Dessine-moi un festival, une série de l'été : Jordi Savall à Fontfroide
Violoncelliste de formation, spécialiste de la viole de gambe, chef de chœur et chef d'orchestre, concertiste mais aussi chercheur et pédagogue…. Jordi Savall joue depuis plus de 50 ans un rôle majeur dans la connaissance et la diffusion des musiques dites anciennes. Pour le grand public, son nom reste associé au film "Tous les matins du monde" d'Alain Corneau et à la musique de Marin Marais. Mais le musicien "historique" est également très actif dans le dialogue des cultures musicales qu'il développe notamment dans le "Festival Musique et Histoire" qu'il a créé il y a dix ans dans l'Aude, à l'Abbaye de Fontfroide.
Qu'est-ce qui pousse à vous investir dans ce "Festival Musique et Histoire" à l'Abbaye de Fontfroide (dans l'Aude) ?
Ce sont les mêmes motivations qui orientent mon travail de recherche depuis des décennies, qui m'ont fait prendre le risque de monter une maison de disque ("Alia Vox", ndlr)… Au centre de cette démarche il y a toujours le dialogue interculturel. Aujourd'hui, travailler sur la rencontre des musiques juive, arabe et de l'Occident chrétien est d'autant plus important que nous vivons à une époque de crise où l'autre devient facilement le bouc émissaire. Donc il faut, à travers ces activités festives, donc de plaisir, rappeler ce que nous sommes, que le noyau de l'humanité, c'est le respect de l'autre.
Il y a d'ailleurs, dans ce "Festival Musique et Histoire", deux types de rencontres : géographique - avec par exemple l'univers de l'écrivain arabe Ibn Battuta - et historique - avec notamment l'œuvre de Marin Marais que vous avez contribué à faire découvrir…
Oui. Et le rapport entre les deux est la recherche de la mémoire. Dans le cas de Marin Marais, il s'agit de remettre en lumière un génie de la musique complètement oublié. Et pour Ibn Battuta, faire découvrir l'un des plus grands voyageurs de tous les temps, qui a visité les grands centres culturels de l'époque. Ce sont des figures qui nous apportent une vision. D'ailleurs, le thème de cette édition du festival est " les voyageurs de l'âme et du temps".
Comment choisissez-vous les artistes qui joueront au Festival ?
Ce sont des artistes avec lesquels je suis en symbiose ou en harmonie. Des artistes dont la vision musicale nous éclaire. Qu'est-ce que le rôle de la musique sinon d'apporter de la lumière ? Quand j'écoute de la musique, mon âme s'éclaircit, véritablement. Il y a quelques années, j'ai fait un disque qui s'appelle "Les larmes de Caravage" car j'ai été touché par un tableau du maître italien, "L'arrestation du Christ", une image sombre dans laquelle figurent Jésus et Juda, mais aussi d'autres personnages : parmi eux, dans un coin, un homme vient éclairer la scène à l'aide d'une lanterne. L'homme est le Caravage lui-même : c'est l'artiste qui illumine. J'ai toujours été impressionné par cette image symbolique. Modestement, j'ai mis un peu de lumière notamment sur la musique de Marin Marais. Et les artistes invités au Festival – qui viennent entre autres d'Arménie, de Syrie, de Hongrie, d'Afrique… apportent à leur tour de la lumière à Fontfroide.
Côté public, quelle est la potion magique pour que ça marche ?
Nous devons réussir dans trois mots clé : l'intérêt du programme auprès du public ; la beauté des morceaux qu'on joue ; l'émotion qu'on parvient à transmettre. Sans cela, ça ne marchera pas. Mais avec cela, on peut également proposer des projets inconnus.
De manière générale, les finances des festivals sont souvent sur le fil du rasoir. Comment se débrouiller pour ne pas perdre d'argent ?
Il est impossible de ne pas perdre d'argent (rires)… si on veut bien faire les choses et laisser une trace. Ce ne sont pas des quantités importantes, mais l'idée n'est pas de proposer des billets au même prix qu'à Salzbourg, surtout si on veut faire venir des jeunes… D'où la nécessité de s'assurer d'avoir les aides publiques (notamment la Ville de Narbonne, le Département et la Région) et les sponsors et les mécénats que l'on peut.
Un souvenir de festival…
J'en prendrais un ancien, cette fois comme spectateur parce qu'il est important. C'était en 1957, j'avais 16 ans, je suis allé écouter Pablo Casals en concert au Festival de Prades. A 80 ans, il n'avait pas la force de tenir son violoncelle, mais il parvenait à jouer rien qu'avec l'émotion !
Festival Musique & Histoire
Du 15 au 19 Juillet 2015
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