Cet article date de plus d'onze ans.
Folle Journée de Nantes: un démarrage excitant !
Il a plu des cordes sur Nantes toute la matinée et brusquement en début d’après-midi un soleil éblouissant transperce le ciel. Est-ce le soleil de l’enfance, thème du beau concert de Claire Désert et Emmanuel Strosser au piano à 4 mains ? Notre blogueur Bertrand Renard nous fait part de ses découvertes, lors de cette première journée du festival.
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Temps de lecture : 7min
L'Enfance par Claire Désert et Emmanuel Strosser
Premier morceau, « Dolly » de Fauré (la petite Dolly et sa poupée de porcelaine) qui commence par une tendre berceuse, de celles que l’on chante à tous les enfants du monde. A moins qu’on leur raconte, comme Ravel, les histoires de « Ma mère l’Oye », de forêts pleines d’ogres, de châteaux endormis ou de la Chine rêvée de « Laideronnette, impératrice des pagodes » (« Il y avait, racontait Jeanne Leleu, jeune pianiste de 11 ans qui avait créé l’œuvre, une certaine glissade qui m’écorchait le doigt. J’en parlais à Ravel. « Je suis un bourreau d’enfant » me répondit-il avec un petit sourire ; et il laissa la glissade »).
Pour finir par les délicieux « Jeux d’enfants » de Bizet : l’escarpolette, la toupie, les chevaux de bois, colin-maillard ou saute-mouton. Imagine-t-on un Bizet d’aujourd’hui composant sur « Super Mario contre Lara Croft, ultimate apocalypse » ?
Il faut composer avec ce monde multiple qui applaudit : "Audrey, tu veux faire pipi ?"
Le public nantais ne connait pas forcément les codes des concerts classiques. Il y a les amateurs purs, ceux qui ne veulent pas manquer ça, les curieux qui passent la tête (Adrien, 23 ans, écoutant les trios de Ravel et Fauré : « C’est évidemment énorme mais c’est pas du tout mon truc »), les petits avec leur accompagnatrice (« Audrey, tu veux faire pipi ? Parce qu’après on sera au spectacle, on pourra plus bouger »), Jade, 6 ans, qui tousse et s’endort et que sa maman réprimande en faisant sans le vouloir plus de bruit qu’elle. Il faut composer avec ce monde multiple qui applaudit, qui est fasciné, parfois surpris, parfois perplexe mais toujours curieux.
Chacun compose son propre menu
Chacun compose son propre menu. Le mien, ce mercredi, c’était mes chers Fauré-Debussy-Ravel ; et moi, le trio de Fauré, cher Adrien, c’était mon truc : défendu par les seniors Pennetier (Jean-Claude)-Pasquier (Régis)-Pidoux (Roland), vieux complices qui comprennent intimement cette musique apaisée, presque mystique, d’un vieil homme serein. Une harpe au milieu d’une scène : c’est rare, c’est doré et couleur crème, très haut et très beau. Une belle harpiste, Isabelle Moretti, en robe vaporeuse « fleurs et feuilles », et qui joue sa vie dans les « Danses » de Debussy et l’ « Introduction et allegro » de Ravel, œuvres qu’on ne joue jamais parce que les concerts de harpe… Et pourtant petits chefs-d’œuvre. Qui me confirme dans mon jugement : le solaire Debussy, ses miroitements d’eau, de vent et de feuillage ; le lunaire Ravel, les ombres inquiètes d’un musicien que trop de lumière terrorise.
Gros bug sur le concert de la magnifique Anne Queffelec Debussy-Ravel : la grande pianiste Anne Queffelec les oppose, les « Images » de Debussy (« Reflets dans l’eau », symbolique !), les « Miroirs » de Ravel (« Noctuelles », ces papillons aveugles qui ont la vie des éphémères, « Oiseaux tristes » ou « Une barque sur l’océan » et la houle sous la barque …). Magnifique Anne Queffelec, dans les circonstances les plus compliquées : on a construit à Nantes pour certains concerts deux lieux merveilleux, des « Magic Circus », sorte de yourtes à décoration années 20, avec des frises en pâte de verre et des couleurs mauresques (crème, ocre et brique), comme des manèges immobiles sauf que… derrière le piano d’Anne Queffelec passe un boulevard, il est 19 heures, Ravel et Debussy sont saupoudrés de sirènes d’ambulances, d’hélicoptères, de pin-pon. Gros bug dont sont aussitôt informés René Martin et son équipe, confrontés au manque de place pour ces « Folles journées » qui ont tant de succès qu’il faut d’autres salles, d’autres lieux et là… Je vous conterai évidemment la suite.
Pour le 50e anniversaire de la mort de Poulenc : Paul Colléaux dirige l’ « Ensemble vocal de Nantes »
Pour se remettre, des chœurs de Poulenc : c’était ce mercredi 30, le 50e anniversaire de sa mort, je lui devais bien ça. Paul Colléaux dirige l’ « Ensemble vocal de Nantes » et donne le diapason à ses excellents chanteurs avec… un harmonica ! Poulenc profane : sur de merveilleux poèmes d’Apollinaire (« Je passais au bord de la Seine/ Un livre ancien sous le bras/Le fleuve est pareil à ma peine/ Il s’écoule et ne tarit pas ») ou d’Eluard (« Adieu tristesse/ Bonjour tristesse » dont Sagan fit son plus beau titre), des mélodies si françaises qu’on croirait les avoir déjà chantées. Poulenc sacré : la foi humble, toute simple, d’un François d’Assise auquel Poulenc emprunte ses textes et une musique de la même lumière. Le guitariste Juan Manuel Canizares et le "nuevo flamenco"
Dans toute cette France il fallait un peu d’Espagne. Au « Magic Circus » silencieux (mieux situé !) , le Canizares Flamenco Sextet. Juan Manuel Canizares a été le 1er guitariste flamenco invité par le prestigieux Philarmonique de Berlin (dans le « Concerto d’Aranjuez » que nos amis allemands considèrent donc comme de la grande musique). Canizares matine son flamenco de jazz, de tango, de diverses influences latines. Les puristes sont choqués par ce « nuevo flamenco » et par la danseuse, Maribel Espino, « lourde », « pas gitane » (c’est ce que j’ai entendu à la sortie !). Je ne connais pas très bien le flamenco mais j’ai trouvé très belle (une sorte d’Ana Mouglalis andalouse) cette danseuse tout en retenue, les gestes de la main gauche très précis pendant que de sa main droite elle ouvre un éventail rouge. Et j’ai aimé la vigueur, la joie de jouer, la beauté instrumentale de ce sextet. Quand je suis sorti la nuit nantaise était étoilée. Très étoilée. Presque andalouse.
Premier morceau, « Dolly » de Fauré (la petite Dolly et sa poupée de porcelaine) qui commence par une tendre berceuse, de celles que l’on chante à tous les enfants du monde. A moins qu’on leur raconte, comme Ravel, les histoires de « Ma mère l’Oye », de forêts pleines d’ogres, de châteaux endormis ou de la Chine rêvée de « Laideronnette, impératrice des pagodes » (« Il y avait, racontait Jeanne Leleu, jeune pianiste de 11 ans qui avait créé l’œuvre, une certaine glissade qui m’écorchait le doigt. J’en parlais à Ravel. « Je suis un bourreau d’enfant » me répondit-il avec un petit sourire ; et il laissa la glissade »).
Pour finir par les délicieux « Jeux d’enfants » de Bizet : l’escarpolette, la toupie, les chevaux de bois, colin-maillard ou saute-mouton. Imagine-t-on un Bizet d’aujourd’hui composant sur « Super Mario contre Lara Croft, ultimate apocalypse » ?
Il faut composer avec ce monde multiple qui applaudit : "Audrey, tu veux faire pipi ?"
Le public nantais ne connait pas forcément les codes des concerts classiques. Il y a les amateurs purs, ceux qui ne veulent pas manquer ça, les curieux qui passent la tête (Adrien, 23 ans, écoutant les trios de Ravel et Fauré : « C’est évidemment énorme mais c’est pas du tout mon truc »), les petits avec leur accompagnatrice (« Audrey, tu veux faire pipi ? Parce qu’après on sera au spectacle, on pourra plus bouger »), Jade, 6 ans, qui tousse et s’endort et que sa maman réprimande en faisant sans le vouloir plus de bruit qu’elle. Il faut composer avec ce monde multiple qui applaudit, qui est fasciné, parfois surpris, parfois perplexe mais toujours curieux.
Chacun compose son propre menu
Chacun compose son propre menu. Le mien, ce mercredi, c’était mes chers Fauré-Debussy-Ravel ; et moi, le trio de Fauré, cher Adrien, c’était mon truc : défendu par les seniors Pennetier (Jean-Claude)-Pasquier (Régis)-Pidoux (Roland), vieux complices qui comprennent intimement cette musique apaisée, presque mystique, d’un vieil homme serein. Une harpe au milieu d’une scène : c’est rare, c’est doré et couleur crème, très haut et très beau. Une belle harpiste, Isabelle Moretti, en robe vaporeuse « fleurs et feuilles », et qui joue sa vie dans les « Danses » de Debussy et l’ « Introduction et allegro » de Ravel, œuvres qu’on ne joue jamais parce que les concerts de harpe… Et pourtant petits chefs-d’œuvre. Qui me confirme dans mon jugement : le solaire Debussy, ses miroitements d’eau, de vent et de feuillage ; le lunaire Ravel, les ombres inquiètes d’un musicien que trop de lumière terrorise.
Gros bug sur le concert de la magnifique Anne Queffelec Debussy-Ravel : la grande pianiste Anne Queffelec les oppose, les « Images » de Debussy (« Reflets dans l’eau », symbolique !), les « Miroirs » de Ravel (« Noctuelles », ces papillons aveugles qui ont la vie des éphémères, « Oiseaux tristes » ou « Une barque sur l’océan » et la houle sous la barque …). Magnifique Anne Queffelec, dans les circonstances les plus compliquées : on a construit à Nantes pour certains concerts deux lieux merveilleux, des « Magic Circus », sorte de yourtes à décoration années 20, avec des frises en pâte de verre et des couleurs mauresques (crème, ocre et brique), comme des manèges immobiles sauf que… derrière le piano d’Anne Queffelec passe un boulevard, il est 19 heures, Ravel et Debussy sont saupoudrés de sirènes d’ambulances, d’hélicoptères, de pin-pon. Gros bug dont sont aussitôt informés René Martin et son équipe, confrontés au manque de place pour ces « Folles journées » qui ont tant de succès qu’il faut d’autres salles, d’autres lieux et là… Je vous conterai évidemment la suite.
Pour le 50e anniversaire de la mort de Poulenc : Paul Colléaux dirige l’ « Ensemble vocal de Nantes »
Pour se remettre, des chœurs de Poulenc : c’était ce mercredi 30, le 50e anniversaire de sa mort, je lui devais bien ça. Paul Colléaux dirige l’ « Ensemble vocal de Nantes » et donne le diapason à ses excellents chanteurs avec… un harmonica ! Poulenc profane : sur de merveilleux poèmes d’Apollinaire (« Je passais au bord de la Seine/ Un livre ancien sous le bras/Le fleuve est pareil à ma peine/ Il s’écoule et ne tarit pas ») ou d’Eluard (« Adieu tristesse/ Bonjour tristesse » dont Sagan fit son plus beau titre), des mélodies si françaises qu’on croirait les avoir déjà chantées. Poulenc sacré : la foi humble, toute simple, d’un François d’Assise auquel Poulenc emprunte ses textes et une musique de la même lumière. Le guitariste Juan Manuel Canizares et le "nuevo flamenco"
Dans toute cette France il fallait un peu d’Espagne. Au « Magic Circus » silencieux (mieux situé !) , le Canizares Flamenco Sextet. Juan Manuel Canizares a été le 1er guitariste flamenco invité par le prestigieux Philarmonique de Berlin (dans le « Concerto d’Aranjuez » que nos amis allemands considèrent donc comme de la grande musique). Canizares matine son flamenco de jazz, de tango, de diverses influences latines. Les puristes sont choqués par ce « nuevo flamenco » et par la danseuse, Maribel Espino, « lourde », « pas gitane » (c’est ce que j’ai entendu à la sortie !). Je ne connais pas très bien le flamenco mais j’ai trouvé très belle (une sorte d’Ana Mouglalis andalouse) cette danseuse tout en retenue, les gestes de la main gauche très précis pendant que de sa main droite elle ouvre un éventail rouge. Et j’ai aimé la vigueur, la joie de jouer, la beauté instrumentale de ce sextet. Quand je suis sorti la nuit nantaise était étoilée. Très étoilée. Presque andalouse.
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