Haydn, Mozart : il fait bon vivre au XVIIIe siècle avec le chef Julien Chauvin et le Concert de la Loge
Parc de la Cité universitaire, Paris, 14e arrondissement. De l’extérieur, entre deux arbres, on reconnaît facilement l’immense baie vitrée de la Maison du Liban par ses panneaux colorés, rouge, jaune, vert et bleu.
C’est là que répète - quand il n’est pas au Conservatoire de Puteaux, son lieu de résidence - Le Concert de la loge, l’ensemble sur instruments anciens dirigé par Julien Chauvin. Dirigé oui, même si celui-ci ne le fait pas baguette à la main, mais au violon, assis près des siens.
Ensemble
“177 : les graves ont tendance à perdre trop de temps (…) 3e mesure : on attend un peu (…) Sixty six : seven, eight and nine. Attention : ne pas ralentir. (…) Ensemble, together ! (…) Mesure 231 : Don’t be tired ! (…) Tout ce qui est alto, poussez un peu… Oh, yeeees… Very good !” Quelle que soit la langue pour s’adresser à sa vingtaine de musiciens (d’une quinzaine de nationalités différentes), Julien Chauvin a l’obsession de "l’être ensemble", dans le même temps. Et dans le même esprit. C’est ce qui frappe aussi, en concert. Entente parfaite. Des regards, des gestes à peine perceptibles du chef – sourcil haussé, mouvement de coude ou léger fléchissement des jambes. "C’est ce qui est le plus fatigant, surtout là, après deux jours de répétition, deux jours de concentration pour être tous dans le bon rythme et dans la bonne énergie. On est lessivés. Le plus important, surtout, est d’être dans le bon sentiment". Car le Concert de la Loge n’est pas qu’un ensemble. C’est une idée, une histoire.Créé en 1783, le Concert de la Loge olympique était un ensemble parmi les plus cotés de l’époque, comptant en son sein d’importants solistes dont certains également compositeurs, comme par exemple Marie-Alexandre Guénin ou François Devienne. En formant son nouvel ensemble, il y a presque trois ans, Julien Chauvin a voulu exhumer le nom du Concert de la Loge, auquel on a dû soustraire la mention "olympique" pour un différend juridique avec le Comité olympique français (!). Reste la référence à cette formation d’exception, ainsi qu’aux valeurs d’égalité et d’harmonie sociale transmises autrefois par la franc-maçonnerie (la Loge Olympique en faisait évidemment partie).
Tous égaux
Un exemple : "Le concert au Louvre remet en exergue un genre musical, celui de la symphonie concertante", explique Julien Chauvin. "Aujourd’hui oublié, c’était le genre favori de cette époque parce qu’il évoquait l’idée d’une conversation entre gens bien élevés qui s’accompagnent, mais également qui s’écoutent ! On pense que les valeurs franc-maçonnes ont beaucoup influencé ce genre. Il n’y a pas ici un seul soliste qui prime sur les autres mais quatre instrumentistes "égaux" qui montrent toute l’évolution de chaque instrument. Ainsi, la symphonie concertante de François Devienne pour flûte, hautbois, basson et cor, qu’on interprète aujourd’hui fut créée par quatre solistes de la Loge Olympique", poursuit Julien Chauvin.L’ensemble va également réintroduire une autre tradition de l’époque, celle qui permet au public d’applaudir après chaque solo d’un instrument, comme cela se fait dans le jazz. "Je préviendrai les spectateurs qu’ils pourront applaudir et faire le bruit qu’ils veulent, et j’ajouterai que tout cela est enregistré".
Car c’est la règle du jeu qu’il s’est fixée : le Concert de la Loge a entrepris un vaste programme d’enregistrements, en prise directe, des "Symphonies parisiennes" de Joseph Haydn commandées justement autrefois par le Concert de la Loge Olympique. Le premier disque, "Haydn – La Reine", avec Sandrine Piau est paru en 2016, couronné de succès.
Le second, associant l’entraînante symphonie "La Poule" de Haydn (reconnaissable à son magnifique passage de notes répétées et piquées du hautbois), un concerto de Mozart et une très belle découverte, la Symphonie en ré mineur op 4 n°3 de Guénin, sort ces jours-ci chez Aparté. "L’idée est de raconter l’histoire de l’orchestre par étapes, en six volumes. Ce sont des feuilletons".
Mise en regard
"Quand on travaille dans la perspective d’un disque il y a évidemment une exigence particulière, notamment en termes de partition", précise Julien Chauvin. "Pour certaines œuvres, on a les partitions autographes, ce qui nous pousse à nous mettre dans la peau de ces musiciens qui ont vu ces manuscrits comme ça, qui les ont écoutés comme ça. Mais ça nous oblige aussi à une mise en regard. On ne joue pas scrupuleusement tout ce qui est écrit dans le manuscrit. C’est encore une époque où on laisse un peu de liberté. Et puis il y a des choses qui sont contradictoires, même de la main de Haydn ! Il faut faire un choix sur la partition. Il faut aussi un gros travail sur la palette de sentiments qui vont être utilisés dans une symphonie. Il y a des constantes dans l’humour, dans les cadences, dans l’instrumentation, mais ce qui m’intéresse vraiment, c’est de rendre cette écriture touchante, de rendre l’émotion palpable. On n’est pas uniquement une recherche sonore".Lorsque nous voyons Julien Chauvin, l’ensemble termine de répéter la Symphonie de l’Ours de Haydn, qui est au programme du concert de ce soir et du troisième disque. "L’instrument, la flûte ou le hautbois, il faut le faire parler. Il faut pour cela des compromis. Comme dans cette symphonie de l’Ours qui est très théâtrale : c’est comme si une tornade entrait par la porte. Il y a des petites concessions à faire de tempos et de respirations, des ajouts, de manière à faire entendre cette déflagration et, soudain, on est en l’air, c’est extatique !".
On est au XVIIIe siècle
Symphonies, symphonies concertantes. Mais aussi concertos, et arias… Tempos variables. Mélodies chantantes, ou pleines d’humour. Passages orageux, énergiques... Fermez les yeux. Oubliez la salle de répétition de la Cité universitaire. On est au XVIIIe siècle. "Ça ne devait pas être mal d’être au XVIIIe siècle ! Ça permet de s’extirper un peu aussi du XXIe siècle", dit, en souriant, ce musicien qui a par ailleurs beaucoup travaillé sur le répertoire contemporain."Quand on fait de la recherche, de l’histoire, c’est presque de l’investigation ! Pensez que cet ensemble a même construit un "Théâtre Olympique" en 1797 ! On a découvert que l’orchestre existait encore en 1820 ! Découvrir des partitions, aller voir les manuscrits comme on l’a fait à Washington et à Londres, ce sont des moments forts !". Jouer et enregistrer, à partir de ce soir, à l’Auditorium du Louvre a du sens. C’est là, dans la Salle des Gardes suisses des Tuileries, qu’entre 1786 et 1790, le Concert de la Loge Olympique y développait son art et son esprit. Tout un symbole.
Prochaine représentation du Concert de la Loge, même programme, le 8 novembre à Puteaux.
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