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Dessine-moi un festival, une série de l'été : Anne Blanchard à Beaune

Ils sont chanteurs, chefs d'orchestres, producteurs, patrons de salle… ou simples mélomanes. Pour le plaisir de la musique, ils consacrent leur été à faire vivre un festival. Baroque ou romantique, Boulez ou Mozart. A la ville, dans les champs, ou en bord de mer, qu'est-ce qui fait que ça marche ou pas ? Rencontre, aujourd'hui, avec Anne Blanchard, créatrice du Festival d'Opéra Baroque de Beaune.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Anne Blanchard, directrice du Festival d'opéra baroque de Beaune.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Historienne, médiéviste, passionnée de musique ancienne, Anne Blanchard crée en 1982, à Beaune, un festival pionnier dans la redécouverte du répertoire lyrique baroque tombé à l'époque complètement dans l'oubli. Depuis, le "Festival international d'Opéra Baroque et Romantique de Beaune" fait référence en Europe, salué pour avoir largement contribué à la "révolution du mouvement baroque". Véritable dénicheuse de talents, Anne Blanchard peut se prévaloir d'avoir fait découvrir plusieurs générations de chanteurs et de chefs baroques.

Pourquoi aller s'investir corps et âme dans un festival d'été comme le vôtre ?
Par passion. Je l'ai créé, il y a trente-trois ans par passion pour le lieu, Beaune, un très bel écrin. Une ville que j'associe à mon grand-père maternel avec qui j'avais beaucoup d'affinités : un pédagogue, historien et qui fut le maire de la ville. Il ne connaissait pas du tout la musique classique, il n'aimait que la musique folklorique. Mon projet lui plaisait, mais il n'a jamais vu le festival parce qu'il est mort l'année qui a précédé la première édition. Passion ensuite pour la voix, parce que celui de Beaune est aussi un festival de voix. Et enfin, comme je suis médiéviste, passion pour la musique du Moyen-Age, mais étendue évidemment à la musique renaissance, pré-baroque et baroque.

Le must du Festival de Beaune : le concert dans la Cour des Hospices.
 (Droits Réservés.)

Aujourd'hui le festival est célèbre et reconnu. Mais au début, comment avez-vous attiré les artistes ?
Ça n'était pas compliqué parce que dans les années 1980, ces artistes n'avaient pas d'agents ou d'administrateurs et ils étaient contents de parler de leur passion… On allait les voir dans les sacristies après les concerts et on faisait connaissance : William Christie, René Jacobs, Philippe Herreweghe, on a connu ces chefs comme ça !  On discutait de leurs projets, de leurs programmes et ils venaient nous voir à Beaune…

Donc il n'y avait pas de surenchère sur les prix...
Non, et avec peu de moyens on arrivait à faire quelque chose de correct.

D'où vous vient la réputation de "dénicheuse d'artistes" pour le festival ?
Ah oui, c'est vrai qu'il y a tous ces jeunes que je découvre depuis des années ! Ça fait des générations de chanteurs : de la célèbre contralto Sara Mingardo que j'ai présentée à Rinaldo Alessandrini, par exemple, à Gaëlle Arquez !
Gaëlle Arquez en Iphise (dans "Dardanus" de Rameau) ici repris au Grand Théâtre de Bordeaux en avril 2015. 
 (JEAN-PIERRE MULLER / AFP)

Oui, Gaëlle Arquez, la mezzo-soprano qui a le vent en poupe et qu'on a récemment pu écouter au Châtelet dans "La Belle Hélène"…
Gaëlle s'est véritablement fait remarquer au Festival de Beaune de 2011 avec "Dardanus" de Rameau. C'est moi - qui l'avais repérée peu avant au Conservatoire – qui ai demandé à Raphaël Pichon de l'auditionner pour ce rôle d'Iphise alors qu'elle ne connaissait pas encore cette musique. Elle a chanté magnifiquement dans la Cour des Hospices ! Et il faisait beau ce soir-là… Elle sera à nouveau à l'affiche de Beaune pour plusieurs concerts, dont l'oratorio "Jephtha" de Haendel.

Comment trouvez-vous vos perles ?
D'abord aux concerts, dans les festivals et notamment. Je discute avec les chefs, j'assiste aux master-classes… Mais j'écume aussi depuis très longtemps les conservatoires ! Et puis, simplement, je découvre de nouvelles voix à la radio : France musique a fait un énorme travail sur la musique ancienne avec le regretté Jacques Merlet… D'ailleurs, si je suis fière des voix qu'on a repérées, je le suis tout autant des chefs promus par Beaune : Rinaldo Alessandrini, Jérémie Rhorer, Raphaël Pichon. Certains instrumentistes se sont aussi lancés come chefs lors d'un Festival, comme Emmanuelle Haïm ou Christophe Rousset.

Quelle est la potion magique pour que ça marche auprès du public ?
C'est la fidélité ! On est fidèle au public, il est fidèle à nous. C'est un public très particulier, passionné de ces musiques, qui se renseigne très longtemps à l'avance. Ce public n'existait pas beaucoup en France à l'époque et il a grandi avec le festival. Aujourd'hui, il se sent bien à Beaune, il a pris ses marques : d'ailleurs au début je concoctais pour certains des itinéraires en Bourgogne compatibles avec les concerts...

Budget : comment se débrouiller pour ne pas perdre de l'argent ?
Au départ, comme on n'avait pas beaucoup de subventions - on nous regardait plutôt comme des martiens, on a compris qu'il fallait se débrouiller. On a très rapidement trouvé des mécènes (notamment, depuis 24 ans, la Fondation Orange, la Caisse de Dépôts et les Hospices de Beaune). Comme il y a aujourd'hui des chutes de subventions dans les institutions, il va falloir à nouveau qu'on trouve des mécènes pour combler les trous...

Un souvenir de festival...
On est dans la Cour des Hospices pour un "Orfeo" de Monteverdi avec Jordi Savall et Montserrat Figueras qui commence sous un ciel sans nuages. Mais l'été est capricieux cette année là. Une tempête s'annonce peu après et en un quart d'heure, elle se transforme en un véritable torrent. Panique : l'eau monte dans la cour, on tente de protéger les instruments… musiciens et public se replient dans la Basilique Notre-Dame de Beaune, où la jauge de 1000 places oblige 200 personnes à s'accommoder. Tant bien que mal, deux heures après - il est presque minuit - le concert peut recommencer et Jordi Savall tient à reprendre tout depuis le début. D'autres n'en auraient pas fait autant ! "L'Orfeo" se termine vers 2 heures du matin dans une liesse absolument générale : les gens se congratulaient, s'embrassaient et se disaient qu'un jour, ils raconteraient ces émotions vécues à leurs petits-enfants…

Festival d'opéra baroque et romantique de Beaune
Jusqu'au 25 juillet 2015

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