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Dessine-moi un festival, une série de l'été : le Quatuor Modigliani à Evian

Ils sont chanteurs, chefs d'orchestres, producteurs, patrons de salle… ou simples mélomanes. Pour le plaisir de la musique, ils consacrent leur été à faire vivre un festival. Baroque ou romantique, Boulez ou Mozart. A la ville, dans les champs, ou en bord de mer, qu'est-ce qui fait que ça marche ou pas ? Rencontre, aujourd'hui, avec le Quatuor Modigliani, pour les "Rencontres musicales d'Evian".
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le Quatuor Modigliani.
 (Marie Staggat. )

Formé par Philippe Bernhard (violon), Loïc Rio (violon), Laurent Marfaing (alto) et François Kieffer (violoncelle), le Quatuor Modgliani a fêté en 2013 son dixième anniversaire. Peu de temps après, le groupe Danone, en la personne de Franck Riboud, leur proposait de reprendre la direction artistique des Rencontres musicales d'Evian, célèbre rendez-vous estival animé conjointement par Antoine Riboud et le très charismatique Mstislav Rostropovitch, et abandonné au début des années 2000.

Qu'est-ce qui vous pousse à vous investir dans un festival ?
Laurent Marfaing : Dans notre cas, c'est né de la rencontre avec un lieu, la "Grange au Lac" à Evian, qu'on a visitée une nuit, c'était magique, on en est tombé amoureux. On connaissait l'histoire de ce festival, animé par le violoncelliste Mstislav Rostropovitch et la salle a été imaginée par Patrick Bouchain pour le festival. On est tombés d'accord, avec les responsables du lieu, qu'il fallait absolument le faire revivre. De notre côté, on avait fait nos armes sur un petit festival de musique de chambre, créé par l'un de nous, Philippe Bernhard, plus modeste mais avec un côté humain très beau. C'était important, forts de cette expérience et de douze années de quatuor à cordes, de se dire qu'on savait comment on voulait ces rencontres : c'est un festival qui nous ressemble beaucoup. Et c'est vrai que c'est un gros investissement, toute l'année, pendant nos répétitions, on a notamment de longues réflexions sur la programmation... C'est colossal, mais ça vaut le coup parce que c'est extraordinaire, quand on assiste enfin aux concerts, de voir le retour du public...

La "Grange au Lac" à Evian.
 (Matthieu Joffres)

Quelle est la signature du Quatuor Modigliani dans le choix des artistes qui viennent aux Rencontres ?
François Kieffer : On disait que c'est un festival qui nous ressemble, oui : dans nos goûts et en même temps dans nos rêves. On a les "piliers" du quatuor, avec lesquels nous vivons musicalement depuis nos débuts, qui sont là.  Et puis il y a les artistes qu'on a entendus dans notre jeunesse - quand on a eu cette chance - et qu'on rêve de pouvoir faire venir : cette année ce sera Maxime Vengerov. Organiser un festival comme celui-ci, c'est aussi découvrir l'envers du décor - et on devient moins exigeant quand on joue dans d'autres festivals parce qu'on sait qu'il peut y avoir des défaillances : des annulations, des problèmes de catering, le temps qui fait des siennes... Mais quoiqu'il arrive, accueillir correctement nos invités, c'est faire en sorte qu'il y ait un esprit, familial, de partage de la musique, de rencontre entre les musiciens, et de mélange de générations d'artistes.

Découvrez-vous des exigences d'artistes - financières, matérielles ?
François Kieffer : Les musiciens qui viennent nous connaissent ou connaissent notre univers. Personne n'a fait de caprice de star et il faut dire qu'aujourd'hui ça existe de moins en moins... Certains artistes coûtent cher, c'est vrai. A Maxime Vengerov, connu pour avoir de gros cachets, on a demandé de rester trois jours avec nous - il fera son récital mais aussi une master class, une conférence et tant d'autres choses. C'est important qu'un artiste de ce calibre reste au festival dans cet esprit-là. De jeunes musiciens auront la chance de profiter de sa présence.
Le cadre hôtelier environnant la Grange au Lac (le Evian Resort). 
 (Evian Resort)

Question public,  quelle est la potion magique pour que ça marche ?
Loïc Rio : C'est un équilibre - c'est d'ailleurs presque la définition d'un quatuor à cordes : équilibre dans la programmation, entre nos envies parfois trop spécialisées, et ce que le public connaît et attend de la musique. Ainsi, cette année nous avons choisi comme axe majeur Vienne au tournant du XIXe siècle, mais il ne s'agit pas seulement de faire des œuvres de Schönberg mais de cerner l'atmosphère d'une période, autour des œuvres de Mahler, Bruckner, des dernières œuvres de Brahms. Autre équilibre, dans les artistes présents, entre les têtes d'affiche (comme Vengerov) et d'autres moins connus, comme un Julian Steckel.
Philippe Bernhard : La potion magique, c'est aussi l'authenticité. Une partie du public s'attend à un festival qui nous ressemble, donc qui ressemble à ce qu'est un quatuor à cordes : il y a l'idée de fraternité et de partage, l'anti-starisation, et il y a les œuvres qu'on aime et qui sortent un peu des sentiers battus.

Budget : comment se débrouiller pour ne pas perdre d'argent ?
Loïc Rio et Philippe Bernhard : On sait que le but d'un festival n'est pas de fabriquer de l'argent, c'est pour ça que la culture est aussi dépendante de mécènes, de sponsors, c'est un patrimoine commun. On a, nous, clairement établi que ce festival serait construit sur un budget raisonnable. Et on a un administrateur qui sait dans quelles limites on doit aller.
Philippe Bernhard : Une remarque : même lorsqu'on faisait le Festival de Saint-Paul de Vence, on n'a jamais choisi l'option de faire venir les gens gratuitement parce qu'on avait toujours envie d'avoir une liberté totale dans nos choix. Si  vous voulez inviter Sokolov ou Vengerov, ce n'est pas gratuit ! De même, on voulait que ce ne soit pas un "festival de copains", car notre volonté est d'être totalement libres dans le choix, artistiquement et humainement, avec la possibilité d'avoir des musiciens qu'on a jamais invité. Et pour cela, il faut de l'argent.

Un  souvenir de festival…
Loïc Rio : Déjà, la présentation du programme à la Grange, devant le public évianais était un moment émouvant...
Philippe Bernhard : ... Et puis le grand souvenir de l'année dernière est le concert de Grigory Sokolov, on était dans la salle et on avait l'impression que le pianiste nous avait tous pris par la main... C'est le moment où je me suis senti le plus "public", plus musicien du tout. Quand on est musicien on a une écoute déformée : on entend les notes, les volontés artistiques, beaucoup de détails plus ou moins dérangeants. Etre juste auditeur simple, c'est magique parce qu'on découvre des univers. Et on comprend, pour les musiciens que nous sommes, quel est l'essentiel du message à faire passer.

Rencontres musicales d'Evian
Du 4 au 11 juillet 2015

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