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Disque Mozart Clementi de Vanessa Wagner : un voyage entre pianoforte (ancien) et piano (ultra) moderne

En plus de vingt ans de carrière, Vanessa Wagner a montré qu’elle est une pianiste complète qui sait exploiter l’étendue d’un répertoire allant du baroque à l’électronique. Dans son dernier disque, la musicienne s’est arrêtée à la fin du XVIIIe siècle… Oui, mais elle fait dialoguer Mozart et Clementi, en utilisant alternativement pianoforte (ancien donc) et piano (ultra) moderne. Rencontre.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Vanessa Wagner
 (Bernard Martinez)

Vanessa Wagner fait figure de pianiste classique à part, naviguant volontiers entre les répertoires : du baroque au contemporain (et notamment Pascal Dusapin auquel on l’a beaucoup associée), jusqu’à la musique électronique, depuis qu'elle s'est produite sur scène avec l'artiste mexicain Murcof sur des pièces de John Adams, Philipp Glass ou Erik Satie. Cette expérience s’est d’ailleurs très récemment traduite par un très beau disque, "Statea" qui a rencontré son public.

  (La Dolce Volta)
De la même manière, il y a quelques années, Vanessa Wagner a fait découvrir à son public le pianoforte, le piano ancien, grâce à une série de concerts où elle en jouait en alternance avec l'instrument moderne. Dans le prolongement de ce travail, la pianiste a décidé aujourd’hui de consacrer un disque à Mozart et à Clementi (paru chez La Dolce Volta) qu’elle a interprété en alternant un pianoforte (un piano Brodmann de 1814) et un piano Yamaha CFX, tout ce qu'il y a de plus moderne. Nous retrouvons dans un café Vanessa Wagner, enthousiaste de pouvoir évoquer son dernier disque, avant de rejoindre Chambord où à partir du 4 juillet, elle se produit dans le cadre du festival dont elle est également directrice artistique.

Après un disque où vous associez piano et musique électronique, pourquoi avoir choisi de vous tourner vers un instrument ancien comme le pianoforte ?
J’ai fait en sorte que la sortie de ces deux disques soit très rapprochée. Il y a peu de grands écarts musicaux si prononcés : passer du pianoforte au piano électro, c’est très fort. Mais ce grand écart-là me plaît. Ce n’est pas un défi : je n’ai pas envie d’effleurer certains projets, autant la pratique du pianoforte que le travail avec l’électronique, sont des projets que je vis depuis plusieurs années comme musicienne. Ce n’est pas non plus une démarche marketing, mais quelque chose de spontané. J’ai inscrit cette phrase que j’adore de Saint-Augustin dans le livret du disque : "Avance sur ta route car elle n’existe que par ta marche". Voilà, c’est une liberté par laquelle je retrouve aussi le sens que parfois j’ai pu perdre à ce métier. On a tendance à enfermer les musiciens dans des cases : quand j’ai commencé à faire du contemporain, on ne m’invitait plus en concert que pour ça, et quand j’ai joué du pianoforte on m’a dit tu veux être pianofortiste. Idem pour le piano-électro... En présentant deux projets aussi différents que "Statea" – assez raffiné, mais qui m’ouvre sur un autre public, et le programme Mozart-Clementi – qui s’adresse plutôt à une niche, ça me permet d’assumer complètement ce grand écart qui pour moi a un vrai sens : je m’octroie le droit et l’appétit de faire ce métier de cette façon-là.

Qu’est-ce que ça vous provoque comme sensation de passer du piano au pianoforte ?
La première fois - c’était il y a près de dix ans - j’ai eu un coup de foudre pour cet instrument, même si le changement est énorme : c’est le rapport à la fois physique et mental au pianoforte qui m’a passionnée. Physiquement on ne dompte pas un pianoforte, on est tributaire de l’instrument. Alors que sur scène, les grands pianos modernes sont si bien réglés, si puissants qu’on en fait ce qu’on veut – un peu comme un animal qu’on dresse, un pianoforte est à la fois plus fragile et ne se laisse pas apprivoiser. Il faut donc complètement réadapter sa posture, la virtuosité, la puissance surtout, sinon l’instrument se braque et ne sonne pas. Il faut trouver d’autres parades, d’autres moyens techniques.

Le son du pianoforte paraît presque instable…
C’est vrai qu’il y a une fragilité dans le son, dans l’acoustique presque qui est extrêmement émouvante. C’est ce qui m’a amenée à côtoyer ces instruments mais chaque pianoforte a sa spécificité. Et les appels d’air dans le son sont très beaux, il y a parfois un manque d’harmonie qui donne aux aigus un son très spécifique. C’est quelque chose qui m’émeut à chaque fois énormément. 

Sur le plan de l’interprétation, quelle adaptation vous demandé le pianoforte ? Par exemple, vous avez joué très lente la célèbre "Fantaisie en ré mineur" de Mozart...
Le toucher et l’interprétation sont toujours ce que j’ai eu envie d’exprimer. Mais je me suis pour l’occasion beaucoup adaptée. Je joue cette Fantaisie particulièrement lente, parce qu’il y a sur ce pianoforte un mystère du son et une dramaturgie incroyables dans le début, un sentiment de solitude que j’ai accentués.

Pourquoi avoir choisi de mélanger les pièces jouées au piano moderne et celles au pianoforte ?
Je voulais proposer l’alternance entre pianoforte et piano pour dire : regardez, écoutez deux mondes tellement séparés qui en réalité se réunissent très bien. Et partager des émotions que je vivais en concert déjà : pour moi, une posture particulière de musicienne et pour le public, surtout, une façon différente d’écouter le piano, de ressentir le son… Et puis tout simplement, j’avais envie en tant que pianiste moderne qui a des doigts rapides (rires), d’interpréter au piano moderne la sonate de Clementi "Didon abandonnée" que j’ai trouvée magnifique. C’est une sonate très théâtrale, une sorte de mini opéra sans paroles, l’histoire d’une femme ivre de colère et de tristesse, qui trouve une limite de puissance au pianoforte : l’instrument n’est pas une copie, c’est un original, fragile, les aigus sont un peu compliqués…
Le pianoforte Brodmann de 1814
 (Jean-Marc Angles)

Alternant pianoforte et piano moderne, ce disque est une proposition sur le son…
C’est ça : "Statea" était déjà un projet sur le son, proposant une distorsion sonore, des mélanges sonores. Avec le disque Mozart Clementi, je poursuis la recherche sur le son et sur les couleurs musicales, un travail qui me passionne en tant que pianiste. On pourrait se dire que le piano - une touche dont un marteau va taper sur une corde - offre assez peu de possibilités sonores. C’est tout le contraire : les pianistes qui m’intéressent sont ceux qui travaillent de l’ultra-pianissimo au fortissimo et à l’intérieur de toutes ces nuances, pianissimo, piano, mezzo-forte, forte, il y a une multitude possible, parce que la sonorité vient du cœur, c’est la marque de l’interprète. Donc avec cette proximité du pianoforte, je m’offre et j’offre à l’auditeur une possibilité encore plus grande de travailler la couleur.

Il y a une multitude de possibilités ?
Tout n’est peut-être pas possible, mais sûrement beaucoup plus que les pianissimo, piano, etc. Parce qu’à l’intérieur de ces nuances, il y a par exemple le piano sostenuto, le piano effleuré, le piano coloré…

Il y a dans ce disque deux rencontres : celle entre deux instruments et celle entre deux compositeurs, Mozart et Clementi.
On m’a un jour demandé de jouer une sonate de Clementi et j’ai adoré sa musique. Certes, ce n’est pas le génie absolu de Mozart, certes il y a chez ce compositeur des faiblesses, des redites, des passages harmoniques parfois un peu audacieux. Mais cette sonate "Didon abandonnée" est superbe ! Alors, comme je proposais ce compagnonnage pianoforte-piano, je me suis dit pourquoi ne pas proposer cette double vision ? Je ne me dis pas que vais sortir Clementi de l’oubli, mais si je peux juste, de ma modeste place, y contribuer…

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