Hélène Grimaud : son disque "Water", hommage à "l'élément essentiel à toute forme de vie"
A l'origine du projet, la fascination exercée par cet élément omniprésent de la nature qu'est l'eau auprès des compositeurs des 19e et 20e siècles. La sélection qu'en fait Hélène Grimaud offre une diversité remarquable de sensibilités, des célèbres "Jeux d'eau" de Ravel, à ceux de son prédécesseur, Franz Liszt ("Les jeux d'eaux à la Villa d'Este"), de "La cathédrale engloutie" de Debussy à "Dans les brunes" de Janacek. Ajoutons à ces œuvres patrimoniales une incursion dans le monde contemporain - rare chez la pianiste et très réussie, par des œuvres très expressives que sont le "Piano aquatique" de Luciano Berio et "Arbre de pluie, 2e ébauche" de Toru Takemitsu. Originalité du projet, tous les morceaux du programme sont reliés par un fil rouge, les compositions électroniques de l'artiste britannique d'origine indienne Nitin Sawhney. Un voyage artistique (et engagé, à bien des égards) pour Hélène Grimaud qui, pour la première fois, s'attaque à un projet thématique et expérimental de cette ampleur.
Quel a été l'élément déclencheur de ce projet centré sur l'eau ?
Le répertoire lui-même m'y a emmenée, c'est sa diversité et sa beauté.
Votre engagement pour la protection de l'environnement et votre rapport personnel si important à la nature n'ont-ils pas joué ?
Si, bien sûr, tout est lié ! Il joue d'autant plus qu'on sait le message qu'un tel projet peut véhiculer, dans la sensibilisation à la protection de l'environnement. C'était un élément de plus.
Ce qui frappe en premier dans ce disque est l'unité qui s'en dégage malgré la diversité des pièces…
L'unité, c'est l'idée d'écoulement perpétuel. C'est aussi ce que l'eau représente comme élément commun à toute forme de vie. Pour moi c'était essentiel et il fallait donc que le projet s'articule autour de ça. Comment ? Le choix des pièces a beaucoup contribué, il fallait qu'une unité émotionnelle se dégage malgré la diversité des œuvres et malgré les différentes facettes de l'eau elle-même. Et bien entendu, la touche de maître a été apportée par Nitin Sawhney parce qu'il a pu lier toutes ces pièces, créer un fil qui traverse le programme, et qui permet de conserver une couleur très sensible mais avec sa diversité de langage et en miroir à tous ces compositeurs et leurs mondes bien spécifiques.
En écoutant le CD, on peut avoir le sentiment que l'eau y est dépeinte à la fois comme élément physique naturel et lorsqu'elle au contact avec l'homme. Le disque ouvre d'ailleurs avec le "Piano aquatique" de Luciano Berio, où on croit entendre la circulation de l'eau dans la nature, et termine avec "La cathédrale engloutie" de Debussy, mauvais présage pour l'humanité…
Ce n'était effectivement pas un hasard de terminer par une pièce sombre, "La cathédrale engloutie". Evidemment, c'est une légende de la mythologie bretonne, mais symboliquement c'était l'idée et ça reste très fort. Si on ne prend pas soin de cette planète, de son environnement, il n'y a de toute façon pas d'espoir de survie.
Quels sont les morceaux qui vous ont le plus attirée dans l'expression physique de l'eau ? C'est très difficile de répondre parce que je les aime tous, mais s'il le faut vraiment, je dirais Liszt et ses "Jeux d'eaux à la Villa d'Este", Albeniz pour "Almeria" et le "Piano aquatique" de Luciano Berio.
Comment interrogez-vous les relations entre l'homme et l'eau dans votre œuvre musicale ?
La musique ne peut pas être militante de façon aussi concrète, ça se passe à un autre niveau. Et il faut mentionner les faits - ils sont suffisamment affolants - quand on vous donne la chance de vous exprimer. Les statistiques sont terrifiantes : un million de personnes meurent par an à cause du manque d'eau, un enfant meurt toutes les 90 secondes de maladies contractées au contact avec de l'eau insalubre, 125 millions est le nombre d'heures que passent par jour femmes et enfants en Asie à essayer de s'approvisionner en eau…
Mais pour revenir aux pièces que vous avez choisies, certaines sont presque dans la description de l'eau - élément naturel, d'autres appellent davantage à…
A une réflexion philosophique, oui, c'est vrai. D'ailleurs, c'est intéressant de voir que même si le langage pianistique reste assez monochrome pour exprimer le mouvement perpétuel de l'eau (il y a des arpèges, il y a des traits, il y a du chromatisme), la puissance d'évocation de toutes ces œuvres, les souvenirs qu'elle appelle, les sensations qu'elle fait naître au plus profond de nous, est extraordinaire !
Jusqu'à présent, vous avez peu joué d'œuvres contemporaines. Qu'est-ce qui explique que vous fassiez appel, pour ce disque, à des œuvres de Berio, de Takemitsu et même de Nitin Sawhney ? Est-ce le signe d'ouverture prochaine vers ce répertoire ?
Non, pas nécessairement, c'est le thème qui l'a voulu. J'avais envie que soient représentés le plus de compositeurs possibles et d'une grande diversité. C'est vrai que j'ai également passé commande à une compositrice bulgare, Dobrinka Tabakova, pour un projet qui verra le jour dans deux-trois ans, mais ça ne relève pas non plus d'une volonté systématique.
Comment s'est passé votre travail avec Nitin Sawhney ?
Je l'ai choisi parce que c'était lui qu'il fallait pour ce projet à cause de son travail de synthèse des traditions musicales du monde. Nitin Sawhney a un langage très sensible, c'est un musicien dans l'âme, qui joue de beaucoup d'instruments à un très haut niveau. Mais en même temps, je voulais un compositeur du 21e siècle, mais pas de tradition classique, pour souligner véritablement la dépendance universelle à cette ressource essentielle qu'est l'eau.
Il y a une dernière dimension dans ce projet : c'est la dimension plasticienne, grâce à un travail effectué avec l'artiste écossais Douglas Gordon, (prix Turner) réalisé dans un ancien bâtiment militaire de New York, la Park Avenue Armory, qu'il a inondée d'eau pendant que vous jouiez…
C'est une installation extraordinaire qui nous an tous hantés qui a laissé des traces indélébiles. Ça reste de l'éphémère parce qu'on ne peut pas la renouveler, il n'y a pas de salles de concert qu'on puisse inonder comme ça. Cela dit, on cherche des lieux pour renouveler l'expérience, à Venise entre autres…
Enfin, l'intérieur de la pochette du disque est illustré à l'intérieur par des œuvres du photographe, Mat Hennek, qui rappellent, en couleur, l'œuvre d'un Mario Giacomelli…
Oui, ce sont des photos qui montrent pas uniquement l'eau, mais aussi le manque d'eau. Ça été un vrai plaisir de réaliser cette pochette avec cet artiste, Mat Hennek, qui est mon partenaire et donc dont je connais bien le travail.
Ce lien avec d'autres arts, c'est quelque chose que vous voulez développer ?
Oui, c'est quelque chose qui me tient à cœur, je songe déjà à d'autres incarnations possibles.
L'interview d'Hélène Grimaud dans le 13H de France 2 : elle évoque l'importance de l'eau comme source d'inspiration pour nombre de compositeurs.
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