'a fait la réflexion. Il m'a dit : sur tes partitions, tu ne mets pas le tempo (là il faut que ce soit rapide, là il faut que ce soit lent), tu mets des adjectifs pour qualifier l'ambiance de ta musique… Et il m'a ajouté que c'était agréable parce qu'il avait tout de suite une image à l'esprit qui faisait qu'il jouait autrement. Du coup, j'ai continué à faire ça dans toutes mes pièces, je mets ce que j'ai à l'esprit au moment où je les conçois. Evidemment, ça implique qu'à défaut de tempo écrit, les musiciens suivent encore davantage le chef d'orchestre.
L'atmosphère que vous créez dans votre pièce n'est pas sans évoquer Debussy, dont deux pièces sont reprises dans ce disque, des transcriptions pour orchestre que vous avez réalisées à partir d'œuvres écrites à l'origine pour piano.
Quand j'ai écrit le concerto, je savais que l'Orchestre de Picardie allait jouer ces deux pièces de Debussy donc j'avais ça à l'esprit. C'est un compositeur que j'ai toujours beaucoup aimé, depuis toute jeune, et qui s'est lui aussi inspiré de la nature.
Debussy vous a beaucoup inspiré pour le concerto ?
Oui, je pense que cette œuvre a été inspirée par Debussy, mais comme toutes mes autres pièces en réalité. Je n'écrirais pas la même musique si je n'avais découvert celle de Claude Debussy, c'est sûr.
Un mot sur la transcription. Etes-vous la même compositrice lorsque vous orchestrez les œuvres de Debussy ou de Lili Boulanger ?
Non, la casquette de compositrice est différente : quand on orchestre la musique d'un autre compositeur on décide d'être le plus fidèle possible à ce compositeur. Donc j'essaie d'orchestrer comme Debussy l'aurait fait. Et c'est ça qui est très difficile parce que naturellement on aurait envie de faire des choses plus personnelles. Pour moi, ce n'est pas du tout le but. J'ai beaucoup étudié les partitions de Debussy et de Lili Boulanger pour essayer de faire comme si c'était eux. J'espère avoir réussi, mais je ne peux pas en être sûre parce que je ne suis pas dans leur tête ! On apprend beaucoup de choses en orchestrant la musique des autres parce qu'on met les mains dans le cambouis et on voit quelles sont leurs problématiques quand ils sont en train d'écrire.
Revenons à The Sound of Trees. Comment s'inscrit cette pièce dans votre parcours ?
Comme pour chaque pièce, elle est dans la continuité des précédentes mais elle annonce les prochaines. Comme c'était la première fois que j'écrivais un concerto, il y a des questions d'écriture que je me suis posées et des idées nouvelles qui se sont imposées notamment sur les deux solistes par rapport à l'orchestre, des questions d'équilibre. Et en même temps, dès les premières minutes, si on connaît ma musique, on sait que c'est de moi. Mais plus largement, quand on parle des œuvres des compositeurs, on oublie souvent que nous écrivons les pièces les unes après les autres, du coup il ne faut pas toujours les voir comme des moments séparés. En fait, on construit une œuvre et dans cette œuvre s'inscrivent plein d'autres pièces et chacune apporte des enjeux différents et on essaie de se dépasser à chaque fois en faisant différent, mais il y a forcément des continuités. Moi j'ai l'impression de progresser de pièce en pièce et en même temps je sais que je n'ai aucune pièce qui est parfaite. Mais à chaque fois j'apprends, non pas des erreurs, parce que ce ne sont pas des erreurs : on essaie de faire mieux pour avancer et essayer de créer le plus de choses différentes.
Votre œuvre jusqu'ici est saluée, mais les critiques évitent de vous "classer" dans une école, un mouvement, sans doute parce que ce qui vous anime est avant tout la recherche d'une couleur plutôt qu'un style…
Ah oui ! Très honnêtement je m'en moque un peu de savoir dans quelle case on me met : moi j'écris la musique que je suis et qui me vient. Ce n'est pas à moi en tout cas de dire si j'appartiens à une case ou à une autre, il y en a d'autres qui décident pour moi (rires). Moi j'ai juste besoin d'écrire parce que je n'imagine pas ma vie sans ça et je suis contente de me lever le matin en me disant que je vais écrire de la musique. Ce n'est pas pour l'exercice intellectuel, ni pour le bien de l'art, ce n'est pas du tout ça, c'est un peu égoïste d'ailleurs, j'ai trop besoin de ça pour vivre. Comme vous le dites, ce sont les couleurs, les sensations qui me guident et j'écris de manière assez instinctive. Je ne m'impose rien, et on verra bien où cela mène, c'est ça qui est beau aussi, c'est qu'on ne sait pas vraiment.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.